Chez le patron du fisc, il n’y a pas de bureau. « Je n’ai jamais eu de bureau. J’ai un plan de travail », nous annonce-t-il en souriant. Omar Faraj prend donc place au bout d’une grande table de réunion. A l’occasion de la traditionnelle publication de la circulaire des impôts, le directeur général des impôts consent à parler. Et le discours du nouveau directeur, en place depuis début 2015, diffère un brin de celui des ses prédécesseurs: il préfère évoquer l’amélioration des services de son administration plutôt que les chiffres. Son ultime objectif? Mettre en place une administration fiscale 2.0. S’il a réussi son premier pari, la dématérialisation de la vignette, le chantier reste colossal. Confiant, l’ex-directeur des domaines de l’État assure qu’il compte le mener à bien, quel qu’en soit le prix.
Depuis la publication de la circulaire des impôts, l’administration a été appelée à apporter plusieurs précisions. La loi est-elle encore sujette à interprétation?
La question fiscale reste complexe et technique. La circulaire des impôts vient clarifier, simplifier et expliciter les dispositions fiscales de la Loi de Finances. Comme le diable peut se nicher dans les détails, la note circulaire est toujours faite en concertation avec les professionnels (CGEM, ordre des experts comptables…) de manière à ce que l’intention du législateur ne soit pas déviée ou mal comprise. Cela dit, il y a toujours un certain nombre de détails ou de questions qui ne se révèlent qu’au moment de la mise en œuvre des dispositions fiscales. Quand il y a des difficultés d’interprétation ou des cas qui surgissent et nécessitent plus d’explications, on se met autour d’une table et on précise.
De nombreux observateurs rapportent la polémique autour des droits de timbre à une mauvaise interprétation de la loi. Pouvez-vous nous expliquer?
Il n’y a pas eu de mauvaise interprétation de la loi. La loi est claire, c’est le travail de recouvrement qui n’a pas été fait. Ce dossier est parmi les premiers que j’ai eu à traiter. Nous l’avons réglé dans les meilleures conditions, et avons réservé un traitement particulier au passif (des entreprises qui ne se sont pas acquittées des 0,25% de taxe sur les paiements en cash, ndlr). Les opérateurs se sont conformés à la loi. C’est un dossier clos. Par ailleurs, je ne peux pas admettre qu’il puisse y avoir plusieurs interprétations de la loi. C’est pourquoi, en marge des cas particuliers que nous traitons immédiatement, nous avons lancé le chantier de la révision du code général des impôts et des circulaires en association avec l’ordre des experts comptables et des comptables agréés, dans le cadre d’une commission conjointe. Nous comptons sur l’expérience de ces professionnels pour recenser toutes les dispositions qui prêtent à confusion ou sont passibles de plusieurs interprétations, afin d’y remédier. Notre objectif est que tout le monde fasse la même interprétation des textes de loi. Nous travaillons également sur le manuel des procédures pour nous assurer que, de Tanger à Aousserd, les mêmes règles s’appliquent sans distinction.
La Loi de Finances 2016 a instauré un délai légal d’un mois pour la restitution de la TVA. L’administration fiscale est-elle en mesure de le respecter?
La restitution de la TVA sur investissement n’est qu’une opération parmi tant d’autres, dans laquelle le respect des délais est important. Maîtriser nos délais de retour, que ce soit au niveau de la restitution de ce que nous devons aux contribuables, du traitement des réclamations ou encore de la remise des attestations et documents administratifs, est un chantier majeur pour nous.
Y-a-t-il des choses concrètes qui sont faites dans ce sens?
Nous travaillons sur la mise en place d’un système d’information pour gérer les flux des déclarations de restitution de la TVA. La procédure manuelle ne sera plus à l’ordre du jour. Le traitement sera informatisé et nous permettra de savoir quand un dossier a été déposé au niveau national. Je précise que ce système, dont nous avons entamé le déploiement en janvier, a été développé en interne. Nous allons aussi donner un accès aux opérateurs pour qu’ils puissent suivre l’évolution de leur dossier.
Qu’en est-il des déclarations et des paiements?
L’ensemble des procédures est en cours de dématérialisation. L’objectif est d’éviter au contribuable l’obligation de se déplacer chez l’administration fiscale. Il ne le fera que s’il a un dossier qui présente une certaine complexité ou s’il a besoin d’un service personnalisé. Nous parlons de civisme fiscal, dont la première base est la simplification de l’acte de déclarer et payer ses impôts.
Vous avez commencé par le paiement de la vignette. Quel est le retour d’expérience?
