Quand les Etats-Unis se préoccupaient de la succession de Hassan II

En août 1982, la CIA publie un rapport interne sur la succession de Hassan II. L'agence dresse un petit état des lieux qui reflète la vision des Américains sur les forces en place au Maroc, et sur le prince héritier.

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« Nous pensons que Sidi Mohammed devrait suivre la position modérée et pro-occidentale [de son père] dans les premières années de son règne« , indique la CIA en 1982 dans une note interne disponible parmi les 930 000 documents mis en ligne par l’agence américaine de renseignements.

Alors que Hassan II a 52 ans, les Américains se préoccupent de la succession du roi dans un Maroc secoué par des troubles économiques et sociaux. Ils envisagent alors toute une série de scénarii possibles. Alors qu’il est « improbable qu’Hassan II abdique« , l’option la plus attendue reste la succession assurée par son fils aîné, celui qui deviendra Mohammed VI.

« Sidi Mohammed », 19 ans, est alors reconnu comme étant le prince héritier. « Très peu de choses sont connues sur la personnalité du prince héritier et sur ses attitudes politiques« , indique le document qui a été amputé d’une partie de son contenu pour des raisons de sécurité.

sidi mohamed 1982 CIA

Le document rappelle tout de même que le futur Mohammed VI a été « rigoureusement élevé depuis son enfance pour être l’héritier du trône marocain« . Il apparaît régulièrement aux côtés de son père. « Suivant la tradition alaouite, il est peu probable que Hassan change d’avis et nomme Moulay Rachid successeur« , relève le document.

Les forces au pouvoir

Selon les Américains, la possibilité d’un nouveau coup d’État est très peu probable en 1982. « Au moins au début de son règne, la clique du palais loyale à Hassan II devrait dominer les conseillers de Sidi Mohammed. Leur lutte pour le pouvoir pourrait cependant affaiblir le contrôle de Sidi Mohammed sur les instruments du pouvoir« , précise la note.

Dans le viseur des Américains: Ahmed Dlimi, conseiller militaire et chef des renseignements de Hassan II – et Driss Basri, ministre de l’Intérieur. Les États-Unis anticipent une « confrontation entre Basri et Dlimi dans un Maroc post-Hassan II« . « Nous jugeons que le manque de pouvoir fort de la part de Basri le pousserait à soutenir n’importe quel successeur« , précise la note. Seul Dlimi est donc capable d’être une figure politique forte et indépendante, quoique fervent défenseur de la monarchie.

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Les Américains estiment également qu’un coup d’État militaire serait difficile à réaliser au Maroc à cause de l’efficacité de l’appareil sécuritaire de Dlimi. En tout cas, ils ne comptent pas sur les partis politiques : « [Ils] s’opposeraient sûrement à un coup d’État, mais ils seraient incapables de s’emparer du pouvoir dans les prochaines années« .

Des contestations sociales peu crédibles

Les États-Unis considèrent que les partis politiques marocains sont faibles. La CIA prédit d’ailleurs les difficultés de l’Union socialiste des forces populaires (USFP). « Si une succession normale est effectuée, l’USFP va sûrement essayer sans succès de presser la monarchie d’effectuer des changements sociaux. Le parti aura des difficultés à devenir une voix influente dans le Maroc post-Hassan car son leadership a été virtuellement émasculé et ses activités réduites« , indique la note.

Face aux tensions économiques et sociales qui agitent le pays pendant les « années de plomb« , les États-Unis estiment que les mouvements d’opposition « ne sont pas suffisamment organisés pour renverser le régime« . « Dans le cas de troubles massifs populaires – une possibilité dans les années à venir si les problèmes économiques s’aggravent – les forces armées pourraient intervenir« , pensent-ils. Une analyse à remettre dans le contexte de guerre froide où les États-Unis luttent contre l’extension de l’influence communiste.

Les autorités américaines pensent à l’époque que Sidi Mohammed aurait plus de difficultés que son père à faire valoir son statut de commandeur des croyants. La CIA pense en revanche que, faute d’un « leader charismatique« , il est très peu probable que les fondamentalistes prennent le pouvoir en cas de décès de Hassan II.

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