Le 13 octobre, le paysage médiatique de l’Afrique francophone accueille un nouveau titre : La Tribune Afrique. Émanation de l’hebdomadaire économique français La Tribune, le nouveau média sera à la fois en kiosques avec un mensuel thématique, et sur la Toile avec un site Internet semi-gratuit. Installée à Rabat, sa rédaction, d’une « petite dizaine de journalistes » avec à sa tête Aziz Saidi, passé par Économie & Entreprises, Challenge et Les Inspirations ÉCO, s’appuiera sur un réseau de correspondants en cours de maillage, pour assurer une présence dans une dizaine de capitales de l’Afrique francophone (Dakar, Lomé, Brazzaville, Libreville…). Le premier numéro du magazine consacre un dossier à la sécurité maritime en Afrique, alors qu’un sommet extraordinaire de l’Union africaine se tient le 15 octobre à Lomé sur le sujet. « Même si c’est un mensuel thématique, nous essayerons toujours de coller à l’actualité », précise Aziz Saidi. Faure Gnassingbé, président du Togo, signe un « décryptage » dans cette première édition. Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali, et Ahmedou Ould-Abdallah, conseiller mauritanien de Boutros Boutros-Ghali et Kofi Annan, font aussi partie des grandes signatures amenées à y collaborer régulièrement. Côté digital, la lecture d’une partie des articles sera gratuite. Une autre sera accessible, moyennant paiement. « Nous avons mis en place un paywall pour l’accès aux lettres économiques, aux informations concernant les décideurs, les mouvements de personnel au sein des états-majors des grandes entreprises » explique Abdelmalek Alaoui, actionnaire à 30 % et gérant de la société éditrice de la publication, Publiafrica.
Du lobbying à la presse
Avec lui, dans le tour de table, Jean-Christophe Tortora, président de La Tribune, à hauteur de 60 %, et Alix Étournaud-Pigasse, à 10 %. La journaliste française est par ailleurs associée fondatrice du portail Al Huffington Post Maghreb, qui regroupe les éditions Tunisie, Algérie et Maroc du Huffington Post. C’est Abdelmalek Alaoui qui a lancé la franchise du pure player américain au Maroc, en 2014, avec sa société Média Post SA. L’éventualité de l’étendre à d’autres pays de l’Afrique francophone n’est pas exclue. « On n’y travaille pas, mais on y réfléchit », précise Abdelmalek Alaoui. S’il pèse ses mots, c’est qu’avant même d’être patron de presse, Abdelmalek Alaoui était déjà un homme d’influence. Au sens propre du terme. De métier, il est lobbyiste, expert en intelligence économique et stratégie de communication. Avant d’être rachetée en 2015 par Mazars, sa société de consulting Global Intelligence Partners (GPI) a conseillé Mostafa Terrab (OCP), Abdeslam Ahizoune (Maroc Telecom) et Moulay Hafid Elalamy (Saham), en plus d’assurer des veilles stratégiques pour le compte du gouvernement marocain, écrivait Jeune Afrique en 2014. L’année de son rachat, Abdelmalek Alaoui crée le groupe Guépard Consulting qui « intervient notamment en faveur des directions générales et des gouvernements qui souhaitent modifier la perception extérieure de leur image », détaille son site institutionnel.
Soldat de l’économie
Avec un actionnaire diplômé, entre autres, de l’École de guerre économique de Paris — dirigée par Christian Harbulot, un des fondateurs et théoriciens de la discipline récente de la guerre économique et auteur de Fabricants d’intox –, le nouveau titre d’Abdelmalek Alaoui pourrait bien être un véhicule de softpower en Afrique. « La guerre économique, c’est une guerre multilatérale et protéiforme », détaillait Abdelmalek Alaoui en février 2015… à la rédaction du Huffington Post Maroc. « Il s’agit tout simplement de gagner plus de marchés que son concurrent. Et le Maroc, par sa position géographique, et parce que son PIB a doublé en seize ans, commence à devenir un acteur incontournable en Afrique de l’Ouest, qui était auparavant le pré-carré d’un certain nombre de pays », notifie-il. « Il [Abdelmalek Alaoui, NDLR] rappelle à ce titre qu’on “ne l’appelle pas l’Afrique de l’Ouest francophone pour rien”. Mais dans ce contexte très concurrentiel, des amitiés sont encore possibles : l’expert parle ainsi de “coopétition” pour désigner “les quelques synergies, notamment avec la France, lorsqu’il est possible de travailler ensemble” », conclut l’article du Huffington Post, il y a un an et demi. À l’époque, les tractations pour le lancement de La Tribune Afrique commençaient déjà. Aujourd’hui, le lancement de ce média panafricain sonne comme une mise en œuvre de cette vision, alors qu’il intervient au même moment qu’une tournée royale en Afrique, anglophone cette fois.
Cher modèle économique
Entre-temps, il y a eu un peu plus d’une année de réflexion et d’études pour positionner le titre. « Venant du consulting, il m’importait d’organiser la pérennité du projet. La question c’était de trouver des ressources et de capter un lectorat très hétéroclite, puisqu’il est présent dans 24 pays », explique le lobbyiste. « On a mis beaucoup d’argent dans des études externalisées pour décider si nous voulions un support print ou pas, un paywall ou pas. Pour l’Europe, ces bases existent, mais, ici, il fallait le faire nous même », poursuit-il. Le premier mensuel a été imprimé en France et sera dans un premier temps distribué avec La Tribune. Déclinant le modèle français, La Tribune Afrique portera également des événements. « Nous avons une idée assez précise de ce que nous allons faire, mais je ne peux pas en parler sans l’accord de mes partenaires. L’objectif, c’est de travailler avec des fédérations professionnelles, des entreprises. Plus avec les régions que les nations en tout cas. Ce sera des conférences thématiques, du type smart city, tourisme, Africa Tech, start-up », détaille Abdelmalek Alaoui. Un modèle pensé pour devenir rentable au bout de cinq ans, en « monétisant aussi l’audience africaine dans laquelle nous entrons pour essayer de la comprendre alors qu’il n’existe pas de régie publicitaire panafricaine ».
Softpower en Afrique
Alors, La Tribune Afrique, vecteur du soft power marocain en Afrique ou pas ? « Nous ferons un travail journalistique au sens le plus strict du terme, en matière de recoupement d’information, de sources, d’objectivité de traitement », assure Aziz Saïdi, rédacteur en chef. La ligne éditoriale, il la résume dans un édito publié en amont du lancement, intitulé Les deux moitiés de la calebasse et illustré par un iceberg dont ont voit la partie immergée. « S’il y a une Afrique qui s’enlise dans ses travers séculiers, il y en a aussi une autre qui s’en émancipe pour aller de l’avant. La vocation de La Tribune Afrique est d’accompagner la dynamique d’un continent en marche avec lucidité et ambition. », résume-t-il. Lorsqu’on parle de softpower, Abdelmalek Alaoui explique que « ce n’est pas organisé ». Le fils du ministre d’Hassan II Moulay Ahmed Alaoui et de l’ambassadrice itinérante de Mohammed VI Assia Bensalah Alaoui préfère parler d’« aventure œdipienne » et inverse le raisonnement : « S’il y a des entreprises marocaines en Afrique aujourd’hui, pourquoi les médias n’en feraient pas partie ? C’est là qu’est le réservoir de croissance. Le Maroc jouit d’une bonne image en Afrique de l’Ouest et on surfe là-dessus ». Toutefois, d’image et de conseil en image, il en sera toujours question : « Nous continuerons d’offrir du conseil en communication, pour ceux qui veulent apparaître dans les médias du groupe ».
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