Jusqu’où la crise d’Al Hoceïma va-t-elle mettre à nu le fonctionnement de l’Etat ? La contestation a certes été étouffée. Certains le disent d’une autre manière : la situation se calmait. Le gouvernement a changé enfin de ton, et Saâd-Eddine El Othmani a même reconnu les erreurs de l’Exécutif. Et puis, depuis, des accusations de torture ont fusé — sans preuves jusqu’à présent —, des rapports ont fuité, des institutions se sont écharpées, des phrases assassines distillées dans des communiqués, une vidéo humiliante a été dévoilée, un ministre s’est révolté sur Facebook, comme si son département n’était pas concerné… Bref, le Maroc semble prendre l’eau, sous nos yeux ébahis et consternés. Tous ces épisodes, qu’il est même devenu fatigant de citer et énumérer, auraient pu être la preuve d’une bonne santé. Finalement, que chaque institution se défende publiquement et mette les autres face à leurs responsabilités est un exercice normal dans un Etat de droit. Seulement nous n’en sommes pas un. Et nous n’allons pas feindre de le découvrir.
Des comportements que nous pensions dépassés resurgissent, et des accusations graves sont portées contre l’Etat, par médias interposés, encourageant paranoïa et manipulation. Ceux qui se risquent à émettre des hypothèses, en parlant de “guerre des services”, n’avancent pourtant aucune preuve. Seulement des interprétations, et à TelQuel nous savons les risques qu’elles comportent. Ce journal est tantôt accusé d’être nihiliste opposant, tantôt à la solde de tel ou tel service de l’Etat. Pour demeurer rigoureux, il faut aujourd’hui l’avouer : personne ne sait où sont les responsabilités et où sont prises les décisions. Pire, personne n’assume rien,tout le monde se dédouane. Et cette situation ne doit pas durer. Car le flou alimente l’inquiétude et les incertitudes auprès des citoyens marocains d’ici et d’ailleurs, des opérateurs économiques et vis-à-vis de l’extérieur. Après une année d’attentisme, d’élections et de blocage gouvernemental, le Maroc ne peut pas se permettre de voir cette atmosphère délétère perdurer. S’il y a des divergences dans la gestion de la crise d’Al Hoceïma — une crise qui, rappelons-le, ne remettait pas en cause jusque-là les fondamentaux de l’Etat —, elles ne devraient pas s’exposer ainsi, et, surtout, il est temps de trancher et d’assumer. Nous souhaitons, pour le bien de cette nation, que le choix irréversible de la réforme soit réaffirmé et qu’Al Hoceïma soit l’occasion de lui redonner un sens.
Car comprenons bien ce dont il s’agit ici : après l’affaiblissement des institutions, du gouvernement, des partis, des médias, de tous les intermédiaires, il ne nous reste qu’un Etat robuste sur lequel compter. Les Marocains tiennent à un Etat fort et qui doit le rester. Ce ventre mou que nous voyons apparaître, où des responsables publics sont plus inquiétés par leur cote de popularité auprès du roi ou le maintien de leur poste que par l’intérêt de la nation, doit cesser de se développer. Où sont les femmes et les hommes forts de ce pays ? Ont-ils le droit de se taire en période de crise ? Il est nécessaire de rappeler que servir le roi, c’est d’abord servir les Marocains et le Maroc.