Les détails de la décision très politique de la justice sud-africaine contre l'OCP

Dans son jugement relatif à la saisie de phosphate marocain, la justice sud-africaine fait la part belle à l’argumentaire du Polisario qu’elle reconnait comme représentant de la population du Sahara.

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Crédit: Yevgeniy B/ Marinetraffic.com
Yevgeniy B/ Marinetraffic.com

« On dit du Sahara occidental qu’il est le seul territoire africain encore sujet à la colonisation ». C’est ainsi que la justice sud-africaine introduit son jugement du 15 juin relatif à la saisie du NM Cherry Blossom. Ce navire, appartenant à un armateur grec et transportant 50.000 tonnes de phosphate pour un client néo-zélandais de l’OCP, s’est retrouvé au cœur d’un imbroglio judiciaire. Une affaire où c’est l’État marocain et non le cargo qui est mis en cause. En effet, le jugement émis par la justice sud-africaine, comme en témoigne cette phrase introductive, fait office de plaidoirie politique pour le Polisario et soulève des interrogations quant à l’impartialité de la justice sud-africaine.

 Le Polisario reconnu comme représentant du « Sahara occidental »

Dans son jugement, la justice sud-africaine commence par dire que le Front Polisario peut être considéré comme un représentant légal de la population du Sahara. Elle rappelle que le mouvement séparatiste a signé un accord tripartite avec l’ONU et le Maroc concernant la « tenue d’un référendum d’autodétermination« .

Pourtant, la seule résolution onusienne faisant référence au mouvement séparatiste en tant que représentant du « peuple du Sahara occidental » date de 1979 et le charge de « participer pleinement à toute recherche d’une solution politique juste« .

Les magistrats sud-africains rappellent aussi que la RASD, qui n’est pas membre de l’ONU, est membre de l’UA et a été « reconnue par 45 pays membres de l’ONU, dont l’Afrique du Sud« . Une affirmation approximative dans la mesure où il n’existe aucune liste officielle des pays reconnaissant la RASD.

La justice sud-africaine, qui considère dans son jugement que la loi marocaine ne s’applique pas au Sahara, cite pourtant la constitution de la RASD et son article 17 selon lequel « les propriétés publiques » comme « les ressources minières, les ressources énergétiques, les ressources souterraines et les eaux territoriales » appartiennent au « peuple« .

Ainsi, la justice sud-africaine cherche à accréditer l’idée selon laquelle le Polisario est l’unique représentant de la population du Sahara. Alors qu’elle cite le jugement relatif aux accords agricoles entre le Maroc et l’UE rendu le 21 décembre par la Cour de justice de l’Union européenne, la justice sud-africaine omet de dire que la justice européenne ne considère pas le Polisario comme le représentant de la population du Sahara.

Remise en question de la souveraineté

Après avoir retracé l’historique du conflit du Sahara, les juges sud-africains mettent en doute la souveraineté du Maroc. Pour étayer cette thèse, ils citent – de manière sélective – l’avis émis par la Cour internationale de justice (CIJ) en 1975. Le texte mentionne l’absence de « liens juridiques de souveraineté territoriale entre le Sahara occidental et I’État marocain« , mais fait état « de liens juridiques d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara occidental« . Pourtant, pour les juges sud-africains, le « Maroc ne peut prétendre à la souveraineté sur le territoire du Sahara occidental« .

Ils assurent aussi que le royaume « a pris le contrôle du territoire par la force », ce qui « dans l’acquisition de la souveraineté est contraire au droit international« . Or la rétrocession du Sahara a fait l’objet d’un accord tripartite signé à Madrid par le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie en 1975.

Pour étayer son argumentaire sur l' »absence de souveraineté marocaine« , la justice sud-africaine fait référence à l’affaire opposant l’association Western Sahara Campaign UK et la douane britannique, actuellement examinée par la Cour de justice de l’Union européenne. Dans sa décision concernant cette affaire, le juge britannique qui a décidé de la renvoyer à la CJUE, affirme que « la communauté internationale, en général, et l’Union européenne, en particulier, ne reconnaissent pas » la souveraineté marocaine sur le Sahara.