Il y a eu, au départ, quelques réticences que nous avons dû gérer. Le système a été pensé, conçu et exécuté en moins de trois mois. Nous avions 150 points de vente pour 2 millions de personnes. En intégrant le réseau des agences bancaires, nous sommes passés à 10 000. Sans parler de toutes les autres possibilités comme le paiement par mobile, par GAB, par Internet… Nous avons donné le choix au contribuable sans pour autant fermer les portes de l’administration. L’expérience a démontré l’efficacité de cette approche. L’informatisation de cette procédure nous donne la possibilité de savoir instantanément qui n’a pas payé sa vignette et de prendre les mesures nécessaires. C’est aujourd’hui un cas d’école et une illustration de ce que nous voulons faire en termes de dématérialisation, qui sera nécessairement accompagnée d’une normalisation et d’une standardisation des procédures.
Quel est le prochain acte fiscal à être dématérialisé?
La généralisation de la télé-déclaration. J’estime que le contribuable a le droit à un bon service, rapide et accessible. Nous utiliserons tous les canaux possibles. Il y a même des petites de taxes que le contribuable peut payer avec son smartphone. Je crois que la situation est mûre pour oser franchir le pas. Payer ses impôts est un devoir pour chaque citoyen, mais il n’y a aucune raison pour que ce devoir devienne une corvée.
Cette stratégie de dématérialisation dans laquelle vous vous inscrivez, que coûte-t-elle à l’administration en termes d’investissement?
Le coût est marginal. La dématérialisation de la vignette, par exemple, ne nous a rien coûté.
On ne peut pas parler de fiscalité sans évoquer la question de la réforme fiscale. Où en est-on?
L’application des recommandations des Assises de la fiscalité se fait de manière progressive. D’entrée de jeu, les Assises de 2013 ont clairement montré que notre système fiscal n’était pas plus mauvais qu’un autre. Cela dit, elles ont tout de même soulevé quelques problèmes auxquels il fallait remédier, notamment la question de la multiplicité des taux de la TVA, qui crée des distorsions. La loi de Finances de 2014 avait déjà commencé à mettre en œuvre quelques recommandations. Il reste cependant des corrections à introduire. L’IS et l’IR ont, quant à eux, bénéficié de plusieurs réformes. Pour réduire la pression fiscale, il faut travailler sur l’élargissement de l’assiette. C’est un travail de longue haleine.
Concrètement, cette assiette a-t-elle été élargie entre 2014 et 2015?
Oui, elle a été élargie. Le meilleur indicateur est le nombre de nouveaux contribuables pour chaque impôt. Pour l’IS par exemple, nous avons une augmentation de 8%.
Pensez-vous à la fiscalisation des provinces du sud?
Nous en sommes au stade de la réflexion. Nous étudions le modèle à adopter, mais il n’y a rien de concret pour l’instant.
La contribution du secteur agricole, nouvellement imposé, a été 5 fois moins importante que les prévisions. Comment expliquez-vous cette contre-performance ?
Nous ne savons pas encore. Ces opérateurs avaient pour délai fin décembre 2015 pour payer leur impôt. Le chiffre de 70 millions de dirhams reste pour le moment provisoire, même si je pense que la contribution du secteur agricole restera dans ces alentours. Nous ne voulons pas avoir une première introduction brutale. Nous avons commencé tout un travail avec le ministère de l’Agriculture pour sensibiliser les agriculteurs à la question fiscale. Je crois qu’il faut laisser du temps au temps pour que les gens puissent s’habituer. Bien sûr, nous accompagnons cette démarche avec du contrôle.
La mise en place de l’ICE (Identifiant commun à l’entreprise), une étape importante pour faciliter le contrôle fiscal, a connu quelques couacs. Que s’est-il passé exactement?
C’est un problème purement technique. Les opérateurs concernés se sont rués sur la plateforme début janvier. Du coup, le système a présenté quelques limites. C’est tout à fait normal. C’est de notre responsabilité. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons accordé un délai supplémentaire, jusqu’à juin prochain, pour se conformer à l’obligation de l’ICE.
Cet identifiant vous permet-il de recouper efficacement les informations entre les différentes administrations?
La mise en place de l’ICE répond d’abord au principe de la simplification des procédures et leur dématérialisation. Il permet aux contribuables de gagner un temps considérable, en leur évitant de faire le tour des administrations pour un document. C’est aux administrations de connecter leur système et dialoguer pour faciliter la vie aux citoyens. Mais il y a aussi l’aspect du recoupement d’informations sur une base identifiée pour faire les contrôles nécessaires. Nous sommes avant tout une administration de contrôle. Notre cœur de métier est de contrôler la sincérité et la conformité des déclarations. Mais cela ne veut pas dire que nous avons de la suspicion vis-à-vis des gens. La confiance n’exclut pas le contrôle.
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer