Retour sur la rencontre singulière entre Shimon Peres et Hassan II

Pour relancer le processus de paix au Moyen-Orient, Shimon Peres a discrètement volé à bord d'un avion militaire israélien vers le Maroc pour y rencontrer le roi Hassan II. Retour sur une rencontre qui a suscité critiques et éloges.

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Crédit : AFP

Ce fut une visite polémique. Les 22 et les 23 janvier 1986 étaient de longues journées pour le Maroc. Shimon Perez débarque au Maroc pour une visite non annoncée afin de s’entretenir avec le roi Hassan II. « Un succès à long terme » et un « tournant historique » dans le conflit israélo-arabe, décrivaient des responsables marocains cités à l’époque par l’Agence Juive, à propos de cette visite. Une « trahison noire » selon la Syrie, une décision « étrange et déviante » selon l’Irak et « une démarche inacceptable aux lourdes conséquences », renchérit la Libye. La ligne dure des nations arabe l’avait fortement dénoncée, sauf L’Égypte de Moubarak, qui s’est déclarée « prête à soutenir toute initiative qui relancera le processus de paix pour parvenir à une paix globale au Moyen-Orient », annonçaient alors plusieurs médias.

« Monsieur Shimon Peres m’a fait dire qu’il aimerait venir me voir. Alors je lui ai dit avec grand plaisir, mais vous et moi sommes interdits de tourisme. Si vous avez quelque chose de sérieux, venez me voir, après tout comment peut-on négocier si on ne se rencontre pas, mais à condition qu’il y ait une base de départ sérieuse » raconte le roi Hassan II à la presse française. « Nous sommes d’accord qu’il faut continuer le dialogue. Évidement, c’est impossible de résoudre tous les problèmes qui existent il y a vingt ou trente ans pendant quelques jours ! Mais c’est un début, un début important », déclarait Peres. Sur la forme, l’entente a été confirmée. Mais pas pour le fond.

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Cette visite a été considérée par les observateurs étrangers comme « un mouvement astucieux mais risqué par le roi Hassan II ». Le souverain marocain « est connu comme un leader pro-occidental qui savoure des gestes dramatiques et aime jouer un rôle actif dans les affaires arabes » rapporte le NY Times. Préparée minutieusement, la visite de Peres au Maroc comportait nombre d’enjeux cruciaux.

Certains diplomates avaient déclaré que l’initiative du souverain marocain de rencontrer Peres, décidée en novembre 1985, a été le fruit de plusieurs facteurs. Un des facteurs est que le roi Hassan II était de plus en plus frustré par le manque de progrès dans le processus de paix au Moyen-Orient, dans l’impasse depuis février 1985, lorsque le roi Hussein de Jordanie a annoncé qu’il ne pouvait plus soutenir son offre conjointe de paix avec Yasser Arafat, président de l’Organisation de libération de la Palestine. Toutefois, le porte-parole de Peres a avoué il y avait eu un « échange de messages » avec le souverain marocain et que Peres « serait heureux de rencontrer le roi. » Le responsable a affirmé qu’une réunion entre les deux dirigeants « pourrait être un grand coup de pouce » au processus de paix au Moyen-Orient, rapportait The Los Angeles Times.

Autre facteur : le désir du roi Hassan II de consolider les liens diplomatiques avec les États-Unis, qui ont été mis à mal après son accord d’union avec la Libye. Washington n’accordait pas seulement environ 140 millions de dollars d’aides économiques à Rabat, mais ils sont aussi un fournisseur d’armes très important. Le Maroc a été embourbé dans une coûteuse guerre contre les séparatistes du Front Polisario.

Une visite de tous les défis

Cette visite a été éprouvante du point de vue sécuritaire.  « Aucun drapeau israélien à être vu nulle part à Rabat. » raconte NY Times, qui rapporte que des attentats ont été redoutés.

« Le Roi Hassan II du Maroc et le Premier ministre Shimon Peres d’Israël auraient tenu plusieurs heures de discussions au palais d’été du roi à Ifrane, mais officiellement, le Maroc n’a toujours pas reconnu la présence du dirigeant israélien » rapportaient les médias étrangers. Les responsables marocains, qui ont demandé à garder l’anonymat, ont déclaré que les deux dirigeants « ont eu un total de sept heures de négociations » rapporte United Press International (UPI), une agence de presse américaine.

