La vidéo en ligne bouscule le business model de la télévison

La vidéo est un puissant média qui quitte doucement, mais surement l’écran de télévision pour se répandre sur l’ensemble des appareils connectés à internet.

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Quand un mastodonte comme CNN pactise avec la star du vloging sur YouTube, Casey Neistat, cela veut dire qu’il faut prendre la révolution vidéo très au sérieux. La célèbre chaîne américaine a annoncé, le 28 novembre, le rachat de la plateforme de partage de vidéo Beme, co-fondé par Neistat, jeune youtubeur américain devenu célèbre pour ses vidéos où il raconte son quotidien et qui lui ont valu 5,8 millions d’inscrits. La star du web devient “executive producer” pour CNN et va s’atteler à la délicate tâche de convertir les millenials aux contenus de la chaîne. Ces jeunes, nés entre les années 1980 et 2000, ont été biberonnés aux nouvelles technologies. Ils sont le cauchemar des marketeurs et des diffuseurs classiques qui ont tout le mal du monde à anticiper leurs besoins.

“La nouvelle entreprise se consacrera à la production de contenus au timing étudié, qui favorisent les créateurs en leur fournissant la technologie nécessaire pour faire entendre leur voix”, promet CNN, qui annonce un service “qui ne sera pas ce que la plupart des gens considèrent comme étant de l’information”. Une formulation qui apparaît pleine de mystère, venant de la référence mondiale de l’information en continu. CNN ne livre pas davantage de détails, mis à part le fait qu’il s’agira d’une nouvelle marque média conçue par Casey Neistat, qui pourra par ailleurs continuer à produire ses contenus personnels sur YouTube. Le network américain n’en est pas à sa première incursion dans les nouveaux médias. La chaîne a déjà lancé “Great Big Story”, une publication uniquement digitale destinée à faire découvrir au public des contenus inédits. Là encore, la cible est celle des millenials, à l’attention si versatile.

Cet exemple montre à quel point les diffuseurs traditionnels, et les annonceurs qui communiquent à travers eux sont appelés à revoir leur stratégie, leur manière de communiquer, et par extension le contenu même de leurs publicités. L’utilisation intelligente de la vidéo est un défi pour tous les acteurs. Et pour cause, s’il y a une tendance de fond à relever sur le web, c’est bien la production vidéo amenée à être de plus en plus importante qualitativement et qualitativement. Ainsi, selon la firme américaine Cisco, la vidéo devrait représenter 82 % de tout le trafic internet mondial d’ici 2020, contre 70 % en 2015. Video on demand (Vidéo à la demande, VOD), flux vidéo des caméras de surveillances, contenu composé d’images de réalité virtuelle, mais aussi images filmées par les lecteurs, les marques et les médias devraient dominer la bande passante mondiale. En 2020, et lors de chaque seconde, un million de minutes de vidéo passera par les “tuyaux du web”. Il faudrait plus de cinq millions d’années pour voir toutes les vidéos qui transitent par le web chaque mois dans le monde.

 

Cibler, personnaliser, convaincre
Tout cela signifie qu’il est plus qu’urgent d’investir dans la vidéo sur internet. Mais cela ne suffit pas, il faut également concevoir un contenu adapté aux nouveaux canaux de diffusion que sont les réseaux sociaux, et à un public plus exigeant composé de jeunes ultra-geeks qui troquent leur écran de télé pour YouTube et autre Snapchat. “En 2017, on s’attend à ce que la publicité sur le digital dépasse celle sur la télévision”,nous annonce Alexandre Moncel, directeur commercial de Mediabong, entreprise française spécialisée dans l’agrégation et la recommandation de contenu vidéo à travers l’analyse sémantique. Notre source relève un autre défi : le ciblage doit s’affiner et être au maximum personnalisé pour notamment faire face à l’émergence du phénomène de rejet de la publicité (adblocking). C’est pour cela que Mediabong a basé une grande partie de son business sur la conception d’un outil d’analyse sémantique, qui permet, grâce à de puissants algorithmes, de proposer la bonne vidéo à l’internaute intéressé par elle, en calculant son “score d’attention”. Objectif: que le contenu soit regardé jusqu’au bout. Dans un secteur où seulement “30 % des vidéos achetées par les marques sont réellement vues par les clients”, note Alexandre Moncel, ces outils garantissent à l’annonceur que son contenu sera visionné en entier.

