Déchéance de nationalité française ou tempête dans un verre d'eau

Les auteurs de crimes terroristes doivent-ils être déchus de la nationalité française?

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C’est la question qui s’est imposée à l’exécutif français au lendemain des attaques terroristes de Paris du 13 novembre. Le débat fait rage en France même si la société française semble unanime: selon un sondage BFM TV, 86% des français sont favorables à la déchéance de nationalité. Mais le débat s’est aussi déplacé au Maroc, car ce sont pas moins de 1,3 millions de ressortissants marocains qui sont aussi porteurs d’un passeport français. Et surtout, cette nouvelle disposition si elle est adoptée, verra la France renvoyer vers le Maroc des criminels qui, même si ils auront purgé leur peine et payé leur dette à la société, auront commis des actes terroristes graves. Pour tenter d’y voir plus clair, voici un récapitulatif de la législation française existante en matière de  déchéance de nationalité et du projet de réforme de la constitution que prépare le gouvernement de François Hollande.

 Que dit la loi actuelle?

On oublie de le rappeler mais la déchéance de nationalité existe déjà dans le droit français: selon l’article 34 de la constitution française, le Code civil prévoit qu’un individu «qui a acquis la qualité de Français» depuis 15 ans ou moins peut être déchu de la nationalité «s’il est condamné» pour un crime ou délit tel que «l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation», le «terrorisme» ou encore le fait de se livrer au profit d’un Etat étranger «à des actes préjudiciables aux intérêts de la France». Cette déchéance est prononcée «par décret, après avis conforme du Conseil d’Etat». Selon le ministère de l’Intérieur français, 26 déchéances de nationalité ont été prononcées depuis 1973, dont 13 pour terrorisme.

 Que va changer la réforme  de la constitution?

Le projet, transmis pour avis début décembre au Conseil d’état, nécessitera, pour être définitivement inscrit dans le droit français une révision de l’article 34 de la Constitution. Celle-ci, si elle est votée par le parlement réunit en congrès, à la majorité  des 3/5 ème rendra possible une déchéance de nationalité «pour les binationaux nés Français», et plus seulement pour ceux qui ont acquis la nationalité alors qu’ils sont nés dans un autre pays. Là est la nouveauté qu’apporte ce projet de loi. Un français né en France, et titulaire d’une seconde nationalité, pourra se voir retirer sa nationalité française! Les Français n’ayant pas une autre nationalité ne seront pas concernés, pour éviter de créer des apatrides. Le projet de loi devrait être présenté au parlement le 3 février 2016, pour une adoption définitive avant l’été.

Qu’adviendra-t-il des personnes déchues de leur nationalité ?

Selon le Premier ministre français, Manuel Valls, les auteurs de « crimes terroristes déchus de leur nationalité  seront poursuivis et condamnés en France» et précision importante «c’est seulement à l’expiration de leur peine» qu’ils pourront faire l’objet d’une expulsion du territoire français. Dans les cas où l’expulsion ne serait pas possible, si un condamné risque d’être torturé dans son pays d’origine par exemple, un certain nombre de mesures de surveillance en France pourraient être prises, telles que l’assignation à résidence.

Quelles sont les personnes concernées?

L’ensemble des binationaux qui selon l’INED (l’institut national des études démographiques) représenteraient 5% de la population française soit 3,5 millions de personnes parmi lesquelles 1,5 millions sont aussi détenteurs de la nationalité marocaine.

Quelles conséquences judiciaires pour les Franco-marocains ?

Selon le projet de loi élargissant la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France, des ressortissants marocains seront donc susceptibles d’être, s’ils commettent un crime terroriste, déchus de la nationalité française et donc expulsés vers le Maroc. Mais qu’est ce qu’un crime terroriste? C’est la question qui se dégage du débat pour laquelle il faudra obtenir des réponses concrètes selon l’avocate du barreau de Casablanca et membre du club des avocats marocains, Nesrine Roudane: « c’est sur la définition juridique qu’entend donner le gouvernement français à un crime terroriste que l’on doit être vigilant». Et de poursuivre « il ne faut pas que ce soit un fourre-tout où l’auteur de violences sur personne suite à un désaccord pourrait être déchu de la nationalité française au même titre que l’auteur d’un attentat. La définition de crime terroriste doit être claire et assortie de gardes fous garantissant les droits des justiciables ». Elle relève par ailleurs que le Maroc tout comme la France a érigé, au travers de la coopération judiciaire bilatérale, la lutte contre le terrorisme en priorité sécuritaire nationale, « il serait donc paradoxal de reprocher à la France de renforcer son arsenal judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme avec une modification de la loi qui devrait en réalité ne toucher qu’une minorité d’individus » relativise t’elle.  D’autant, toujours selon Nesrine Roudane, que jamais aucun ressortissant marocain n’a été déchu de la nationalité française.

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