TelQuel: Quel bilan faites-vous à ce jour de la stratégie marocaine dans le secteur des énergies renouvelables qui fixait un objectif de 42% d’électricité renouvelable en 2020?
Abdelkader Amara : Les projets lancés sont en phase avec les délais butoirs. Peut-être un léger glissement de quelques mois. Rien de bien grave. Nous avons comme prévu commencé les tests pour Noor 1 en août dernier. Aujourd’hui, ils sont terminés. La centrale est opérationnelle et n’attend plus que l’inauguration royale. Les autres programmes sont en cours suivant le calendrier initial. Mais il faut savoir que certains programmes pourront être revus à la hausse. C’est ce qui nous fait dire que nous allons atteindre et même dépasser les 42 % en 2020.
Combien représentent les 42% de capacité installée en termes de production électrique ?
Ceci doit représenter 30% de la production électrique. Le reliquat s’explique par l’intermittence de la disponibilité et du rendement des énergies renouvelables. Exemple: la disponibilité en matière de charbon est de 98% si l’on prend en considération les nouvelles centrales. Elle ne sera que de 50% au meilleur des cas pour l’éolien et le solaire. Ceci dit, pour un pays vulnérable énergétiquement, le fait d’avoir une grande part de notre capacité électrique installée de sources renouvelables est en soi un pas important.
Le solaire est aujourd’hui la source d’énergie la plus chère surtout si l’on opte, comme le Maroc, pour la technologie CSP (centrale solaire thermodynamique à concentration). Le Maroc ne regrette-t-il pas ce choix ?
On ne peut pas raisonner que par le prisme du coût. Certes le Kwh solaire d’Ouarzazate Noor qui est de 1,6 dirham est plus cher que le Kwh photovoltaïque estimé à 70 centimes et moins encore. Mais l’énergie éolienne est encore moins chère. Le coût du kwh éolien est de 30 centimes si l’on prend en considération le dernier marché octroyé. Si l’on s’astreint uniquement au coût, on pourrait nous dire pourquoi fournir autant d’efforts et d’investissement dans les énergies renouvelables puisque l’énergie de sources fossiles est plus abordable. Il faut se rendre à l’évidence, quand on parle d’énergies renouvelables, on évoque également un soubassement industriel créateur d’emploi. L’industrie locale ou le tissu industriel marocain sont appelés à accompagner cette stratégie. Il faut voir l’aspect de la rentabilité économique de manière globale. Sur le point de la technologie solaire choisie, nous avons opté pour le solaire thermique parce qu’il nous permet de stocker l’énergie produite. Nous aurons une durée de stockage de trois heures. En d’autres termes, nous pourrons répondre aux besoins des pics, notamment ceux du soir. C’est ce qui nous permettra d’atteindre la rentabilité. Le photovoltaïque ne donne pas cette possibilité. Et pourtant nous ne l’avons pas exclu du projet global. Si Noor I, II et III sont basés sur la technologie CSP, on utilisera le photovoltaïque dans Noor IV. Sur le site de Midelt, nous utiliserons un mix des deux parce que l’évolution technologique rend cela possible aujourd’hui. Grâce à la feuille de route lancée sur le photovoltaïque, nous pourrons développer jusqu’à 5000 MW de capacité installée qui sera destinée au résidentiel et à la moyenne tension.
Plusieurs décrets et lois ont été adoptés et publiés pour réglementer le secteur des EnR. Expliquez-nous concrètement comment sera géré ce segment ?
C’est le libre marché. Pour schématiser : un producteur privé livre à un consommateur privé de l’électricité selon des tarifs librement fixés entre eux. Les prix ne seront pas administrés sur ce segment. Les énergies renouvelables peuvent désormais être utilisées sur la basse, moyenne, haute et très haute tensions. La basse tension c’est le résidentiel. Un marocain peut produire son électricité et réinjecter chez le distributeur. La moyenne tension concerne les industriels, hôteliers et autres opérateurs économiques qui ont la possibilité de se fournir directement chez le privé. Les lignes haute et très haute tensions, sont les premières à être libéralisées comme c’est le cas par exemple pour les cimenteries.
Cela ne risque-t-il pas de créer de la concurrence à l’ONEE et autres délégataires ?
Ce n’est que dans le segment des énergies renouvelables que l’on a donné la possibilité au privé de produire de l’électricité et la revendre selon les lois du marché. Mais pour garder une harmonie dans le secteur, nous avons pensé à la création d’un régulateur. Ce sera une structure de droit public créée sur la base de la Constitution. Cette structure de gouvernance indépendante est en cours de création. Elle veillera à l’absence de discrimination par rapport à l’ONEE. Elle établira les règles du jeu dans le secteur que l’Administration et le privé se doivent d’appliquer.
Sur un autre registre, le gaz naturel a été également au cœur de l’actualité depuis le lancement de la feuille de route en 2014. Où est-ce que vous en êtes ?
Il se trouve que le gaz naturel est la meilleure énergie fossile puisse exister actuellement pour trois raisons : il est moins polluant, moins cher et plus disponible. Mais le plus important pour nous c’est qu’il soit souple en termes d’utilisation en complément des énergies renouvelables. Il y a un mariage parfait entre le gaz et les énergies renouvelables. Nous avons besoin de backup à cause de l’intermittence de ce type d’énergie. Son autre avantage c’est qu’il donne des rendements de 60% quand on est sur des cycles combinés. C’est inédit sur l’échelle internationale. Ce qui me fait dire que certainement sur les années à venir on ferait descendre le gaz naturel à la base en remplacement du charbon. Le plan gazier est en marche. Les appels d’offres ont commencé. Les négociations pour la fourniture de gaz sont presque terminées. J’annoncerai bientôt l’identité de notre fournisseur.
Toute cette stratégie ambitieuse a tout de même pour pilier un office avec une santé financière discutable. N’est-ce pas risqué comme approche ?
Honnêtement, il y a eu des décisions dont l’ONEE n’est pas responsable.On peut reprocher à l’ONEE certaines choses comme le rendement des réseaux ou encore le problème de synergie mais pas tout. Nous avons décidé de sauver l’ONEE car c’est une structure très importante dont l’Etat a besoin pour répondre aux besoins croissants en matière d’électricité. Nous lui avons alloué quelques 40 milliards de dirhams. Une partie a été versée par l’Etat pour recapitaliser et combler les arriérés. Une autre partie émane de la tarification. Nous avons décidé de faire évoluer les prix, chose qui aurait dû être faite depuis longtemps mais ils n’ont pas eu le courage politique pour. Nous avons également demandé à l’Office de dégager 8,5 milliards de dirhams de sa propre gouvernance : vente des actifs, réduction de l’utilisation du fue, … . On ne peut pas parler de stratégie énergétique ni de l’objectif des 52% d’énergie renouvelable à horizon 2030 si nous n’avons pas une structure en bonne santé. Les bailleurs de fonds ne sont pas dupes. Et dieu seul sait que si l’Etat n’était pas derrière l’ONEE pour le garantir, beaucoup de bailleurs de fonds auraient déjà désertés. En somme, Le paysage énergétique au Maroc est entrain de prendre forme. Nous avons presque sécurisé notre avenir proche en ce qui concerne les hydrocarbures.
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