Les Archives du Maroc et le Mémorial de la Shoah de Paris ont annoncé leur coopération qui commencera dès lundi 14 novembre. Une avancée certaine vers la restauration de la mémoire juive au Maroc.
« Les nouvelles générations de Marocains musulmans ont quasiment ignoré un pan de leur histoire », se désole Jamaâ Baida, directeur des Archives du Maroc, dès que l’on évoque le patrimoine juif du pays. C’est à partir de cette constatation que le professeur d’Histoire contemporaine a travaillé à la coopération entre les Archives du Maroc et le Mémorial de la Shoah de Paris.
Le centre parisien va « mettre à disposition des usagers des sources historiques relatives aux Juifs marocains », indique l’institution dans un communiqué, alors que « les fonds d’archives concernant ce patrimoine demeurent limités et souvent inaccessibles aux chercheurs ».
Trop peu d’archives
Lorsque Jamaâ Baida était professeur-chercheur à l’Université Mohammed V de Rabat, il a créé avec d’autres collègues, un Groupe de Recherches et d’Etudes sur le Judaïsme Marocain (GREJM). « Nous nous sommes vite aperçus qu’il était quasiment impossible d’écrire l’histoire des Juifs marocains, surtout pour les XIX et XXèmes siècles, sans faire un détour par des centres d’archives étrangers », se rappelle-t-il tristement. Les archives ont été éparpillées dans le monde entier, tout comme la population juive qui ne compte plus que quelques milliers de personnes au Maroc contre 300.000 dans les années 1950.
« Le patrimoine judéo-marocain a été marginalisé au lendemain de l’indépendance du Maroc, lorsque le panarabisme avait le vent en poupe et balayait tous les particularismes identitaires » analyse l’historien.
La guerre israélo-arabe de 1948, la révolution nassérienne en 1952, la crise de Suez en 1956 et les mouvements indépendantistes en Afrique du Nord. Autant d’événements qui ont incité les Juifs marocains à s’exiler en France, au Canada ou en Israël, et disparaître de l’Histoire marocaine. L’hémorragie n’est pas encore terminée : en 2014, 729 Marocains de confession juive ont effectué leur « alia », soit une hausse de 230% par rapport à 2013.
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Jusqu’à l’indépendance, ils étaient pourtant bien considérés par le royaume. Lors de la Seconde guerre mondiale, Jamaâ Baida rappelle que « Mohammed V a eu des attitudes très courageuses visant la protection de ses « sujets juifs » ». En atteste son discours de mai 1941 contre les lois anti-juives de Vichy, alors que le Maroc était encore sous protectorat français :
« Je n’approuve nullement les nouvelles lois antisémites et je refuse de m’associer à une mesure que je désapprouve. Je tiens à vous informer que, comme par le passé, les israélites restent sous ma protection et je refuse qu’aucune distinction soit faite entre mes sujets. »
A l’époque, le souverain était considéré comme étant entré en « dissidence ».
Devoir de mémoire
S’intéresser à la mémoire juive marocaine, « c’est aussi une façon de lutter contre les radicalismes de tous bords », revendique Jamaâ Baida. « Il était temps que les idéologies cessent de nous imposer des ornières. Nos enfants n’ont des Juifs que l’image d’oppresseurs israéliens occupant la Palestine. C’est très réducteur ! », s’indigne-t-il. Le directeur des Archives du Maroc veut alors se réapproprier cette histoire riche et variée qui a plus de deux millénaires.
La nouvelle Constitution marocaine de 2011 en a d’ailleurs pris conscience et estime la diversité des composantes de la culture marocaine, dont l’affluent hébraïque. Depuis, « le patrimoine judéo-marocain a fait l’objet d’un regain d’intérêt à travers de nombreuses actions de réhabilitation et de valorisation » explique Jamaâ Baida.
D’autres initiatives ont eu lieu comme la récolte d’archives sonores du Maroc juif par Vanessa Palom El Baz ou la sortie du film « Tinghir-Jérusalem, les échos de Mellah ». Le musée du judaïsme marocain, le seul du monde arabe, est aussi un acteur essentiel pour faire la promotion de cette culture. Il met tout en oeuvre pour conserver ce patrimoine vieux de deux millénaires et pour maintenir des moments de convivialité, comme le f’tour organisé tous les ans pendant Ramadan.
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Jamaâ Baida considère pourtant que ces initiatives, comme la réhabilitation de synagogues ou la production de documentaires, sont « encourageantes, mais pas suffisantes ».
Il faut alors continuer les efforts. Car si cette population a quitté le Maroc pour d’autres contrées, « elle est restée très profondément attachée à sa terre ancestrale. » Réunir les archives est donc un moyen de « consolider cet attachement et transmettre aux générations futures, juives et musulmanes, les enseignements de l’histoire dont nous avons tant besoin aujourd’hui », estime Jamaâ Baida.
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