Le débat fait rage entre partisans et détracteurs du burkini. S’il est perçu comme un symbole de soumission et d’oppression par certains, il est en revanche pour d’autres une liberté individuelle au même titre que le port d’un bikini.
« Le burkini bafoue les droits des femmes », titre Le Monde. « On peut être choqué sans pour autant interdire », écrit Libération citant un sociologue. « Burkini : quand la presse étrangère se moque de la France », peut-on lire dans Les Echos. Depuis la décision de deux villes françaises, Cannes et Sisco, d’interdire le port du burkini, l’affaire fait les gros titres en France et exacerbe des débats qui traversent facilement les frontières. « Maroc : la discrète –mais bien réelle –confrontation entre les pro et les anti bikini », écrit Jeune Afrique, alors que Madame Figaro s’empresse de publier un article dans lequel le site du magazine affirme que cet habit est interdit dans certaines lieux touristiques privés au Maroc.
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Jamais cet habit, inventé par une Libano-australienne en 2004, n’a autant fait les manchettes des journaux et déchaîné les passions. Sous nos latitudes, le débat intéresse et interpelle : le port du burkini est considéré par certains comme relevant de la liberté personnelle ; par d’autres comme une forme insidieuse de soumission.
« Chacun a la liberté de montrer ou de dissimuler son corps, mais quand on va à la plage on n’y va pas en djellaba », lance tout de go l’écrivain Tahar Ben Jelloun dans une tribune publiée par Le360.ma et dans laquelle il s’inscrit clairement contre le port du burkini. Pour lui, « Il faut être vicieux et pervers pour penser que couvrir un corps d’une femme c’est le protéger des regards concupiscents ».
« Aller nager à la piscine, c’est établir une relation entre le corps et l’eau. Si une femme ne veut pas que son corps soit vu, elle a toujours la possibilité d’installer une piscine chez elle et de nager tranquillement. Le paradoxe qu’il faut souligner, c’est que les grand-mères de ces femmes qui veulent aujourd’hui se mettre en burkini ne s’obstinaient pas autant pour une baignade », estime pour sa part Atifa Timjerdine, membre de l’association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), dans une déclaration au Huffpost Maroc.
La tentation de la pudeur
S’obstiner pour une baignade ? C’est ce point justement qui est perçu très différemment par les défenseurs du burkini, à commencer par celles qui le portent. Ces dernières revendiquent une liberté personnelle : celle de profiter comme les autres de la mer ou de la piscine, tout en respectant leurs convictions personnelles. « L’été est de retour les filles, je vous propose un acte de résistance : nager en burkini et poster les photos dans les piscines d’hôtels, plages, clubs. Ne laissez personne vous interdire l’accès ! », écrit une amatrice de burkini sur la page facebook « Marocaine, musulmane et fière de mon maillot de bain intégral », qui regroupe un peu plus de 500 membres. « Salam les Burkinista ! », écrit encore une autre abonnée de cette page, qui pose en burkini, et propose aux autres membres ses services de conceptrice de it maillots pudeur-friendly.
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Cette appropriation de l’habit fait dire à l’ancien idéologue salafiste Abou Hafs, que le port du burkini est un choix personnel et non le signe d’une radicalisation ou d’une soumission, comme cela est craint notamment en France. « Les gens ne portent pas le burkini par conviction idéologique, mais pour des considérations personnelles », nous déclare-t-il. Pour lui, il s’agit de respecter à la fois la volonté de celles qui souhaitent porter le burkini, mais aussi la volonté de celles qui portent le maillot classique. « Il faut surtout faire attention à ne pas importer cette polémique au Maroc, y compris sous son aspect religieux, et s’en tenir à la loi qui garantit les libertés de chacun », estime-t-il.
