Depuis son premier livre Un Marocain à New-York, en 2000, Youssef Amine Elalamy a publié dix ouvrages, en français ou en darija. Invité au premier Festival des conversations du Maroc, l’écrivain a participé à la table-ronde intitulé « Le bonheur des conversations ». Pour Telquel.ma, il revient sur la conversation dans son processus de création et sur le dialogue marocain.
Où est la conversation dans le travail d’écrivain ?
Quand je crée, je suis tout le temps en conversation. Avec moi-même ! Les conversations avec soi sont d’ailleurs souvent les meilleures : nous nous posons les bonnes questions – ce qui n’est pas toujours le cas quand on converse avec les autres -, et nous sommes généralement honnêtes et sincères. Nous allons jusqu’au bout dans nos réponses… et il n’y a personne pour nous interrompre. A la fin d’Amours nomades, j’ai même inclus un « bonus » qui est un auto-entretien intitulé « YAE s’entretient avec l’auteur ». Le mode conversationnel est aussi très présent dans mes écrits, au-delà même des dialogues : dans la description, dans l’usage de la langue, dans le phrasé. Cela vient du fait que notre culture est très orale. Nous racontons à la manière d’un conteur, pas d’un narrateur. La notion de narrateur à la première personne est une conception occidentale. C’est le meilleur moyen que l’auteur a trouvé pour exprimer des idées sans avoir à les exprimer directement. Notre « je », de conteur, est collectif.
Conversez-vous avec vos lecteurs ?
Parfois. Quand le narrateur donne des signes de la production même du texte. Comme si, au cinéma, le réalisateur laissait volontairement apparaître le micro ou un bout de la caméra. Je le fais quand je juge utile de préciser que je suis en train de raconter, que ce n’est pas une parole divine, mais moi, qui fabrique un discours et qui créé des personnages.
Au cours des tables rondes du festival des Conversations, plusieurs invités ont déploré une disparition de la conversation au Maroc. Qu’en pensez-vous?
Je ne suis pas d’accord. La conversation ne se perd pas, elle subit des mutations. Pourquoi revenir à la conversation de nos grands-parents ? Pourquoi ne pas revenir à celle du XVIIIe siècle, pendant que nous y sommes ? Et encore avant ? Où s’arrête-t-on ? Aujourd’hui, dans notre environnement, nous avons des objets technologiques. Ce qui ne supprime pas nos besoins humains de communiquer, d’échanger, de se parler. Communiquer au travers d’écrans, ce n’est pas la même chose, mais, contrairement à ce que j’ai pu entendre aujourd’hui, ce n’est pas sans plaisir ! Demandez aux jeunes qui « chatent » sur internet s’ils ne prennent pas plaisir à échanger en ligne ? A inventer ? Au-delà des émoticônes, ils inventent avec des signes de ponctuation, avec des lettres. Ils se sont appropriés la darija avec l’alphabet latin et la communication est très efficace. Ils inventent même des mots !
Converse-t-on de la même façon en français et en darija ?
Cela dépend des aptitudes des uns et des autres. Généralement, les gens qui maîtrisent les deux langues les mélangent, ils passent de l’une à l’autre. Dans la darija, nous avons des expressions très imagées. Par exemple, je dirais «tkarkib ennab » (claquement de gencive, littéralement) et pas « viens papoter ». Quand il s’agit d’humour, c’est encore plus vrai. Avec mes amis, nous ne plaisantons jamais en français, par exemple. Et lorsqu’ils se sentent obligés de traduire nos blagues, nos vannes en français à leurs épouses, françaises, c’est toujours un flop. Elles trouvent ça complètement nul. Il y a une culture que nous portons avec la darija, qui est intraduisible dans une autre langue.
Une culture qui appelle vraiment à un festival des Conversations ?
Je ne pense pas, non. En famille, entre amis, dans des cafés… je crois que les Marocains conversent déjà suffisamment. Par contre, ce dont nous avons besoin c’est d’apprendre à parler en public. Le Marocain est tout à fait à l’aise dans sa sphère privée, mais se bloque, cherche ses mots, dès qu’on lui tend un micro pour s’exprimer. Il ne sait plus quelle langue utiliser, il se sent obligé de parler de façon plus formelle et c’est en arabe classique. Pour lui, la darija est trop intime, trop informelle, presque « vulgaire ». Or, pour bien s’exprimer, le Marocain a besoin de parler en darija ou en Amazigh.
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