Arrivé deuxième aux élections communales, le Parti de l’Istiqlal souhaite damer le pion à ses adversaires le 7 octobre prochain. En a-t-il les moyens ? Son sulfureux secrétaire général, Hamid Chabat, tente, tant bien que mal, de nous en convaincre.
«Mon programme est celui de Sa Majesté», répétait à tout bout de champ Abbas El Fassi, l’ex-Premier ministre et prédécesseur de Hamid Chabat à la tête de l’Istiqlal. L’actuel secrétaire général du parti de la balance a ses propres mots pour le dire : “Je travaillerai, comme toujours, main dans la main avec le roi. C’est ainsi que le gouvernement El Fassi a réussi”.
Le ton est donné : le zaïm de l’Istiqlal compte suivre les traces du prédécesseur de Abdelilah Benkirane et il se dit même fier de son bilan. “L’ancien gouvernement a réalisé 85% de son programme bien qu’il n’ait pas fini son mandat”, dit-il avec assurance. Pour poursuivre l’œuvre de Abbas El Fassi, Chabat a concocté un programme qui promet monts et merveilles aux Marocains : retour à la compensation, emplois dans la fonction publique, annulation de la réforme des retraites, aides à la classe moyenne… Bref, toutes les promesses de nature à appâter les électeurs, qu’il estime déçus du bilan de Benkirane, “qui a appauvri le peuple”. Des promesses qui s’apparentent davantage à une critique du bilan de l’actuel gouvernement, dont il dresse un tableau peu flatteur : hausse des prix et des impôts, chômage galopant, mauvaise santé, enseignement mal en point et même des problèmes de sécurité. Voilà qui le rend sûr de la chute de son adversaire. Et c’est lui, suggère-t-il, qui va le remplacer. “Bien sûr que je vais gagner, inchallah”, nous répond-il simplement. Rien, dit-il sûr de ses chances, ne peut l’en empêcher. Pas même ce “tahakkoum” que ne cesse de dénoncer Abdelilah Benkirane. “Si quelqu’un est convaincu de l’existence d’un quelconque autoritarisme, il n’a qu’à ne pas se présenter aux élections”, argumente celui qui, en juin dernier, tirait à boulets rouges sur le ministère de l’Intérieur et le PAM. Désormais, l’heure est à la compétition.
Le robin des bois
D’entrée de jeu, le chef de file de l’Istiqlal s’érige en sauveur de la patrie. Sa mission : mettre fin à tous les problèmes des Marocains. En priorité, la cherté de la vie. Ainsi donc, il propose de revoir, voire de tuer dans l’œuf, certaines réformes arrachées au forceps par son ancien allié islamiste, comme celle de la décompensation. “Il est clair que je ne supprimerai pas les subventions destinées au sucre, au gaz et à la farine”. C’est qu’il refuse, explique-t-il, de chercher à renflouer les caisses de l’État aux dépens des petites bourses. Même topo à propos de la libéralisation des hydrocarbures, qu’il qualifie “d’erreur”. “Les riches facturent le carburant à leurs entreprises, les élus aux communes, les ministres au gouvernement. Seuls les pauvres payent.” Comme les jeux sont faits, il veut redonner à l’État un rôle interventionniste. “Je fixerai les prix à un seuil au-dessus duquel l’État devrait intervenir pour ne pas pénaliser le citoyen”.
Et ce n’est pas tout, le patron du parti de la balance compte se battre corps et âme pour faire avorter la réforme des retraites. “Il est anormal de revoir à la hausse les cotisations et relever l’âge de départ à la retraite sans augmenter les salaires”, dit celui qui, en quittant la coalition gouvernementale en 2013, avait vertement critiqué cette réforme. “Si on relève l’âge de départ à la retraite de 63 à 65 ans, on ne va employer personne de 2017 à 2019. On me rétorque qu’en Allemagne, l’âge de départ à la retraite est de 67 ans, mais si moi je vivais en Allemagne, j’accepterais de travailler jusqu’à 90 ans”, sourit-il.
