L’extrait est parlant. Mohammed VI, visiblement détendu, s’adresse à Nazraly Nour’Aly, en marge de son déplacement à Madagascar. Cet homme de 87 ans, qui fut le porteur de messages du grand-père du monarque, au temps de l’exil, se voit offrir, avec sa femme, une invitation à se rendre de nouveau au Maroc. Le regard bienveillant porté par Mohammed VI sur son interlocuteur, montre ici tout le respect du monarque pour celui qui a joué, jadis, un rôle fondamental pour la famille royale marocaine. Du respect, l’homme en bénéficie dans son pays, tant il a œuvré pour les enfants malgaches, depuis des décennies. Portrait de cet homme aux mille vies, qui accepté d’ouvrir son cœur et son album photo à Telquel.ma.
Le plus marocain des Malgaches
De 1947 à 1953, des manifestations et répressions ont éclaté dans tout le Maroc. Pour étouffer le désir d’indépendance du royaume sous protectorat, le sultan Mohammed V est expédié par la France, le 20 août 1953, d’abord en Corse puis à Madagascar. A l’arrivée de la famille royale à Madagascar, toute la communauté musulmane de l’île est allée prier dans une petite mosquée d’Antsirabe. « C’est à ce moment là que nous nous sommes rencontrés », se rappelle Nazaraly Nour’Aly. « Deux familles ismaéliennes, les Karmaly et les Nazar’Aly invitaient les jeunes princesses et les deux princes Moulay Abdallah et Moulay Hassan. Très vite, nous nous sommes familiarisés.»
A son arrivée à Madagascar, le prince et futur roi Moulay Hassan avait l’âge de Nazaraly Nour’Aly. Très vite, des liens d’amitiés sont nés entre les deux hommes. « Nous sommes très vite devenus comme des frères », confie ce dernier. « Nous nous amusions ensemble, nous allions à la piscine, au tennis et des fois dans le night-club de la ville. »
Du sultan Mohammed V, Nour’Aly garde le souvenir d’un homme simple, cordial, mais soucieux. « On sentait que le devenir de son royaume le préoccupait ». Se promenant dans les rues d’Antsirabe avec lui, Nour’Aly écoutait religieusement les histoires de Mohammed V sur les trahisons des dirigeants français à son égard, de son regret de constater son véritable origine, descendant du prophète Mohammed par l’Imam Ali et sa fille Fatima et de Hassan le fils aîné de Ali et Fatima.« Pour mémoire, il est bon de savoir que les ismaéliens sont par le Prince Karim Agakhan descendants direct de l’Imam Houssein, le frère de Hassan», nous rappelle Nour’Aly, comme pour expliquer la proximité naturelle qui s’est construite à l’arrivée de la famille royale à Madagascar.
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De par les liens très étroits qu’il entretenait avec le Prince Hassan, le docteur Nour’Aly prêta serment de fidélité et de confidentialité à Mohammed V, qui lui demanda de devenir son messager personnel. A l’époque, sous prétexte d’assurer leur sécurité, l’administration coloniale exerçait une étroite surveillance de la famille royale. Il leur était ainsi difficile de communiquer avec l’extérieur. Toutes les correspondances étant censurées ou, au mieux, filtrées.
Dès lors, comme nous le confie Nour’Aly, Mohammed V fait apprendre par cœur à ce dernier, les messages à transmettre à Paris ou à Rabat. C’est par l’intermédiaire de Nour’Aly que Mohammed V organisera la conférence des Pays Non Alignées. Dans son « Devoir de mémoire », que nous nous sommes procurés, Nour’Aly explique se considérer « non seulement comme un Marocain, mais aussi comme un vrai membre de la famille royale ».
Pour remettre en place les relations entre le Maroc et Madagascar, brisées par la reconnaissance du Polisario par le régime de Ratsiraka, il luttera pendant plusieurs années pour expulser le mouvement séparatiste. « Les années sombres de la révolution socialiste malgache ont vu la grave détérioration des relations entre les deux pays, après l’épisode saharaoui », rapporte-t-il. Ce dernier, arrêté et torturé à plusieurs reprises sous le régime de Ratsiraka, s’est toujours élevé contre les « actions vindicatives perpétrées par le régime malgache. »
Reconnaissant de son courage et de son abnégation, Hassan II l’accueillera comme un frère à plusieurs reprises au Maroc. En 1979, un mois de séjour royal lui sera offert, en compagnie de sa sœur. Quatorze années plus tard, Nour’Aly effectuera sa première visite au sein d’une délégation présidentielle malgache, au Maroc. Il assistera à cette époque à l’inauguration de la Grande Mosquée Hassan II de Casablanca. Enfin, en 2005, il viendra, sur invitation de la princesse Lalla Amina, en compagnie du président malgache Marc Ravalomanana. Lors de son récent passage à Madagascar, Mohammed VI a invité le docteur Nour’Aly et son épouse à venir célébrer la prochaine fête du trône au Maroc.
