Entretien avec Leïla Slimani : "Le droit au respect de notre sexualité n'est pas incompatible avec notre marocanité"

Le 7 juillet , l'écrivaine lauréate du Prix Goncourt 2016 Leïla Slimani était à l'Institut Français de Casablanca. Rencontre avec Telquel.ma au sujet de son engagement en faveur des droits humains et de son prochain ouvrage.

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Crédit : Martin BUREAU / AFP

Telquel.ma : Le 29 juin, vous avez reçu le prix du coup de gueule lors de la cérémonie des Out d’Or qui récompense les personnalités, médias et initiatives qui accroissent la visibilité des thématiques LGBT (lesbienne, gay, bis, trans). Pour vous, quelles sont les solutions pour faire évoluer les mentalités sur la question de l’homosexualité au Maroc ?

Leïla Slimani : Le plus important est de parler, de faire émerger la parole, celle de ceux qui comme moi militent pour la défense des homosexuels, mais aussi celle des homosexuels eux-mêmes pour qu’il n’y ait pas un tabou ou une chape de plomb qui pèse sur cette parole-là. Il faut aussi essayer de faire émerger l’idée selon laquelle nos droits en tant que marocains ne sont pas seulement des droits culturels, mais également des droits universels et inaliénables. Il s’agit des droits au respect de notre dignité, de notre corps, de notre sexualité et cela n’est pas incompatible avec notre marocanité, avec l’authenticité de notre culture. Nous avons le droit en tant que jeunesse marocaine de revendiquer un idéal des Lumières, car nous sommes avant tout des êtres humains ayant le droit à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Il ne faut pas transiger ou négocier avec ces droits.

Comment expliquez-vous les conservatismes qui subsistent dans le Royaume ?

Le Maroc est une société en transition, dans laquelle il y a à la fois des relents d’archaïsme et des restes de traditions qui sont normales, car nous sommes issus d’une société patriarcale où la norme est l’hétérosexualité. En même temps, la société marocaine est traversée par la mondialisation, par internet. L’information qui circule, donc je pense que les gens sont tout à fait conscients qu’il existe autre chose que ce modèle, mais toutes ces informations se télescopent, se combattent. Nous ne devons pas avoir peur du débat, les choses ne vont pas changer du jour au lendemain. C’est pour cela qu’il faut être légaliste. On peut dire « très bien, je veux bien que vous ne soyez pas d’accord avec moi, j’accepte même que vous considériez que l’homosexualité ce n’est pas bien », mais simplement il faut protéger les droits des homosexuels demander un changement de la loi et notamment de l’article 489 du Code pénal. Les frapper et se faire justice soi-même, ce n’est pas possible.

Dans vos deux romans, « Chanson Douce » et « Dans le jardin de l’ogre », vous mettez à l’honneur des femmes. Est-ce pour vous une forme d’engagement féministe ?

Oui, ça l’est d’une certaine façon, parce que pendant très longtemps les femmes ont été exclues de la littérature et même de l’art, elles n’ont donc pas pu raconter leur point de vue sur le monde. En tant que femmes qui vivent la condition féminine, nous ne vivons pas la même vie qu’un homme car nous sommes confrontées à des problèmes, à des inégalités, à des souffrances mais aussi à des joies auxquelles les hommes ne sont pas confrontés. Un homme et une femme peuvent écrire pareil, mais n’écrivent peut-être pas la même chose. Il est important de nourrir le récit féminin sur le monde.

Vous allez sortir un nouvel ouvrage en septembre, quelle place réservez-vous aux femmes dans celui-ci ?

Il s’agit d’un essai qui s’appelle « Sexe et Mensonge » et qui parle de la vie sexuelle au Maroc. Ce sont des entretiens avec des femmes marocaines qui me racontent leur vie sexuelle. C’est aussi une réflexion sur les articles 489, 490 et 491 du Code pénal et sur la question de la libéralisation de la sexualité, car il ne s’agit pas seulement de dépénaliser l’homosexualité mais également de dépénaliser la sexualité tout court. Aujourd’hui au Maroc, la seule sexualité légale est conjugale. Je pose la question : « est-ce que c’est toujours tenable aujourd’hui ? peut-on, dans un pays où l’âge moyen du mariage est de 28 ans, demander à l’ensemble de la jeunesse marocaine de s’en tenir à une forme d’abstinence ? est-ce réaliste ? est-ce souhaitable ? ». J’essaie d’engager ce débat avec calme et sérénité, en acceptant tout à fait que l’on ne soit pas d’accord avec moi, mais il faut qu’on respecte le droit à la parole.

Quelles sont les femmes marocaines qui vous inspirent ?

Une femme m’inspire énormément, à laquelle j’ai dédié l’essai qui va paraître, c’est Fatima Mernissi (ndlr, sociologue et féministe marocaine décédée en 2015) que j’ai connue dans mon enfance. Elle était une grande amie de mon père et a été très importante pour moi à la fois sur le plan personnel et intellectuel. Mais les femmes marocaines de manière générale m’inspirent, les femmes du quotidien, les femmes anonymes, toutes celles qui se battent au quotidien pour leur dignité, pour leurs droits, pour leurs enfants, pour pouvoir travailler. Elles m’inspirent pour leur humour, pour leur beauté et pour leur joie de vivre. Ce sont des femmes souvent assez extraordinaires.

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