La psychiatre, psychothérapeute et sexologue Nadia Kadiri estime aussi que la polémique n’a pas lieu d’être au Maroc. Elle estime que le burkini est plutôt perçu comme « un compromis permettant à celles dont les convictions personnelles l’empêchent de se dévoiler de profiter elles aussi du plaisir de la baignade ». « Les patientes qui le portent expliquent qu’il est plus facile à sécher, à porter. Pour elles c’est une liberté. Ce n’est pas un problème avec le corps, mais un débat idéologique », tranche-t-elle.
Abderrahim Chikhi, président du Mouvement unicité et réforme (MUR), mouvement de prédication proche du PJD, estime lui qu’il s’agit d’une liberté personnelle. Il craint qu’en France la décision de certaines villes d’interdire le maillot de bain intégral n’ait l’effet inverse, en « exacerbant le sentiment des musulmans modérés, donnant des prétextes aux plus extrémistes ». Quant au Maroc, le président du MUR regrette que des institutions privées puissent interdire le port du burkini. « Le problème ne devrait pas se poser au Maroc, un pays musulman avec une société musulmane. [Le port de cet habit] est en cohérence avec la religion et la constitution », nous explique-t-il.
Mais que se passera-t-il si les femmes en burkini deviennent plus nombreuses que celles en maillot classique ? Des femmes qui portent des maillots classiques sur les plages font état de pressions, sommés par des gardiens de la morale de devenir plus « pudiques« . Y a t-il un risque d’ostracisation de ces femmes à terme, si le burkini est de plus en plus toléré ?
Abderrahim Chikhi estime que le burkini n’est pas majoritaire et que dès lors, ce risque ne se pose pas. De plus, « la loi protège tous le monde contre les abus« , affirme-t-il. Abou Hafs estime aussi qu’il n’y a pas de pression exercée pour porter le burkini : « ce que je vois, c’est que les gens portent spontanément les habits qu’ils souhaitent et qu’il y a cohabitation ». Quand on lui fait remarquer que des femmes ont déjà été agressées pour avoir soi-disant manqué de pudeur, Abou Hafs précise que de tels comportement doivent être « condamnés et punis ».
Un symptôme de la retraditionnalisation de la société
Le philosophe et militant laïc Ahmed Assid note que paradoxalement, le « Maroc devient plus laïque que la France sur ce point », dans la mesure où il y a une cohabitation dans les plages entre celles qui portent des maillots traditionnels, des burkinis, mais aussi un voile ou un tout autre habit. Toutefois, cela ne veut pas dire que le port de cet habit est anodin. Loin s’en faut. « Le port du burkini, mais aussi du hijab, chez nous n’est pas une expression de la liberté, mais de la retraditionnalisation de la société », remarque-t-il, opérant une différenciation entre le débat dans « une société démocratique » qui accepte les choix de l’individu par la force de la loi, et des « sociétés traditionnelles » où c’est un symptôme de « l’oppression de la femme » selon lui. La pression peut être insidieuse car les gens cherchent généralement des « espaces d’acceptation » dans lesquels se conformer. Dès lors, le port d’un habit voilant le corps peut se transformer en obligation et ce pour ne pas contrevenir à l’aspect prôné par le reste de la société.
Pour Assid, « plus la femme accepte ce voile, plus elle est soumise et son corps devient davantage une provocation pour le mâle », en voulant pour preuve la société égyptienne où le voile qui a atteint les proportion de 85% des femmes n’a pas baissé le nombre d’agressions sexuelles, bien au contraire. « Si toutes les femmes devenaient voilées, la prochaine étape consisterait à leur demander à ne pas sortir de leur maison », estime-t-il, fustigeant une mentalité qui souhaiterait en réalité « chasser la femme de l’espace publique ». Pour autant, il ne faudrait pas interdire le burkini, car cela en ferait une « cause » d’après Assid. « Il faudrait que les gens qui souhaitent le porter puissent continuer à le faire mais aussi que les personnes qui le portent ne considèrent pas que leur habit est le meilleur et qu’ils l’imposent aux autres ».
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