Nasser Larguet: "On parle beaucoup trop des binationaux"

Si les lions de l'Atlas ont atteint leur objectif des quarts de finale lors de la CAN 2017, tous les maux du football marocain ne sont pas encore soignés. Le directeur technique national nous éclaire sur les détails de la nouvelle stratégie de la FRMF.

Par

crédit : Rachid Tniouni

Depuis sa nomination comme directeur technique national (DTN) en 2014, il s’emploie à insuffler un vent nouveau dans le football marocain entre le développement des infrastructures, la préparation des éducateurs, ou encore la priorité donnée à la formation. Les défis sont multiples. Rencontre avec un technicien qui dit « nous » quand il parle de son travail de dirigeant.

Telquel.ma: Aujourd’hui, l’action de la direction technique nationale dans le paysage du football marocain reste assez floue. Pouvez-vous nous préciser son rôle dans la nouvelle stratégie de la fédération?

Nasser Larguet: La DTN est un organe de la FRMF. Les gens la perçoivent comme un élément isolé or, elle est choisie par le président de la fédération et les membres fédéraux pour définir une politique technique nationale, mais aussi la politique technique de la fédération. Ma mission par rapport au président, c’est d’organiser et d’animer cette DTN.

Aujourd’hui, nos objectifs s’articulent autour de trois axes. Il y a d’abord le développement des pratiques qui consiste à s’assurer que sur l’ensemble du royaume, un maximum de personnes pratique le football tous les jours. C’est un travail que nous effectuons en collaboration avec les ligues régionales, le scolaire, les associations, et la jeunesse et les sports. C’est notre plus gros chantier.

Ensuite, il y a le cœur, la formation des cadres. Il s’agit en clair de la formation des entraîneurs, et avant tout de la formation des éducateurs. Enfin, le troisième volet concerne le haut niveau. Il concerne les centres de formation des clubs professionnels et les centres fédéraux qui seront gérés par la fédération.

Sur ce dernier volet, la FRMF parlait de centres de formation « régionaux »…

Je préfère les appeler centres fédéraux, pour éviter d’être ambigu. Si on parle de centres régionaux, la région va s’approprier le concept, et les ligues vont se déchirer dessus. Ces centres dépendront entièrement de la fédération, du financement jusqu’au fonctionnement. C’est nous qui recruterons les entraîneurs, le personnel et les joueurs.

Quelle partie de votre mission concerne les sélections nationales?

Nous avons effectivement un rôle d’assistance pour les différentes sélections nationales. Seule l’équipe A et partiellement les A’ ne sont pas directement sous notre responsabilité. Les A’ sont conjointement dirigés par Hervé Renard et nous-mêmes.

Comment se répartissent les tâches entre la DTN, le sélectionneur national et son staff?

La DTN est au service des sélections et de l’entraîneur. S’il a besoin de cadres pour superviser des joueurs, nous les lui fournissons. Avec Badou Zaki et M’hamed Fakhir, nous n’avions pas cette relation-là. Ils travaillaient plus en autonomie. Aujourd’hui, nous avons vraiment une relation très étroite avec Hervé Renard. Nous lui avons fourni un entraîneur des gardiens, Philipe Sence, ainsi qu’un analyste vidéo, Cédric Tafforeau. Nous sommes à sa disposition, et quand il doute sur un joueur il nous appelle. Dernièrement, il nous a demandé de réunir les A avec les A’ pour une revue d’effectif à Marrakech. Ça prouve que nous avons vraiment une grande relation professionnelle.

Aujourd’hui, l’équipe nationale s’appuie beaucoup sur les joueurs formés et évoluant en Europe. Le Maroc est-il toujours capable de former des joueurs locaux de niveau international ?

Notre football national essaie de rattraper son retard sur la formation des joueurs. Entre un joueur marocain né en Europe, évoluant en Europe, et un joueur marocain né et formé ici. Il y a entre 7 et 8 ans de différence de formation. Au Maroc, la formation des jeunes commence à 14 ans. Or, une formation doit débuter à 6 ans. Les écoles de foot marocaines ont des joueurs de 6 à 13 ans, mais ce sont des enfants qui rentrent dans un circuit qu’on appelle école de loisir. Il y a parfois 500, 600, 1.200 gamins pour un seul terrain! On ne peut pas les former.

