Dix-huit radios et (à peine) et une télévision de plus, Médi1TV. C’est le résultat du long processus de la libéralisation de l’audiovisuel au Maroc, qui a fêté le 17 mai, en grande pompe, ses dix ans. Si tout le monde s’accorde à saluer l’évolution des radios privées, on ne peut pas dire autant des télévisions privées. «Le marché de la radio est, certes, compliqué mais on peut dire que les radios se portent relativement bien. Ce qui n’est pas le cas des télévisions privées», estime Younes Boumehdi, directeur de Hit Radio, qui avait déposé une demande pour lancer une télévision privée. Kamal Lahlou, président de l’Association des radios et télévisions indépendantes (ARTI) et fondateur de la radio privée MFM, abonde dans le même sens. «On croyait que le mouvement de la libération de l’audiovisuel allait suivre celui des ondes, mais il y a eu des malentendus. Et aujourd’hui encore, on ne peut pas dire si la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle, instance chargée d’attribuer les licences et de valider les cahiers des charges) va lancer des appels dans l’avenir».
L’ancien ministre de la Communication [2002 et 2007] Nabil Benabdellah, et actuel ministre de l’Habitat, ne dit pas autre chose, et évoque l’urgence que d’une volonté politique suivie. «Aujourd’hui, je souhaite vraiment que des appels d’offres soient lancés mais cela dépend d’une volonté politique», estime-t-il. Contactée par Telquel.ma, la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) n’a pas donné suite à nos sollicitations. L’instance avait justifié pour sa part la non-attribution de licences de télévision lors des vagues de libéralisation par le marché publicitaire, jugé insuffisant pour garantir la pérennité des chaînes de télévision privées au Maroc.
La solution passera-t-elle par le satellite et Internet ?
Si aujourd’hui encore, l’octroi de licences d’exploitation de télévisions privées est toujours au point mort, plusieurs projets de télévisions ont vu (ou verront) le jour en contournant les contraintes imposées par le régulateur audiovisuel. C’est le cas de Bzaf TV, une télévision musicale destinée à un public marocain basé à Al Fujairah, aux Émirats arabes unis. Lancée en 2014, cette chaîne se présente comme «une vitrine de la scène musicale marocaine». Un phénomène similaire à ce qui a été observé en Algérie, qui reste à la traîne concernant la libération mais qui semble rattraper rapidement son retard, devançant même le Maroc en permettant de plus en plus des chaînes satellitaires privées.
Il y a aussi Télé Maroc, un projet de télévision initié par Rachid Niny, directeur de publication du journal Al Akhbar. La future télévision sera basée à Madrid et émettra par satellite au cours de l’année 2016. Télé Maroc aura «pour objectif principal de promouvoir l’image du Maroc et de défendre les constantes et les institutions du pays, ainsi que son intégrité territoriale» nous apprend Le 360.ma. «Je ne veux pas m’exprimer pour l’instant sur mon projet», nous confie Niny. La grosse machine de production musicale au Moyen-Orient, le network Rotana, lancera aussi au cours de l’année 2016 un projet de télé musicale destinée au Maroc, rapportent plusieurs sources médiatiques. «Ses projets installés au Moyen-Orient sont montés pour échapper à la loi marocaine et cherchent avant tout la manne financière à travers la publicité» commente Kamal Lahlou.
Younes Boumehdi, patron de Hit Radio a, lui, opté pour une Web TV après que sa demande pour le lancement d’un projet de télévision musicale n’ait pas été accepté. «Comme je me heurtais constamment au silence de la HACA. Mon projet de télévision musicale marocaine Hit TV n’a pas abouti. Du coup, on a décidé de lancer une Web tv». Toutefois, pour la Webtv, il a aussi introduit une demande d’autorisation de la HACA. «On a déposé le dossier il y a un an et pas de nouvelles jusqu’à présent». Les équipes ont été formées, les émissions ficelées et Boumehdi prévoit un lancement à la fin de l’été, s’il n’a pas de retour.
Retour en arrière
Si le Maroc accuse désormais du retard sur la création de chaînes de télévision, il n’en a pas toujours été le cas. Le royaume a, bien avant l’Algérie et la Tunisie, lancé dans un vaste projet de régularisation et de libéralisation du secteur, en se dotant d’un arsenal légal, d’une instance de contrôle pour autoriser des diffuseurs privés et en ouvrant le bal à plusieurs radios. En mai 2006, des licences d’exploitation ont été accordées à dix radios ( Medi1 radio, Radio Sawa, Atlantic radio, Aswat, Hit Radio, MFM, Casa FM, Chada FM, Cap Radio, Radio Plus) et une seule télévision privée généraliste (Medi1 TV anciennement appelé Medi1 Sat). «C’est une étape très importante dans la mesure où trois ministres se sont cassés les dents sur cette réforme. Je pense qu’aujourd’hui on a réussi à relever le défi pour le chantier des radios privées», positive Nabil Benabdellah, qui était aux premières loges pour suivre cette ouverture à l’époque.
En février 2009, des licences ont été accordées à quatre radios (Luxe radio, Radio Mars, Med Radio et Médina FM). Mais, alors que les diffuseurs espéraient que la maturation du marché permettrait d’aller plus loin lors de cette deuxième vague de libéralisation, aucun des projets de télévision privées déposés n’a été autorisé. Pourtant, plusieurs puissants hommes d’affaires de premier plan voulaient se lancer dans la course. Kamal Lahlou rappelle que « trois projets avaient été présélectionnés», mais aucun n’a reçu le précieux sésame.
Pour la HACA, le niet s’explique par l’étroitesse du marché publicitaire. «Compte tenu de facteurs conjoncturels et sectoriels intervenus depuis le mois de septembre 2008, notamment la dégradation de la situation du marché publicitaire ainsi que la crise traversée par Médi1 Sat et le risque encouru pour le secteur dans son ensemble pouvant compromettre l’équilibre et la viabilité des opérateurs audiovisuels publics et privés existants, le CSCA [Conseil supérieur de la communication audiovisuelle, ndlr] a décidé, de surseoir à l’octroi de toute licence de télévision, dans l’attente d’une meilleure visibilité sur les équilibres du secteur» pouvait-on lire dans un rapport de la HACA de juin 2009.
Nabil Benabdellah juge avec le recul cette décision «regrettable et dommage». Kamal Lahlou explique : «Aujourd’hui, les radios publiques n’ont pas fait les frais de l’arrivée sur le marché de nouvelles radios, donc l’argument de la publicité n’est plus valable aujourd’hui.»
L’attente se fait longue, d’autant plus que plusieurs projets de télévision sont en gestation : «Mon projet de télévision, qui sera à l’image de notre radio MFM est fin prêt. Nous attendons juste l’aval de la HACA» nous précise Kamal Lahlou. «Aujourd’hui la libération de l’audiovisuel est indispensable, on a déjà perdu dix ans» conclut-il. Le parallèle avec les pays voisins est «aberrant», note Boumehdi. «La Tunisie et l’Algérie disposent chacune de onze radios privées, même la Mauritanie dispose de cinq télévisions privées» conclut-il. Au niveau mondial, l’on évoque même la disparition plausible de la télévision telle qu’on la connaît aujourd’hui. L’émergence du streaming et du direct sur les réseaux sociaux remet en cause le business model des diffuseurs classiques. Va-t-on attendre que la télévision disparaisse pour l’autoriser ?
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