Les juges sud-africains font aussi référence à l’avis juridique (et non à une décision) émis par Hans Corell, ancien secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et conseiller juridique des Nations unies. L’ »Espagne n’était pas habilitée à transférer sa souveraineté sur le territoire (du Sahara, NDLR) au Maroc« , avait écrit l’ancien diplomate suédois dans ce texte à but purement indicatif.

Légalité de l’exploitation des ressources

Les juges sud-africains remettent également en question la légalité de l’exploitation des ressources naturelles dans les provinces du Sud par l’OCP. La justice sud-africaine cite de nouveau l’avis de Hans Correll pour qui l’exploitation des ressources naturelles des provinces du Sud doit prendre en compte « les intérêts et les vœux exprimés par le peuple sahraoui« . Les juges sud-africains concluent, sans apporter de preuve toutefois, que l’exploitation des ressources des provinces du Sud ne se fait pas au profit de la population.

Selon eux, l’OCP et sa filiale Phosboucraâ n’ont pas affirmé avoir « exploité le phosphate au Sahara occidental avec l’accord de la population de ce territoire« . Les juges estiment par ailleurs que les deux entreprises « ne peuvent pas le faire« , sans donner plus d’explications.

La justice sud-africaine fait valoir l’argument du Polisario selon lequel « la population sahraouie vit à l’Est du mur (de défense, NDLR) ou dans des camps de réfugiés en Algérie« . Ceci signifie, selon eux, que les bénéfices tirés de l’exploitation du phosphate dans cette zone profitent à ceux qu’ils présentent comme les « colons marocains« . La justice sud-africaine ignore donc la population sahraouie vivant dans les provinces du Sud.

La décision ne mentionne pas non plus les 2.196 employés travaillant actuellement pour l’entreprise parmi lesquels 76% sont des locaux comme l’indique le site de Phosboucraâ. L’OCP réinvestit aussi de manière « systématique la totalité des bénéfices » réalisés localement par Phosboucraâ dans la région.

Rejet de l’argumentaire de l’OCP

Devant la justice sud-africaine, l’OCP a fait valoir deux règles du droit international en vertu desquelles la cargaison ne peut pas faire l’objet de poursuites judiciaires. La première est celle de l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens. Ce principe, sur lequel il existe un consensus au niveau international, permet à « un État et à ses biens de ne pas faire l’objet de poursuites devant des cours étrangères« .

En vertu de ce principe, les juridictions locales ne peuvent pas être compétentes dans une affaire où un État étranger est considéré comme « partie ». Or, selon la justice sud-africaine, « le Maroc ne peut pas être considéré en tant que partie dans la procédure« . Celle-ci souligne que l’OCP et Phosboucraâ sont des « entités complètement séparées de l’État marocain« .

Les représentants de l’OCP ont aussi fait valoir le principe de l’acte de gouvernement (act of state doctrine) tiré du droit anglo-saxon et en vertu duquel « les États souverains sont égaux« . Un argument rejeté par la justice sud-africaine pour laquelle « aucun principe du droit international ne peut empêcher une justice locale de juger une affaire impliquant des actes de gouvernement étranger dans une affaire sur laquelle la cour (…) a une juridiction« .  Les juges sud-africains indiquent qu’ils ne comptent pas débattre des limites de cette doctrine « pour des raisons qui deviendront apparentes » bien qu’ils soient « tentés d’en discuter ».

Dans le dernier point de cet argumentaire, la justice sud-africaine reconnait  « la complexité des problématiques traitées dans cette affaire et le fait évident que ces problématiques doivent être traitées dans la résolution de conflits internationaux reliés au Sahara occidental ». Les juges estiment néanmoins que la cour n’a pas à traiter « cette question politique plus large » affirmant qu’elle doit  « permettre aux parties d’accéder à un forum judiciaire dans lequel elles pourront résoudre leur litige juridique ».

En conclusion de ce jugement , la justice sud-africaine annonce sa décision de maintenir la saisie du NM Cherry Blossom et demande aux autorités de saisir les documents d’enregistrement du bateau ainsi que son certificat commercial. Ce jugement, sur la compétence, n’est pas définitif, un procès sur le fond se tiendra à une date qui n’a pas encore été annoncée.

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