Football: Le Rapide Oued Zem, lentement mais sûrement

L’équipe d’Oued Zem a rejoint l’élite de la Botola Pro. Le club presque centenaire est désormais la vitrine médiatique d’une localité qui, jusque-là, se coltinait l’image de capitale mondiale de la sextorsion.

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Certains l’ont baptisé le Leicester City du Maroc en raison du maillot bleu et blanc du club. Et la comparaison avec la Grande-Bretagne ne s’arrête pas là. Pile poil avec l’anniversaire de la Reine Elisabeth, le 21 mai, le club fêtait ses 91 ans et sa montée en première division.

Pendant qu’au palais de Buckingham on mettait les petits plats dans les grands pour fêter l’événement, à Oued Zem, la liesse populaire battait son plein pour célébrer le club de la ville après sa victoire, la veille, contre le Wydad Témara. “Depuis la montée en seconde division il y a un an, le stade municipal de la ville fait le plein chaque semaine. Assister au match du club est devenu la principale occupation des habitants. A l’occasion de la rencontre contre le Wydad Témara, des MRE originaires d’Oued Zem ont fait le déplacement depuis l’Espagne en convois de voitures pour assister au sacre”, souligne le journaliste Rachid Rifi, originaire de la ville, qui suit la vie du club depuis des années.

Montée en puissance

Résultat inhérent au succès, des stars du club, comme Younes Ougounna, Zahraoui, Haibour ou encore Mohamed L’majhed, connues uniquement des lecteurs assidus des pages sport de la presse arabophone, auront bientôt droit à leurs portraits dans des médias où l’on ne débat pas, en temps ordinaire, des vertus du 3-4-3 vs le classique 4-4-2. Et tous les joueurs de l’équipe — y compris ceux qui seront débauchés par les grandes écuries de la Botola Pro — lâcheront leur commentaire d’après match sur Radio Mars et évolueront dans des stades de 30 000 places minimum. Fini sans doute les tajines dans les stations-service en pleine cambrousse, bonjour les bus climatisés et la diététique du sportif de haut niveau. Un changement brutal de statut social pour des footballeurs qui cachetonnaient à 6000 dirhams par mois pour les mieux lotis. “Nous avons misé sur le collectif, avec pour objectif de se maintenir en D2. À l’entame de la phase retour de la saison, l’équipe s’est métamorphosée et a enchaîné les victoires. Nous avons commencé à avoir de l’ambition”, confie Amine Nouara, président du club depuis 2016. Ce médecin, qui tient les rênes du Rapide Oued Zem depuis 2016, pas impressionné par les moyens financiers des équipes phares de la Botola Pro, soutient mordicus — et un peu naïvement — qu’il ne se fera pas dépouiller de ses meilleurs joueurs. “Nous allons conserver la même ossature en l’alimentant avec les juniors qui pourront saisir leur chance”, martèle-t-il. Amine Nouara s’arcboute sur un romantisme sportif, lui qui, tout président qu’il est, a été médecin de l’équipe pour économiser un salaire. L’équipe a tourné cette saison avec un budget de près de 7 millions de dirhams, et, paradoxalement, sans avoir l’OCP comme sponsor, contrairement aux autres villes phosphatières. “Alors que le sport se développait à Khouribga, Oued Zem n’a jamais vu la couleur de l’argent de l’OCP. Pourtant, la mine de Bir Khayran est parmi les plus anciennes et représente le plus important gisement de phosphates de la région”, relève Rachid Rifi. A défaut de l’OCP,  le club payait ses factures grâce à la manne financière d’une usine de coton locale, jusqu’en 2002, année où l’entreprise a mis les clés sous le paillasson.

Un petit air de Paris

Et pourtant, le Rapide Oued Zem est  l’un des clubs les plus anciens du Maroc, presque aussi âgé que cette vieille dame qu’est la Juventus Turin. Les premières traces écrites du club remontent aux années 1920. A cette époque, un groupe de footballeurs français invite une équipe autrichienne très proche des milieux ouvriers, le Rapid Vienne, à jouer un match au Petit Paris, le surnom d’Oued Zem à l’époque du protectorat. De cette solidarité entre prolétaires, le club tirera son nom, six ans plus tard, et gardera la misère, définitivement abonné à la loose, à l’image de la ville et de la région. Et de ses supporters les plus fidèles qui se sont donné comme nom les Ultras martyrs. “En 91 ans, le club n’a rien remporté. Pendant des décennies, il a évolué dans le ventre mou, oscillant entre la seconde division et les amateurs. Oued Zem a dû attendre jusqu’en 1984 pour marquer les esprits. Cette année-là, en quarts de finale de la coupe du trône, le Rapide a éliminé le Raja de Casablanca, avant de s’incliner en demi-finale aux tirs au but contre la Renaissance de Kénitra.  Sans ressources, Oued Zem représente le Maroc jugé inutile, qui ne touche même pas les dividendes de sa richesse, le phosphate”, juge Rachid Rifi. Une situation qui a fait basculer la ville dans la fragilité et le chômage qui frappe la jeunesse de la ville, obligée de choisir entre migrer à l’étranger ou le système D en marge de la légalité. Les jeunes d’Oued Zem, ne sachant pas taquiner le cuir, se sont lancés dans la sextorsion avec pour cible prioritaire les Khalijis, avant d’extorquer de l’argent à des ressortissants du Royaume-Uni. Cette activité illégale était si prégnante qu’elle a valu à Oued Zem une enquête de deux instances britanniques, la National Crime Agency (NCA) et la National Police Chiefs Council.

L’école de la Curva Sud

“Oued Zem est très liée au club du Raja. Lors du dernier match contre le Wydad de Témara, plusieurs joueurs et supporters des Verts ont fait le déplacement pour assister à la rencontre. L’entraîneur Adil El Bakkari est un ancien joueur du Raja, comme le vétéran Rachid Slimani, qui transmet son savoir aux jeunes joueurs”, indique Rachi Rifi. Aujourd’hui, le club compte dans son effectif quatre anciens joueurs du Raja, deux Sénégalais et des joueurs du terroir. Un effectif qui a été mis en place par l’ancien entraîneur, Zouhair, en 2016, l’année de la remontée du club en seconde division grâce à un match qui été qualifié de scandale. On rembobine. Alors que le Rapide Oued Zem affrontait la Renaissance sportive de Settat pour le compte de l’avant-dernière journée du championnat amateur Sud (1ère division), le gardien settati quitte sa cage sans raison pour aller se balader sur la pelouse, permettant ainsi à Oued Zem de marquer un but et prendre la tête du classement avec un point d’avance sur l’Ittihad Athlétic Sport (TAS). Ce dernier a crié au scandale et saisi la commission d’éthique de la Fédération royale marocaine de football (FRMF). En vain. Pour donner du crédit à la victoire d’Oued Zem, le patron de la FRMF, Fouzi Lekjaâ, a fait le déplacement dans la ville pour fêter l’exploit avec la population. “J’ai filmé l’action et remis l’enregistrement à la FRMF qui a blanchi le club d’Oued Zem et validé le résultat”, raconte Rachid Rifi. De mauvaise foi, comme tout supporter qui se respecte.

Par Naoufel Tber

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