Dans le rapport présenté le 24 avril, les magistrats de la Cour des comptes plantent d’emblée le décor: depuis sa création en 2010, la Société d’investissements énergétiques (SIE) « n’a enregistré aucun bilan positif« . Détenue par l’État et le Fonds Hassan II, à hauteur de 71 % et 29 % respectivement, la société a pour mission principale de financer et développer les projets liés aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Pourtant, en six ans, le bras financier de l’État, comme se présente la société sur son site, « n’a réussi à développer qu’un seul projet sur la base de quarante projets étudiés« , révèle le rapport de la Cour des comptes.
Les raisons de cet échec ? D’abord, un positionnement stratégique qualifié de flou. « Les statuts de la société ont un caractère général, dans la mesure où les missions assignées à la SIE sont étendues et concernent la réalisation d’un mix énergétique au Maroc. Toutefois, la Société a été créée dans l’objectif de la pérennisation du fonds de développement énergétique comme levier des financements destinés aux investissements et aux projets rentables, et qui visent le développement et la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique« . Et ce n’est pas tout. « La rentabilité commerciale qui constitue l’un des éléments importants dans le choix de filières énergétiques n’a pas été retenue parmi les critères d’analyse des principales sources d’énergie. Les projections effectuées n’étaient pas suffisamment étayées à cet égard« , précisent les magistrats.
Les auteurs du rapport relèvent également que les conclusions du document stratégique de la SIE « sont basées sur des informations à caractère général, et ne prennent pas en considération les réalités du marché national« . À titre d’exemple, la Cour des comptes relève que: « pour l’exploitation de la filière éolienne au niveau territorial, la stratégie conclut que la situation du Maroc ne présente pas de difficultés majeures à gérer de façon acceptable les impacts environnementaux du développement de l’énergie éolienne. Or, le développement de l’éolien souffre, actuellement, des entraves liées au problème du foncier« .
Il en est de même pour l’analyse de l’impact économique liée à l’exploitation, la maintenance et la construction des parcs éoliens. « La stratégie ne donne pas de propositions concrètes« , note le rapport.
Business plan bancal
Quels sont donc les rôles, les modes et les moyens d’intervention de la SIE ? La stratégie ne le dit pas. « En fait, elle n’a pas précisé si l’on doit agir via un investissement direct, ou via des véhicules financiers, sachant que l’objectif initial est de pérenniser les fonds, les rentabiliser pour les réinvestir« , précise le rapport. Quid de sa position au milieu des autres acteurs? « La définition des rôles de la SIE n’a pas pris en considération l’intervention des autres intervenants dans le secteur. Ainsi, le positionnement de la SIE est resté mitigé et sa capacité à créer de la valeur dans chacun des domaines de la chaîne de la valeur globale du secteur n’est pas clarifiée« , explique le texte. Quant aux critères de rentabilité, ils n’ont pas été établis. « Le business plan se limite à définir les dépenses de fonctionnement et d’investissement, et ne prend pas en considération ni le coût de revient du KWT ni le taux de rentabilité interne« .
2012, rebelote
En 2012, la SIE fait appel à un cabinet de conseil pour revoir sa stratégie. Problème, « la révision de la stratégie en 2012 n’a pas pu corriger le positionnement de la SIE dans le paysage institutionnel, ni formaliser les objectifs stratégiques assignés au secteur. La société a ainsi reconduit la stratégie de 2010« . Résultat: la stratégie de 2012 est une copie de celle de 2010. Le rapport de la Cour des comptes relève aussi le « non-établissement d’un état des lieux permettant de définir les besoins et évaluer les mutations rapides qu’a connu le contexte énergétique marocain. De plus, la stratégie énergétique du pays a connu une évolution depuis 2010« . Ainsi, au lieu de s’atteler à la réalisation des grands projets, la SIE a vu ses missions « s’étendre à des projets de petite taille (…) et son champ d’intervention s’est élargi vers d’autres secteurs et vers l’efficacité énergétique« , constate le rapport. Autre problème: la société donne la priorité à l’énergie solaire. « Or, concernant cette filière, les acteurs publics et privés impliqués affirment leur positionnement. À titre d’exemple, Masen a créé sa propre structure d’investissement (Masen Capital), ayant pour objet de prendre des participations à hauteur de 25% dans les sociétés qui seront constituées suite aux appels d’offres en cours« , relèvent les magistrats de la Cour des comptes. Un constat qui remet en question la raison d’être de la SIE « qui consistait à confier à cette dernière la fonction d’investissement dans les énergies renouvelables « .
La répartition des moyens n’échappe pas non plus aux critiques de la Cour des comptes: les programmes éoliens et solaires « accaparent à eux seuls 80% du capital ». Le reste, soit quelque 760 millions de dirhams, est insuffisant pour les autres projets, « notamment ceux en relation avec les chauffe-eau solaires et les équipements relatifs à l’efficacité énergétique« .
Pas de contrat-programme
La loi relative au contrôle financier de l’État sur les entreprises publiques n’a pas été respectée, car il n’existe aucun contrat-programme entre l’État et la SIE. « Ledit contrat aurait dû constituer le cadre de référence engageant les acteurs impliqués d’une manière claire autour d’un diagnostic, d’une stratégie, des objectifs et des moyens », indique le rapport. La Cour des comptes estime également que la démarche de la société publique, « fondée sur des véhicules financiers thématiques […], n’a pu capter ni les investisseurs nationaux, ni internationaux « .
Qu’en est-il du positionnement de la SIE par rapport à l’ADEREE? « Les relations entre les deux partenaires ne sont pas optimales étant donné qu’elles souffrent d’un manque de clarté. Ce qui a favorisé une concurrence entre ces deux acteurs », estiment les magistrats.
Qu’en est-il de ses relations avec l’Agence marocaine d’énergie solaire (Masen)? Elles « sont devenues de moins en moins visibles« . « La réalisation du programme solaire a été confiée à Masen qui a mis en place, à cet effet, un cadre institutionnel et un schéma de financement pour l’obtention d’emprunts avec des conditions préférentielles. De plus, elle (Masen) a créé sa propre structure d’investissement dédiée (Masen Capital) devant servir comme un véhicule pour la gestion des opérations de financement et de prises de participations dans les projets solaires », détaille le rapport. Conséquence: « La SIE n’a pas pris part dans la réalisation du programme solaire et sa contribution s’est limitée à une participation passive aux réunions du conseil de surveillance de Masen« .
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