Ces discussions ont été considérés comme les premiers pourparlers officiels entre un dirigeant israélien et un chef d’État arabe depuis que le Premier ministre israélien Menahem Begin et le président égyptien Anouar el-Sadate se sont rencontrés à Camp David en 1978.

« Pas un mot sur la visite est apparu dans la presse marocaine. Mais Il y a certains qui craignaient des manifestations et des troubles à l’ordre public » avançaient plusieurs médias. Deux hauts fonctionnaires gouvernement avaient, pourtant, souligné la « fraternité maroco-israélienne » et la « chimie » entre Hassan et Peres dans une interview avec le journaliste Victor Malka publiée dans The Jerusalem Post.

Mais ce qui a été considéré comme un accomplissement, un communiqué conjoint publié simultanément par Tel Aviv et Rabat qui ont indiqué clairement que les deux dirigeants « ne pourraient atteindre aucun accord. » Le communiqué a décrit la réunion comme étant « de nature purement exploratoire, ne visant à aucun moment à engager des négociations. »

Réactions mitigées, une ambassade saccagée

La réaction la plus violente contre cette visite s’est déroulée au Liban, où l’ambassade du Maroc à Beyrouth a été saccagée par des manifestants. Ils ont brisé un portrait du roi Hassan II, déchiré le drapeau marocain pour le remplacer par celui du Hezbollah. Le secrétaire général de la Ligue arabe a exhorté les 21 membres de la ligne et l’OLP à tenir un sommet d’urgence à la suite des pourparlers Peres-Hassan II.

En dépit des avantages potentiels du voyage de Shimon Peres, les risques étaient considérables, convenaient les observateurs étrangers. Le Maroc risquait de devenir la cible d’attaques terroristes en accueillant le dirigeant israélien. Hassan II, qui était président de la conférence au sommet arabe et de l’Organisation de la Conférence islamique a été vivement critiqué par les États arabes fortement hostile à Israël. Il risquait aussi de la rupture de son accord 1984 avec la Libye, qui a neutralisé le soutien de la Libye pour le Polisario.

« En Israël, les porte-parole officiels ont dit que le but de la visite était d’étudier les moyens de relancer le processus de paix au Moyen-Orient. Mais il n’y avait pas de déclarations marocaines sur le contenu des pourparlers » raconte NY Times, qui affirme qu’un haut fonctionnaire marocain a confirmé en privé que l’atmosphère lors de la première réunion au Palais Ifrane était « amicale et constructive. »

« La visite de M. Peres est l’aboutissement d’une longue série de visites inopinées israéliennes dans ce pays. Yitzhak Rabin a visité le Maroc il y a dix ans quand il était premier ministre. Mais était contraint de se déguiser et le voyage est resté un secret bien gardé pendant plusieurs années.  L’ancien ministre des Affaires étrangères Moshe Dayan a également visité le Maroc à deux reprises, sous les auspices personnels du roi Hassan, pour rencontrer l’émissaire égyptien Hassan el-Touhamy, de jeter les bases d’une visite historique de M. Sadate à Jérusalem. » confesse NY Times.

Aujourd’hui disparus, les deux emblématiques dirigeants s’étaient toujours proposés de soutenir les pourparlers pour la paix. Hassan II, dans des propos relayés par l’Express, était on ne peut plus clair dans ce sens : « J’ai un sentiment particulier pour les juifs. Ma nourrice était juive et mon père m’a appris que cela portait malheur que de faire du mal aux juifs. Dieu ne le permet pas. J’écarte toute idée antijuive, et l’Arabe que je suis peut-il être antisémite ? Le rêve de ma vie, c’est de faire la paix entre Israël et la Palestine, et de régler le problème de Jérusalem. S’il y a la paix, le Proche-Orient sera une oasis de paix et de prospérité, une zone de développement, un exemple pour le monde entier. Je ferai tout pour vous aider. Bien entendu, cela passe par l’établissement d’une entité palestinienne. Je ne discute pas du problème des frontières, que vous devez régler avec ceux qui vivent sur le même palier que vous.
Je sais, monsieur Peres, que vous êtes pour la paix. Nous devons établir une ligne de contact permanente. Je suis prêt à mettre mon titre religieux et politique au profit de cette paix si c’est nécessaire. Je connais l’importance qu’ont mes anciens sujets marocains dans la vie et la construction d’Israël. C’est, pour moi, un sujet de fierté… »

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