La formation d’un joueur de foot, c’est comme à l’école. Commencer à 14 ans, c’est comme si l’enfant rentrait directement au collège. En Europe, on commence la formation à 6 ans. On essaie de rattraper ce retard et certains clubs travaillent bien. En 2007, Sa Majesté a juste décidé d’ouvrir l’académie Mohammed VI pour rebooster l’esprit de formation au Maroc.

Les centres fédéraux fonctionneront-ils de la même façon que l’académie Mohammed VI ? 

Exactement. Depuis cette saison, le président Fouzi Lekjaâ a demandé que la DTN s’implique davantage dans les centres de formation existant déjà. En nommant un directeur de centre et un préparateur physique -payés par la fédération- et en finançant le matériel nécessaire pour accompagner les clubs dans la formation. Ils doivent suivre les programmes établis par la DTN. On les aide à recueillir toutes les données sur les jeunes joueurs, et on les accompagne pour les interpréter et leur montrer la façon de travailler. Avant, on formait des cadres, mais on ne développait pas les pratiques. C’est ce vide que la nouvelle stratégie entend combler.

Hamza Mendyl et Youssef En-Nesyri sont actuellement les seuls joueurs formés à l’académie Mohammed VI à évoluer en équipe A. Quelles sont vos prévisions sur les capacités des centres de formation à fournir des jeunes capables de jouer pour l’équipe nationale ?  

On parle beaucoup d’eux, car ce sont les premiers joueurs à avoir suivis tout le cursus de l’académie. Ils ont été recrutés à  12-13 ans et ils ont eu la chance d’aller dans des clubs qui ont continué la formation. Le problème, c’est que l’intégration d’un jeune joueur de 18-19 ans, c’est quasiment impossible ici au Maroc.

Ici, on estime qu’à 25 ans un joueur est encore jeune, mais à cet âge là, il ne lui reste plus beaucoup de temps. Les clubs doivent comprendre qu’à 18 ans, c’est le moment de donner leur chance à ces gamins. Le FUS le fait, le WAC l’a fait avec Toshak. C’est donc possible. Je vais vous donner une statistique. Sur 18 joueurs de la génération 97-98 qui ont suivi le cursus de l’académie Mohamed VI, 17 ont signé un contrat pro. Parmi eux, on a Mendyl à Lille, En-Nesiry à Malaga et Nouader à Nancy. Tous les autres sont dans les clubs marocains.

Maintenant, les gamins peuvent faire du football leur métier. Les sélections de jeunes sont truffées de joueurs de l’académie. Deux gamins de 19 ans qui jouent la CAN (Mendyl et En-Nesiry), c’est exceptionnel! Ça veut dire que nous avons la capacité de détecter de jeunes talents, de les former ici, et ensuite à avoir des joueurs titulaires à la CAN. Et je pense qu’ils ont tiré leur épingle du jeu.

Le problème se situe-t-il plus au niveau de la détection des clubs de Botola ?

Effectivement, nous avons un problème de détection. Dans les années 70-80, tous les clubs avaient un excellent recruteur, et on sortait d’excellents joueurs. À un moment, vous aviez des gens dans les clubs qui allaient prospecter dans les villages et les quartiers. Ils dénichaient des gamins, ils travaillaient avec eux. On arrivait à sortir des Bouderbala, des Haddioui, des Krimau, des Naybet.

Après, dans les années 90-2000, on s’est contenté d’aller recruter des joueurs, de les prendre en prêt. Les clubs ont eu de l’argent donc on a choisi la facilité: acheter des joueurs. L’investissement c’est dans la formation qu’il faut le faire, pas dans l’achat et vente.

