La nouvelle mouture du projet de loi contre les violences faites aux femmes (recalé en 2013), élaboré par le ministère de la Solidarité, de la femme, de la Famille et du Développement social, avec l’apport du ministère de la Justice et des Libertés, vient d’être adoptée par le gouvernement. Mais le texte ne répond absolument pas aux attentes des associations de défense des droits des femmes, qui dénoncent même un retour en arrière.
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Difficile question des preuves
Les associations critiquent à la fois le manque de mesures concrètes et la philosophie du texte, que la Fédération des ligues des droits des Femmes, dans son communiqué, qualifie de « dépassée ». Par exemple, le texte ne précise pas les moyens mis à disposition de la police pour prouver le viol ou toute autre violence. L’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) aurait par exemple aimé une certaine « flexibilité dans la production de la preuve », nous explique sa présidente Samira Bikarden. L’association craint que cela ne dissuade les victimes de porter plainte, tout comme l’absence de protection des témoins. Le projet de loi n’instaure pas non plus de réparations pour les victimes.
Un problème de définition et de sanctions
L’ADFM dénonce l’absence d’une définition précise de la violence. « Le texte s’est contenté d’une définition brève et générale », remarque Samira Bikarden, qui présage déjà « l’impunité des actes de violence non couverts par la définition ». La définition des Nations unies comprend les actes de violence, mais également les menaces, chose que ne fait pas le projet de loi.
Certaines associations dénoncent aussi des sanctions trop peu élevées, comme pour le viol par exemple. Autre critique : la criminalisation du viol conjugal, toujours absente du texte. Absence aussi de la criminalisation d’actes de violence psychologique et économique. « De surcroit, le projet de loi institutionnalise l’impunité en instaurant la médiation et la conciliation qui sont logiquement prohibées par tous les standards et normes internationaux en matière d’actes de violence », remarque Samira.
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Des reculs
« Nous avons décortiqué le texte et franchement, hormis son appellation, il ne comporte pas d’avancées réelles qui puissent apporter des réponses concrètes au phénomène de violence », estime Samira Bikarden. D’après elle, la violence concerne pourtant deux tiers des Marocaines. Certains atouts de la première mouture, recalée lors du conseil du gouvernement du 7 novembre 2013, ont été supprimés de la nouvelle version. Exemple : les définitions des différents types de violence ou encore l’incrimination du vol ou de l’abus de confiance entre conjoints.
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Les associations pas écoutées
Les associations regrettent, encore une fois, de ne pas avoir été consultées et écoutées. A aucun moment en plus de deux ans, d’après l’ADFM. « Nous [une coalition d’associations, ndlr] avons publié un communiqué en prévision de la tenue du conseil du gouvernement du 17 mars pour dénoncer l’actuelle mouture et attirer l’attention sur ses carences, mais le gouvernement a quand même préféré faire la sourde oreille », nous explique Samira Bikarden.
Le texte ne prévoit pas non plus de collaborer avec ces structures pour le volet prévention du phénomène, alors qu’elles ont pourtant des antennes dans les régions et sont en contact quotidien avec les femmes battues. Pourtant, l’avant-projet prévoit bien des instruments de prise en charge des femmes victimes de violences. Des commissions locales, régionales et nationales seront créées pour répondre à ce besoin.
Pour sa part, l’ADFM réclamait le droit pour les associations concernées de se porter partie civile devant la justice en cas de violence. Le projet de loi ne prévoit pas non plus cette possibilité, alors que les femmes battues ont souvent peur de porter plainte.
Et les autres instances non plus ne semblent pas écoutées. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) ont publié des avis bien plus ambitieux que ce texte de loi. « Le HCP dans son enquête de prévalence avait pointé cela du doigt, mais même cela n’a semblé avoir un impact sur notre gouvernement », estime aussi Samira Bikarden.
Des avancées quand même ?
Difficile d’obtenir des remarques positives auprès des militants féministes. De son côté, la Fédération des ligues des droits des Femmes reconnaît juste « des avancées timides concernant la prévention de la violence à l’égard des femmes ». Et l’ancienne ministre Nouzha Skalli félicite « des sanctions plus sévères » et estime même qu’ « en somme, la structure globale du texte est valable ».
Le harcèlement sexuel y est mieux défini que dans le Code pénal et les sanctions prévues sont plus sévères. Ainsi, de nouveaux dispositifs viennent compléter l’article 503-1 du Code pénal traitant du harcèlement sexuel, puisqu’y figurent dorénavant le harcèlement sexuel sur la voie publique, l’envoi de courriers (y compris des textos) suggestifs ou encore le harcèlement dans le cadre du travail. C’est une nouveauté, le texte criminalise le mariage forcé. Un crime passible d’une peine de 6 mois à un an de prison assortie d’une amende de 5000 à 50 000 dirhams.
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