Mountassir Hamada: "Un parti salafiste est hors de question"

La libération de salafistes ouvre la voie à leur intégration dans le jeu politique. Mais comment et dans quelles conditions?

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Hassan El Khattab au lendemain de sa libération le 6 novembre 2015. Crédit: Akhbar Al Yaoum

Mountassir Hamada, spécialiste de la mouvance salafiste marocaine, revient dans cette interview sur la libération à la faveur d’une grâce royale de 37 salafistes le 6 novembre dernier, dont Hassan El Khattab, condamné en 2008  dans le cadre du démantèlement  d' »Ansar Al Mahdi », une des cellules « les plus dangereuses » qu’à connu le Maroc, selon l’accusation à l’époque.

Cette libération intervient après celle d’autres leaders de cette mouvance qui ont mené des révisions, renoncé à la violence et reconnu la légitimité de l’Etat et de ses institutions. Comment interpréter ces derniers développements? Que veulent les salafistes et peut-on être sûrs qu’ils ne représentent pas de dangers pour la société?

Telquel.ma: Avant la libération de Hassan El Khattab , d’autres figures du salafisme ont été relâchées. Sommes-nous face à une volonté de clore définitivement ce dossier?

Mountassir Hamada: On peut évoquer la clôture du dossier des prisonniers salafistes. C’est un fait et un grand pas dans ce processus de réconciliation entre l’Etat et ces détenus. Par contre, le dossier des détenus salafistes n’est qu’un volet dans cet épineux dossier de la mouvance islamiste.

L’on vit depuis des décennies dans l’ère de cette mouvance, toute tendances confondues (salafiste, frériste, djihadiste, etc). D’ailleurs les événements du printemps Arabe ont confirmé ce constat.

Est-ce que les salafistes vont maintenant jouer un rôle politique et quelle forme cela pourrait-il prendre (un parti, une association…) ?

Une association, c’est fort probable, disons même que c’est plutôt certain. En revanche, envisager que la mouvance salafiste marocaine crée un parti politique est hors de question pour des considérations politiques, religieuses, sécuritaires et constitutionnelles surtout.

Et si par hasard, on annonce un jour que le Maroc a autorisé la « création » d’un parti politique à tendance salafiste, cela impliquerait de jouer avec le feu.

Combien de salafistes restent-ils en prison et quels sont les plus connus? 

Le chiffre exacte est chez la Délégation générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion. D’ailleurs, on n’a pas évoqué ce nombre exacte ou même approximatif durant la première édition du rapport du champs religieux [2013-2014, publié par le Centre Marocain des études et recherches sur le Maghreb] qu’on a publié durant juin 2015,  et c’est justement à cause du manque des données crédibles sur ce dossier.

Ce qui est certain par contre, c’est qu’il reste une bonne centaine de détenus salafistes, dont la majeur partie est impliquée dans les cellules terroristes qui ont été démantelées depuis 2002.

Quelles sont les garanties que ces personnes ont réellement revu leurs positions et ne constituent pas un danger pour la société? 

Ce sont les mêmes garanties qu’on a eu avec les ex-détenus libérés, comme le prêcheur Fizazi ou Rafiki. C’est-à-dire de la bonne foi d’abord, mais surtout des prises de position totalement différentes comparées à l’époque de « l’adolescence religieuse », comme nous l’avons qualifié dans une étude qui traite le sujet des « révisions » chez les salafistes marocains,  publiée dans le livre « De la critique de la pensée salafiste » (2014).

Certaines parties avaient appelées à une instance équité et réconciliation bis, pour revenir sur les dépassements qui pouvaient exister dans le traitement de ces dossiers. Cela vous parait-il crédible ? 

Pas à ce point.  Malgré le fait la mouvance salafiste a été victime de quelques dérives sécuritaires, et c’est confirmé par la plus haute autorité politique du pays, on ne peut pas les comparer aux dérives des « années de plomb » vécues par la gauche marocaine. Il n’y a aucune comparaison significative entre ces deux dossiers.

Ceci dit, la grâce royale du 6 novembre, et avant elle, celle des cinq prêcheurs salafistes (Fizazi, Chadli, Haddouchi, Kettani et Rafiki) à ouvert la voie à cette réconciliation.

Quel projet politique et sociétal portent ces salafistes repentis?

Leur projet  ne peut s’éloigner du projet islamiste tout court. En laissant de coté le cas de la mouvance d’Al Adl Wa Ihassan (Justice et bienfaisance), soit on aura une mouvance proche du courant salafiste, à mi chemin entre celle du prêcheur Abderrahman Maghraoui, (salafisme quiétiste) et le « salafisme politique »,  soit on tendra vers une mouvance frériste, à l’instar du Parti justice et développement (PJD).

Dans le premier cas, c’est à une nouvelle branche du projet salafiste que l’on va assister, plus proche du courant quiétiste. Dans le deuxième cas, ce serait une mauvaise nouvelle pour les islamistes du PJD, dans la mesure où ils veulent monopoliser le projet islamiste dans les institutions politiques.

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