Amina Oufroukhi, bec et ongles contre la traite des êtres humains au Maroc

La juge marocaine a été reconnue le 27 juin "Héroïne du rapport sur la traite des êtres humains" par la diplomatie américaine. La consécration de 28 ans d’engagement pour le droit des femmes, des enfants et des populations vulnérables.

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Amina Oufroukhi avec Rex Tillerson et Ivanka Trump. Crédit : Ambassade marocaine aux Etats-Unis / Twitter

La magistrate Amina Oufroukhi est une femme de l’ombre, qui travaille depuis 1989 dans les couloirs des tribunaux et du ministère de la Justice. Son combat: le droit des femmes et des enfants, mais surtout la lutte contre la traite des êtres humains, cause à laquelle elle s’est dévouée corps et âme.

Cet engagement vient de lui valoir un prix qui lui a été remis par le secrétaire d’État américain à Washington. Le 27 juin, Rex Tillerson l’a félicitée pour sa contribution à la lutte contre le trafic d’êtres humains. « J’ai toujours été sensible aux questions des droits des femmes et des enfants qui présentent des défis dans le système judiciaire« , assure Amina Oufroukhi.

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Tout a commencé en 1989, où elle débute sa carrière en tant que commissaire judiciaire avant d’intégrer le corps de la magistrature. Dès l’âge de 24 ans, Amina Oufroukhi enchaîne les postes dans des comités nationaux interministériels spécialisés dans la protection de l’enfance et de l’égalité des genres. Elle travaille notamment avec l’Observatoire national de la violence à l’égard des femmes, puis avec la Commission contre les violences aux écoles, et celle des experts arabes contre la traite des êtres humains.

Le véritable tournant a lieu en 2004 avec la création de cellules de prise en charge des femmes et des enfants dans les tribunaux du Maroc. « J’ai senti que c’était l’entrée adéquate pour humaniser et faciliter l’accès à la justice de ces populations. Je n’ai pas pu m’en séparer« , nous confie Amina Oufroukhi qui est aujourd’hui magistrate rattachée à la direction des affaires pénales et des grâce au ministère de la Justice.

Les femmes et les enfants d’abord

Amina Oufroukhi est au coeur de réformes majeures du Code pénal et du droit des femmes et de l’enfant à partir de 2003. Ses combats ne sauraient être évoqués de façon exhaustive, du harcèlement sexuel à l’exploitation sexuelle, en passant par la pornographie ou encore le travail forcé des enfants.

Elle participe à la réforme de la justice juvénile pour changer l’âge de la majorité pénale et instaurer des dispositions de protection des enfants en situation difficile. Incriminer le mariage forcé, poser l’atteinte sexuelle contre un enfant comme un crime grave. C’est dans ce cadre qu’elle a travaillé avec l’ONU Femmes sur plusieurs rapports. « Son précieux appui a hautement contribué à la réussite des projets de partenariats entre le ministère de la Justice et ONU Femmes, notamment à travers la publication d’un rapport sur la traite des femmes et des enfants au Maroc en amont de l’adoption par le Parlement, le 25 août 2016, de la loi 27-14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains« , témoigne Leila Rhiwi, représentante ONU Femme pour le Maghreb.

Avec du recul, la magistrate aujourd’hui âgée de 52 ans constate qu’il y a « certainement une prise de conscience politique réelle relative à ces questions« . Elle estime néanmoins que « beaucoup d’efforts restent à fournir, surtout au niveau des mentalités et face aux résistances sociales« .

Il arrive aussi à Amina Oufroukhi d’adopter des positions parfois contradictoires avec certains militants pour les droits des femmes, notamment sur l’avortement. Elle a ainsi été membre du comité qui a élaboré le projet de loi qui amendait les dispositions relatives à l’avortement élargissant les possibilités légales. « Au niveau de la loi musulmane, l’orientation est pour la protection du droit à la vie, et contre l’atteinte à la vie », tout comme dans « les traités internationaux qui garantissent le droit de vie aux individus« , avait-elle déclaré à Media24 en 2015. « L’avortement est certes un crime, mais il peut être nécessaire », explique aujourd’hui Amina Oufroukhi qui défend le droit à la vie, « mais aussi le droit aux solutions quand nécessaire ». 

La loi 2016 contre la traite des êtres humains

Le deuxième combat d’Amina Oufroukhi, fortement lié au premier, est la lutte contre la traite des êtres humains. Depuis 2009, elle a organisé des campagnes de sensibilisation sur la question de la traite des êtres humains au profit des magistrats, des assistantes sociales et des ONG, entre autres. Elle participe à l’élaboration d’une étude avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’ONU Femmes sur la traite des êtres humains. Des projets qui lui ont permis de rédiger le chapitre du projet du Code pénal relatif à l’incrimination de ce délit et d’intégrer à partir de 2013 le comité de réfaction de la loi sur la traite des êtres humains. 

Un travail pour lequel elle a été reconnue « Héroïne du rapport sur la traite des êtres humains » par la diplomatie américaine. « J’ai été très honorée pour ma personne, mais surtout pour le Maroc et sa lutte contre la traite des êtres humains. C’est une reconnaissance de notre travail« , témoigne Amina Oufroukhi. Primée avec sept autres personnes, la magistrate marocaine restera plusieurs semaines aux États-Unis pour des réunions entre Washington, Miami et Boston avec des intervenants actifs sur ces questions. « J’ai constaté que les exploitations sont similaires à travers le monde, et que le Maroc a adopté la méthode qu’il faut pour aller sur la bonne voie« , explique celle qui était la seule lauréate originaire de la région Moyen-Orient & Afrique du nord. 

Le rapport de la diplomatie américaine estime pourtant que « le gouvernement du Maroc ne remplit pas l’intégralité des standards minimums pour l’élimination des trafics. Cependant, il fait des efforts significatifs dans ce sens« . En effet, il reste encore du pain sur la planche, notamment sur l’application de la loi sur la traite des êtres humains. « Cette mise en oeuvre nécessite un engagement profond, le renforcement des capacités, mais également la coordination avec les différents intervenants  pour une meilleure protection des victimes. Il faut aussi communiquer sur la loi auprès du grand public« , déclare Amina Oufroukhi pour qui le combat est loin d’être terminé.

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