Bref, dans le bilan du gouvernement Benkirane, rien ne trouve grâce aux yeux de Hamid Chabat, qui compte tout chambouler de fond en comble. Loin de l’économie, le zaïm de l’Istiqlal veut s’attaquer aussi à la privatisation de l’enseignement. “L’éducation doit rester la chasse gardée de l’État. Aujourd’hui, il y a un manque criant d’enseignants, comme il y a des enseignants qui n’ont pas été payés depuis longtemps, ce qui n’est pas normal”, liste l’adversaire de Benkirane. Quant à l’enseignement de certaines langues étrangères, tel que proposé par le ministre de l’Education nationale, Rachid Belmokhtar, Chabat y oppose un niet catégorique. “C’est haram, lorsque les Marocains auront pour noms Jaques et Jacqueline, oui. Mais les Marocains s’appellent encore Fatna, Fatima, Omar, Ali, Ahmed…” Quid des propositions ? Hormis le recrutement de nouveaux enseignants, il faudra repasser. Question santé, Chabat entend revoir le Régime d’assistance médicale (RAMED), qu’il décrit comme étant “la carte de la mort”. “Bien que la caisse RAMED soit pleine, les Marocains ne peuvent pas en bénéficier à cause d’une insuffisance de ressources.” L’argent de la caisse, dit-il, ne saurait pallier le manque de médecins. La solution, selon lui, est pourtant simple : commencer par les régions défavorisées avant de généraliser l’aide à toutes les villes. Faut-il prendre ses promesses pour argent comptant ?
On ira tous au paradis
Davantage de subventions à la consommation, augmentation des budgets de l’éducation et de la santé, l’Istiqlal a-t-il les moyens de ses ambitions ? Oui, répond doctement son secrétaire général. Et il brandit tout de go un taux de croissance de… 8%. Le PJD, qui tablait en 2011 sur un taux de croissance de 7%, a dû, confronté aux réalités économiques, revoir ses ambitions à la baisse pour envisager une croissance oscillant entre 3 et 6%, au gré de la pluie. Mais Chabat n’a que faire de ce facteur de taille, car il croit détenir une recette magique : la bonne gouvernance. “C’est un mot que tout le monde emploie à tort et à travers, mais c’est un moyen qui permet de renflouer les caisses de l’État”. Comment ? “En améliorant les recettes douanières et la gestion du foncier”. Le tout sans revoir à la hausse le moindre impôt. Conservant un brin de “réalisme”, il n’entend tout de même pas mettre tous ses œufs dans le même panier, en misant aussi sur l’industrie. “C’est-à-dire tout ce qui peut s’exporter: les services à distance, comme les centres d’appels, l’automobile et l’aéronautique. Et les incitations fiscales habituelles seront maintenues.” Pour enrichir les caisses exsangues de l’État, l’ancien maire de la ville spirituelle donne encore cette proposition surprenante sur l’économie culturelle : “Nous avons suffisamment de complexes culturels qui n’attendent que d’être exploités. Ainsi, non seulement le ministère de la Culture ne les financera plus, mais ils généreront eux-mêmes de l’argent.” Voici une idée originale !
L’ami des femmes
Lorsqu’il s’agit des libertés individuelles, le complot n’est jamais loin. Hamid Chabat en est convaincu : “L’Istiqlal n’a rien contre les libertés individuelles tant qu’elles ne s’opposent pas aux libertés collectives. Mais il faut savoir aussi que l’Occident veut nous détourner de nos vrais problèmes (le logement, la santé, l’éducation, etc.) en introduisant, à travers des ONG, des valeurs à l’opposé des nôtres.” Les articles relatifs aux relations sexuelles, à la consommation d’alcool et à l’inobservance du ramadan devraient rester en vigueur, conseille le SG du parti de la balance. “Il est hors de question que l’Istiqlal les légalise, car ils sont contre nos principes.” Idem pour l’égalité dans l’héritage, une hérésie selon le patron de l’Istiqlal. “Le Coran a déjà tranché, je ne vois donc pas pourquoi il faut en discuter”, lance-t-il, non sans servir la vieille rengaine selon laquelle “l’islam est la première religion à avoir rendu sa dignité à la femme, et non pas les lois de l’Occident”. C’est pour les droits politiques de la femme, ajoute-t-il, qu’on devrait militer et le Maroc a fait du chemin. “Quant aux femmes au foyer, elles n’ont pas à se plaindre puisqu’elles tiennent les Finances et l’Intérieur à la maison”, lâche Hamid Chabat, faisant jaillir son rire habituel, fier de sa trouvaille.
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