Au Maroc, on ne peut pas passer à côté de la formation. Nous avons 32 millions d’habitants, une population extrêmement jeune, un potentiel énorme. La véritable formation a existé chez nous. Moi, j’ai grandi à Kénitra, il y avait un monsieur qui s’appelait Souiri. Il prenait sa moto, il sillonnait tous les quartiers. Quand il voyait un gamin jouer au football, il le prenait avec lui. Kénitra a sorti des internationaux de la trempe de Khalifa, Bouyahyaoui, ou encore Boussati grâce à ce mec-là, et à un président qui défendait les valeurs de la formation.

Votre parcours d’ancien dirigeant de centres de formation en France, a-t-il compté pour votre nomination à la tête de la DTN?

L’objectif quand on m’a recruté, c’était d’amener un concept, de mettre en place un centre de formation de standard international, l’académie Mohammed VI. J’ai établi un cahier des charges par rapport à ce que j’avais observé en France. Après, j’ai eu carte blanche pour recruter les joueurs et le personnel. Je venais avec un concept français, pour faire un copier-coller.

Reproduire des infrastructures, ce n’est pas un problème, mais pour changer une philosophie, c’est différent. Je n’avais pas pris en compte la différence de formation entre les Marocains formés en Europe et ceux formés au Maroc. À force de travail, en 6 mois, nous avons rattrapé le retard. Maintenant, ce que nous avons fait avec l’académie, on souhaite le dupliquer, notamment auprès des centres de formation fédéraux. Les programmes de travail sont maintenant transposables, et on les applique dans tous les clubs de première division. On leur a demandé de mettre en place 75% du programme, et on a laissé 25% à l’appréciation du club, car chaque club est spécifique.

On parle beaucoup de la formation en Europe. En ce qui concerne la situation des joueurs binationaux, comment la DTN les accompagne-t-elle?

La première chose qui a été faite quand j’ai pris mon poste à la DTN, c’est de commencer à superviser tous les joueurs binationaux. On a des scouts en Europe, ils ont observé les joueurs. J’ai ensuite été voir les clubs, et je leur ai parlé de notre projet. Notre vision des choses sur les binationaux, elle est très claire. Nous ne sélectionnons un joueur que s’il est convaincu à 100% de jouer pour le Maroc. S’il a 5% de doute, on lui dit: « ne fais pas ce choix« . Par contre, on l’invite à venir jouer des matches amicaux avec nous, pour qu’il puisse peser le pour et le contre.

Nous avons ensuite présenté notre projet aux joueurs et à leurs parents. Beaucoup ont adhéré. Notamment un premier jeune, natif de 1998, c’est Achraf Hakimi qui joue au Réal Madrid. Nous l’avons détecté avant les Espagnols. Il a disputé des tournois avec nous, et à un moment, l’équipe d’Espagne l’a convoqué. Nous lui avons dit que nous ne trouvions aucun inconvénient à sa convocation avec l’Espagne. C’est à nous d’être performants dans notre relation humaine avec l’individu, pour qu’il soit dans les meilleures conditions, et qu’il choisisse de jouer pour nous. Le problème avec les binationaux, c’est qu’avec Hervé Renard, nous avons été chercher des jeunes joueurs. Du coup, quand on les appelle, ils veulent jouer pour le Maroc, mais avec la A. Pour les sélections de jeunes, ça peut poser un problème.

Bénéficient-ils d’un statut particulier au sein des sélections ?

Non, aucun, jamais. Personnellement, je me l’interdis. Il n’y a aucun passe-droit. Une équipe nationale, c’est sacré. Je ne vais pas payer un joueur pour venir jouer avec nous. Si tous les joueurs viennent en business class, tous viennent en business class. S’ils doivent venir en économique, c’est tous en économique. On parle beaucoup trop des binationaux, et on oublie qu’il y a des locaux. Ces locaux, il faut travailler avec eux. Il faut leur donner une chance. Notre motivation et notre axe de travail à la DTN, c’est bien sûr, le suivi des binationaux, parce qu’il faut un jour leur donner la chance de jouer pour le Maroc. Mais il faut aussi se focaliser sur ce qu’il y a ici. Aujourd’hui, pour les A’ (les locaux), Hervé Renard nous dit de prendre des jeunes. Ces jeunes justement, n’ont perdu qu’un seul match sur les dix disputés au cours des huit derniers mois.

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