Par Sabrina Myre, à Jérusalem
Le Premier ministre israélien n’a jamais caché son jeu. Sur le tarmac de Tel Aviv, avant même le décollage de son avion en direction de Monrovia pour le 51e sommet de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les intentions de Benjamin Netanyahu étaient claires : gagner des appuis lors des votes devant les Nations Unies. “L’objet de ce voyage est de dissoudre ce bloc géant de cinquante quatre pays africains qui est la base de la majorité automatique contre Israël”, a-t-il annoncé. L’un des rares chefs d’État non africains à prendre la parole devant l’organisation a bénéficié d’une large tribune. Quinze pays, 300 millions d’Africains. “Un rêve devenu réalité”, s’est réjoui Benjamin Netanyahu, venu séduire les leaders africains avec des promesses d’investissement.
C’est pourtant le Maroc qui était attendu à ce sommet (qui s’est tenu le 4 juin), supposé être le premier de Mohammed VI pour appuyer la candidature du royaume, en passe de devenir le 16e pays membre de la CEDEAO. Mais Benjamin Netanyahu lui a volé la vedette. Sa présence a forcé le souverain à annuler sa participation pour éviter, selon les mots de la diplomatie marocaine, “tout amalgame ou confusion”. À la tête du comité Al-Qods, qui défend le caractère arabo-musulman de Jérusalem, “le roi ne pouvait prendre le risque de se mettre à dos l’opinion publique marocaine”, estime Ely Karmon, chercheur au centre interdisciplinaire de Herzliya, à Tel-Aviv. Depuis la seconde Intifada en 2000, le Maroc n’entretient plus aucune relation avec l’État hébreu. Du moins pas officiellement.
Chassé-croisé diplomatique
Chacun de son côté, les deux pays mènent des offensives diplomatiques sur le continent. Avec cette visite officielle au Libéria, Israël s’aventure en zone d’influence marocaine. “Il n’existe aucune volonté de concurrencer le Maroc car chaque pays possède des compétences différentes”, assure Ely Karmon. L’État hébreu vend son savoir-faire dans les domaines de l’agriculture, la sécurité, la gestion de l’eau et des soins médicaux. “Israël peut offrir une expertise en haute technologie dont plusieurs pays africains ont besoin pour mieux se développer”, analyse Emmanuel Navon, expert en relations internationales à l’Université de Tel-Aviv. Actuellement, le marché africain représente moins de 3% des exportations israéliennes, selon l’Institut d’exportation d’Israël. “C’est très insuffisant !”, lâche son directeur Ramzi Gabbay, qui souhaite “profiter pleinement des marchés en croissance pour exporter la technologie israélienne dans des secteurs qui ne sont pas encore conquis par les puissances présentes en Afrique, comme la Chine ou la France”. Pour le démontrer, Benjamin Netanyahu n’est pas arrivé les mains vides devant la CEDEAO. Israël a en effet signé un plan d’investissement d’un milliard de dollars dans les énergies renouvelables, soit l’équivalent de 9,7 milliards de dirhams, selon la presse israélienne. “C’est une stratégie pour sortir de l’isolement et gagner en légitimité dans les forums internationaux”, soutient Ely Karmon. Une monnaie d’échange contre des votes favorables à l’ONU ? “Ce n’est pas une condition pour investir”, a tempéré le Premier ministre, après un marathon de rencontres avec une dizaine de leaders présents au sommet. Des tête-à-tête pour réchauffer des relations trop longtemps négligées.
