Ce que gagnent (réellement) nos députés

Les iPad et iPhone fournis récemment aux parlementaires remettent au goût du jour la polémique autour des indemnités et avantages qui leur sont octroyés. A combien s’élèvent au total leurs rémunérations ? Les détails.

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Crédit: AFP

Au moment de la reprise de l’activité au sein du parlement, les membres de la Chambre des représentants se sont vu remettre un iPad et un iPhone chacun. Ils devront, bien évidemment, être restitués à la fin de la législature. Ces deux outils de travail, dont le prix total avoisine les 15 000 DH, permettront notamment d’en finir avec le vote à main levée, qui nécessite un comptage fastidieux des voix, et de diminuer les frais de papier, qui s’élèvent, par exemple, à pas moins de 400 000 DH pour la seule Loi de Finances.

Si la démarche s’inscrit dans l’idée d’une numérisation plutôt bienvenue de la vénérable institution, elle a suscité une vive polémique. D’autant qu’elle survient au moment où, dans le sillage de la crise du Rif, des citoyens investissent la rue pour demander plus de justice sociale. “Cette polémique intervient dans un contexte défavorable marqué par un grand malaise social, et il n’y a pas plus facile que de vilipender, à tort ou à raison, les parlementaires”, commente Larbi Habchi, ancien sénateur au nom de la Fédération démocratique du travail (FDT). Mais cela a fait mouche. Surfant sur la vague des “indignés”, le PAM a ainsi recommandé à ses parlementaires de restituer à leurs chambres respectives tablettes et smartphones. D’autres députés ont fait de même, de leur propre initiative. “Il y a beaucoup de démagogie dans ces réactions car il s’agit d’abord d’outils de travail. Je préfère mille fois une tablette sur laquelle je recevrais le nécessaire pour mon travail que de trimbaler des tonnes de papier”, explique un jeune député du PAM. Mais, au-delà des gadgets fournis, les élus de la nation sont-ils vraiment choyés plus qu’il ne faudrait ? Combien gagnent-ils réellement ?

Crédit: infographie TelQuel
Crédit: infographie TelQuel

Carburant, frais de péage, etc. Après moult déductions — dont les frais de l’assurance maladie et la contribution aux caisses de retraite —, un parlementaire marocain perçoit un salaire mensuel net de 32 800 DH. Ce salaire est majoré de 7000 DH pour tout député ou conseiller qui assume une responsabilité dans l’une des deux chambres : membre du bureau, président d’une commission ou président de groupe. Chaque député a également droit à une carte de train lui permettant de voyager partout au Maroc, en première classe, en plus d’une indemnité de carburant, dont le minimum en moyenne est de 800 DH par mois. Auxquels s’ajoute une prise en charge complète des frais d’autoroute.

“Il y a beaucoup d’aberrations dans les avantages accordés aux élus. Pourquoi des indemnités de carburant et une carte de gratuité pour le train pour quelqu’un qui habite à Rabat ?”, s’insurge un député de la majorité. Autres avantages accordés aux élus : des nuits d’hôtel dans la capitale (en moyenne 750 DH la nuitée) et des billets d’avion pour ceux qui résident dans des villes lointaines comme Laâyoune, Dakhla, Agadir, Oujda ou encore Nador. Enfin, le parlement octroie à ceux et à celles qui voyagent à l’étranger une indemnité journalière de 2000 DH afin de couvrir le gîte et le couvert. “Allez vous débrouiller avec 2000 DH par jour à New York ou à Genève !”, ironise Mehdi Bensaïd, ex député et président de la commission des Affaires étrangères sous les couleurs du PAM.

Grand écart

Cela dit, les élus ne sont pas égaux en matière de rémunération. Les présidents des deux chambres ont droit à un traitement de ministre : 42 000 DH mensuels, un chauffeur, un cuisinier, sans parler des primes de représentation et de logement. “Au total, le président d’une chambre du parlement gagne jusqu’à 80 000 DH/ mois. C’est normal puisqu’il s’agit d’un des deux postes les plus importants après le roi et le Chef de gouvernement”, explique un haut cadre au parlement. Des écarts qui n’impactent pas les revenus des députés de la même manière, selon qu’ils soient issus de la classe moyenne ou aisée. En effet, la grande communauté des parlementaires regroupe aussi bien d’anciens diplômés chômeurs que de grands hommes d’affaires, voire des milliardaires. Exemple : plus des deux tiers des députés du PJD sont issus des rangs de l’enseignement, alors que le tiers des élus du PAM sont des hommes d’affaires. Et si pour certains entrer au parlement, c’est le jackpot, d’autres gagnent en quelques heures plus que l’équivalent de leur salaire de député. “Cela devrait aussi pousser les partis à la réflexion. Que vient chercher un milliardaire au parlement ?”, interroge Abdelaziz Aftati, ex-député et ancien dirigeant du PJD.

Un ciblage intelligent “Je pense qu’il nous faut un statut spécial fixant les indemnités, salaire compris, selon la catégorie socioprofessionnelle des élus. Ce sera plus équitable”, propose Larbi Habchi. Une idée que partagent plusieurs autres parlementaires, estimant que les présidences des deux chambres auraient intérêt à procéder selon un ciblage intelligent qui éviterait à l’institution des polémiques inutiles. “Rien n’empêche la direction du parlement de demander à un député s’il dispose déjà d’outils de travail comme une tablette ou un smartphone”, explique Aftati. A la deuxième chambre, le président Hakim Benchamach a fait un premier pas dans ce sens. Il a limité la validité des cartes de train, jusque-là utilisables dans tout le réseau ferroviaire, au trajet séparant le lieu de résidence des conseillers du siège du parlement à Rabat.

Mehdi Bensaïd, lui, place le débat dans un registre plus global. “Le salaire n’est pas le problème. J’estime qu’il est décent. L’élu a surtout besoin de moyens pour s’acquitter de sa tâche”, soutient l’ancien député PAM. Explication : chaque groupe parlementaire dispose d’un seul bureau et il est généralement impossible pour un élu de trouver où recevoir invités et simples citoyens. Et ce n’est pas tout. L’essentiel des cadres affectés aux groupes parlementaires sont monopolisés par les présidents. “Comme les élus ne sont pas forcément des touche à-tout, il leur faut des collaborateurs, comme dans d’autres expériences parlementaires occidentales”, insiste Mehdi Bensaïd. Et à y regarder de plus près, nous sommes loin du compte.

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