Il faut également s’adapter à une nouvelle réalité : la vidéo n’est plus l’apanage du poste de télévision. Non seulement les diffuseurs se sont multipliés, mais également les appareils où l’on peut voir ces contenus. Ce qui ouvre un énorme champ des possibles pour les marques. “À la différence de la télévision où vous vous contentez de voir l’annonce, dans le digital il y a la possibilité de cliquer. Cela permet à la marque de vous identifier” et de recueillir des informations, résume Alexandre Moncel. Des données d’une valeur inestimable, qu’il convient d’analyser. Cette interactivité avec le spectateur permet d’en savoir plus sur lui ainsi qu’une personnalisation qui en fait un puissant outil pour créer un brand content de premier choix. La vidéo “Red Bull Stratos”, publiée en 2012 par le leader mondial de la boisson énergétique n’en est-elle pas le meilleur exemple ? Felix Baumgartner avait tenté (et réussi) la plus longue chute libre de l’histoire de l’humanité. Il s’est filmé, sautant de la stratosphère. Un record Guiness, mais business aussi. L’opération a achevé de convaincre même les plus sceptiques sur la pertinence de la stratégie de marque de Red Bull : installer sa notoriété sans avoir recours à la vidéo promotionnelle classique.

Le boom du live
Faire de la bonne vidéo ne signifie pas seulement s’ouvrir aux autres médias et devices en plus du classique poste de télévision. C’est également réfléchir à des formats et des types de contenus adaptés à cette cible et à ces nouveaux médias. Les experts notent l’émergence de la vidéo en direct, notamment sur les réseaux sociaux. Ces contenus explosent. Il s’agit d’une forme d’interaction plus facile à appréhender que le texte, et désormais consultable confortablement grâce à l’amélioration de la rapidité de connexion, que ce soit sur les réseaux domestiques ou mobiles. Les utilisateurs apprécient le fait de vivre un événement au moment même où il se déroule, de n’en rater aucune bribe. Ils peuvent aussi commenter, poser des questions et être cités en direct par leur diffuseur ou marque préférée. C’est ce qui pousse de plus en plus de marques à recourir à ce type de contenu pour faire parler de leurs activités ou produits.

Les diffuseurs mènent aussi une nouvelle réflexion sur les formats, en étudiant la pertinence de la “verticalité” et en remettant en compte les sacro-saintes 30 secondes que durent traditionnellement les spots télévisuels. Spotify, le service de streaming musical vient de lancer en novembre un nouveau format publicitaire adapté aux smartphones et qui cible en temps réel les usagers. Testé aux États-Unis à petite échelle par quelques marques pionnières, il devrait être généralisé au monde en 2017. Le principe : l’utilisateur a droit à 30 minutes de musique gratuite s’il accepte de visionner une publicité qui sera affichée en fonction de la playlist (en détente, en train de faire la fête, du sport, etc.). Last but not least, Spotify encourage les marques à créer des vidéos au cadre vertical, pour que le client n’ait pas besoin de tourner son téléphone durant la diffusion de la publicité. C’est parfois par de simples réflexes de bon sens que l’on fait évoluer un business.

How-Spotify-and-Pandora-are-Hurting-Artists-With-Ad-Supported-Music

ETUDE DE CAS

Vidéo virale: pourquoi en fait-on tout un fromage ?

Un million de vues, plus de 50000 mentions “j’aime”, près de 1200 commentaires et surtout plus de 20000 partages sur Facebook. C’est l’audience cumulée, à l’écriture de ces lignes le 30 novembre, de la campagne “concours Le bloc”, réalisée pour le compte de La Vache qui rit par le portail de la femme marocaine Ilaiki (Telquel digital) en collaboration avec Initiative digital (Klem). L’annonce du jeu-concours a été faite sur la page Facebook d’Ilaiki qui compte plus de 6,5 millions de fans. Les lecteurs intéressés pouvaient soumettre leur proposition de recette, photos à l’appui, en remplissant un formulaire où ils précisent également leur nom, leur numéro de téléphone et adresse mail. La Vache qui rit a sectionné les cinq meilleures recettes et a confié leur réalisation à un chef. La préparation a été filmée, et diffusée dans un format court et pêchu, adapté aux réseaux sociaux et que les lecteurs ont récompensés en regardant et partageant massivement ces contenus. “Les opérations spéciales avec un volet interactivité ont plus d’impact quand il s’agit de communication autour d’un produit que les bannières qui, elles, sont surtout utiles pour la visibilité et la notoriété d’une marque”, nous explique Mirale Tazi, chargée de publicité digitale.[/encadre]

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