Avec l’Afrique, Israël a dû tout reconstruire. Au lendemain de la guerre de Yom Kippour de 1973, la quasi-totalité des pays africains avaient coupé les ponts avec l’Etat hébreu en solidarité avec les pays arabes, menés par l’Égypte. Il aura fallu dix ans pour voir renaître les premières relations diplomatiques, à commencer par le Zaïre de Mobutu. En coulisses, Israël n’a jamais totalement perdu le signal radio. L’ancien diplomate israélien Arye Oded était en poste au Kenya lors de la rupture des liens. Sans représentation officielle, il a poursuivi son travail dans les bureaux de l’ambassade du Danemark. “Officieusement, le Kenya me laissait carte blanche”, se remémore parfaitement l’homme qui cumule des décennies d’expérience en Afrique de l’Est. Aujourd’hui, seuls quatorze pays africains n’ont aucune relation avec Israël, dont le Maghreb. Or, cela n’a jamais empêché les échanges commerciaux. La preuve : les importations marocaines en provenance d’Israël se chiffrent à près de 384 millions de dirhams en 2016, selon le Bureau central israélien de la statistique. Un vrai secret de polichinelle, car malgré les protestations de la société civile marocaine contre la normalisation avec Israël, les considérations économiques prennent le pas sur la diplomatie.
Le grand retour d’Israël
Mais son grand retour, Israël l’a effectué l’an dernier lors d’une tournée historique dans quatre pays d’Afrique de l’Est. Une première, en trente ans, pour un chef d’État israélien. Premier arrêt en Ouganda, pour souligner le 40e anniversaire du raid d’Entebbe, une opération israélienne d’envergure qui avait permis de libérer une centaine d’otages détenus dans un avion d’Air France détourné par des pirates de l’air palestiniens et allemands. Un choix hautement symbolique puisque cette mission avait coûté la vie au responsable du commando, vu comme un héros en Israël. Et ce héros est… Yonatan Netanyahu, le frère aîné de Benjamin. Le Premier ministre a saisi l’occasion pour réaffirmer l’importance de la lutte contre le terrorisme, au cœur de sa politique africaine. En s’adressant aux pays de la CEDEAO début juin, il n’a pas hésité à en faire la promotion, encore une fois. Depuis la période post-coloniale, l’État hébreu vend des armes, forme des unités d’élite et échange des renseignements avec ses alliés africains. Pour Emmanuel Navon, “l’expertise israélienne en matière de sécurité a même repris de la valeur avec la montée des groupes jihadistes dans le Sahel au cours des dernières années”. Une occasion de se repositionner comme un incontournable.
Israël réussira-t-il à convaincre ? Les experts en doutent. “Les pays africains entretiennent encore des liens forts avec les pays arabes et l’influence de l’Iran est grandissante”, soulève Emmanuel Navon. Devant les Nations Unies, les leaders des pays africains à forte population musulmane hésiteront à changer leur vote pour plaire à l’État hébreu, au risque de provoquer sa colère. “Ils ne changeront pas d’allégeance à court terme même si, au fond, ils apprécient Israël”, croit l’ancien diplomate Arye Oded. Après avoir parrainé un vote contre l’expansion des colonies en Cisjordanie devant le Conseil de sécurité de l’ONU en décembre dernier, le Sénégal avait subi les foudres d’Israël avec un rappel immédiat de l’ambassadeur et l’annulation du programme d’aide. Si la crise a pris fin en marge du sommet de la CEDEAO, l’occupation israélienne reste un boulet pour l’État hébreu. “Certains pays africains peuvent percevoir Israël comme un pays d’apartheid et colonialiste”, observe le chercheur Ely Karmon. “Israël revient en Afrique et l’Afrique revient en Israël”, a martelé Benjamin Netanyahu. Au cours des dernières années, des dizaines de dignitaires africains ont fait le déplacement au Proche-Orient pour le rencontrer. L’offensive diplomatique israélienne se poursuivra en octobre lors du premier sommet Israël-Afrique qui se tiendra au Togo, l’un des meilleurs amis des Israéliens sur le continent. Bien que la liste d’invités reste incertaine, Israël usera de ses atouts pour les convaincre qu’il mérite de retrouver sa place d’État observateur à l’Union Africaine. L’opération charme ne fait que commencer.
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