Prophète en son paysD’origine iranienne, le docteur Nour’Aly est né à Marovoay, une commune urbaine de Madagascar. Neurochirurgien et pédiatre reconnu dans son pays, il est aujourd’hui célèbre pour avoir éradiqué la polio à Madagascar. Se rendant depuis des années dans les régions reculées de l’île, il s’est toujours donné comme mission d’aider les jeunes malgaches, et notamment des plus défavorisés. « Si personne ne les traite – s’ils ne savent pas où ils doivent se rendre, en particulier les gens qui vivent dans la brousse ou dans les zones rurales – alors ils meurent, ou ils deviennent complètement invalides et meurent dans des souffrances atroces en un an au maximum », déclarait-il en 2011, dans un article du site d’informations irinnews.org, consacré à l’hydrocéphalie, maladie dont souffrent encore de nombreux enfants malgaches. Passionné, il s’investit tout au long de sa vie dans de nombreuses causes. En 2004, il fondera l’ONG Global Medical Centre, après avoir participé à un programme de vaccination contre la polio organisé sur trois ans à Madagascar par des agences des Nations Unies, à la fin des années 1980. Il convaincra le gouvernement malgache, d’obtenir, pour le compte de son ONG 24 lits supplémentaires dans un hôpital public d’Antananarivo et un accès direct à une table d’opération, de façon à proposer à prix réduits, des soins essentiels aux enfants les plus démunis. « L’hydrocéphalie n’est pas une maladie curable, mais des procédures médicales permettent de réduire la pression sur le cerveau : grâce à elles, ces enfants peuvent grandir normalement, aller à l’école et pratiquer des sports non violents, leur espérance de vie pouvant atteindre 30 ans», explique-il à ce propos. Depuis 2004, plus de 1000 enfants ont ainsi été soignés grâce au Global Medical Centre. La malnutrition, maux qui ronge Madagascar de plein fouets -Selon un rapport du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), 50% des enfants malgaches souffriraient d’un retard de croissance lié à la malnutrition chronique- constitue aussi l’une des préoccupations du médecin. En 2012, il s’est rendu aux Etats-Unis, à la rencontre des hauts dirigeants des instances onusiennes pour sensibiliser ces derniers au sort subi par Madagascar et lever ainsi des financements. Son histoire, c’est aussi celle qui le lie à son épouse, très active également dans la lutte contre la polio. Elle a longtemps dirigé le Centre Olom Baovao, le premier orphelinat et hospice de Madagascar, qu’ils ont fondé à deux, dans les années 1950. Le plan de vaccination a permis de vacciner plus de 10 millions d’enfants, selon les chiffres avancés par le site d’informations réunionais Zinfos974.com. Pour ses nombreuses actions dans le social et l’humanitaire, Nazaraly Nour’Aly a obtenu pas moins d’une vingtaine de distinctions honorifiques. Retraité ? Non merci !Grand passionné de sport, Nour’Aly a fondé et dirigé la fédération malgache de volley-ball et de cyclisme. Cet homme multi-casquettes a un parcours atypique. Même le temps ne semble pas avoir d’emprises sur lui. « Aujourd’hui encore, il refuse de prendre sa retraite, et est toujours enthousiaste à l »idée de relever de nouveaux défis humains », explique à ce propos le collectif à l’origine du film Fihavanana, un documentaire sur la création d’un village accueillant des milliers de sans abris condamnés à vivre dans une décharge publique. Un projet auquel le docteur Nouraly a participé. « Ce film est un appel à agir, un cri de révolte contre les inégalités de ce monde, et surtout un message d’espoir qui affirme que chacun de nous peut contribuer à rendre ce monde meilleur », explique ce même collectif. Nour’Aly, lui, s’est déjà attelé à la tâche depuis fort longtemps.[/encadre] |
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