Un an après avoir été graciés par le roi, les quatre cheikhs du mouvement salafiste n’ont rien perdu de leur verve. Ils s’invitent régulièrement dans le débat public pour faire entendre leur voix.
Les salafistes marocains redonnent de la voix. Les quatre chioukh les plus en vue du mouvement salafiste ont récemment condamné “la croisade” française au Mali. “Aucun Etat islamique ne doit fournir de facilités, comme l’utilisation des espaces aériens, à des Etats non musulmans contre un Etat musulman. C’est formellement interdit par l’islam. Celui qui fournit de l’aide aux non-musulmans est considéré comme un impie”, a notamment affirmé Omar Haddouchi, célèbre cheikh salafiste établi à Tétouan. Même son de cloche du côté de Hassan El Kettani, autre grande figure du mouvement salafiste marocain. “Quiconque lirait l’histoire de la France se rendrait compte que ce pays voue une haine certaine à l’islam. Les populations du Maghreb islamique en savent quelque chose vu qu’elles ont eu à endurer les affres de l’occupation française”, renchérit-il. A un moment où tous les pays de la région sont sous tension à cause de la guerre au Mali, ce genre de déclarations fait forcément grincer des dents chez les officiels et les sécuritaires marocains, particulièrement prudents sur le dossier malien. “C’est un avis religieux que partagent avec nous plusieurs ouléma et dignitaires religieux. Il est triste de constater que certains détournent les propos des chioukh d’une manière qui n’est pas sans nous rappeler les écrits à cause desquels nous avons été jetés en prison en 2003”, répond Abdelouahab Rafiqi, alias Abou Hafs. “Les quatre figures emblématiques du salafisme marocain se cherchent encore, analyse un politologue. Depuis leur sortie de prison en février 2012, ils multiplient les sorties médiatiques, qui sont autant de ballons d’essai, pour tester la tolérance des pouvoirs publics, faire entendre leur voix et exister sur la scène publique”. Cela avait pourtant bien commencé.
L’alternative associative
Peu de temps après avoir été graciés par Mohammed VI, trois des quatre chioukh avaient par exemple pris part à un déjeuner auquel ont assisté plusieurs chefs de partis politiques marocains. Une rencontre informelle qui était censée préparer le terrain à une intégration en douce des salafistes marocains dans le jeu politique. En vain. “Personne n’a donné de suite à cette initiative, se désole ce militant associatif. Les partis politiques n’en ont pas fait une priorité. Les chioukh ont, de leur côté, eu peur de perdre de leur indépendance et de leur crédibilité en intégrant une formation déterminée. Aujourd’hui pourtant, il est important de créer un cadre de travail légal pour cette tranche de la population. Il est même urgent de penser à encadrer ces centaines de salafistes dispersés un peu partout dans le royaume et qui commencent, pour certains, à essayer de rejoindre les mouvements jihadistes en Libye, en Syrie ou au Mali”.
En attendant d’intégrer le jeu politique, certains parmi les dignitaires salafistes du royaume semblent avoir trouvé la parade pour exister publiquement. C’est notamment le cas d’Abou Hafs qui a créé, à Fès, Dar Al Hikma. Une association dédiée au développement humain et aux études stratégiques, au sein de laquelle il a coopté Hassan El Kettani. Agée d’à peine quelques mois, l’association du cheikh fassi a déjà formé quelques dizaines d’encadrants avec l’aide de coachs arabes en développement personnel. Et Abou Hafs ne s’arrête pas en si bon chemin. Celui qui passe pour être “l’intello de la bande” a également été reçu en tant que doctorant à l’université de Fès. Son sujet de recherche n’est pas anodin : la finance islamique.
Cheikh cool
Les autres chioukh du mouvement salafiste marocain coulent des jours plus paisibles. Mohamed Fizazi s’est par exemple remarié pour la troisième fois avec une jeune femme originaire de la bande de Gaza. Comme ses collègues graciés en 2011, ses déplacements en Egypte ou en Tunisie sont fréquents depuis le déclenchement du Printemps arabe. “En Egypte, j’ai tenté une réconciliation entre les Frères Musulmans et les salafistes. Certains de mes amis ont même insisté pour que je séjourne plus longtemps sur place, mais j’ai refusé parce que mon pays a besoin de moi”. Fizazi ne cache pas son ambition de créer un parti politique adossé à une association de prédication et de bienfaisance. “Mais toute ressemblance avec le PJD serait le fruit du hasard”, soutient-il. Le plus libertaire parmi les salafistes marocains n’hésite pas non plus à déclarer publiquement “avoir définitivement abandonné ses idées takfiristes” et condamner “les attentats suicides sauvages”. Sur son site Internet, l’homme poste régulièrement des photos de lui jouant au foot ou prises lors d’une partie de pêche, ce qui ne manque pas de lui attirer les foudres d’une bonne partie d’internautes radicaux.
Installé à Rabat, Hassan El Kettani demeure le plus réservé et le plus discret parmi les quatre hommes. Proche du Parti de la renaissance et de la vertu, où son frère occupe un poste de direction, il se limite à quelques prêches lors de cérémonies familiales et à l’animation d’une page sur Facebook, créée et entretenue par l’un de ses disciples.
Reste Omar Haddouchi, sans doute le plus énigmatique et le plus imprévisible parmi les quatre chioukh. Ses avis religieux sont plus tranchés. Son ton est plus virulent. Depuis sa sortie de prison, il se consacre à dispenser des cours religieux à ses nombreux disciples et à exprimer ses positions quant aux grands sujets d’actualité, toujours à travers des vidéos postées sur Internet.
Reste une question : les quatre chioukh exercent-ils encore une influence sur les salafistes du royaume ? Difficile à dire. Tous ont plusieurs disciples qui leur vouent une véritable fascination. Leurs vidéos et commentaires postés sur Internet sont largement partagés et visualisés partout dans le pays, mais leur influence politique est quasi nulle. “Les quatre n’ont pas réussi à résoudre le dossier des détenus salafistes restés derrière les barreaux. Ils n’arrivent pas à fédérer un grand nombre de disciples autour d’eux et n’ont quasiment pas voix au chapitre sur le plan politique. Contrairement à l’Egypte ou à la Tunisie, il n’y a jamais eu de mouvement politique salafiste au Maroc”, analyse notre militant associatif. Cela risque-t-il de changer ? Mystère.
Médias. In Facebook we trust ! Les quatre chioukh ont tous leurs pages officielles sur Facebook. Pour compenser leur absence des médias traditionnels, ils accordent une grande importance à l’actualisation du contenu diffusé sur les réseaux sociaux, n’hésitant pas à partager certains de leurs états d’âme et quelques réflexions assez personnelles. Généralement, ce sont des disciples qui jouent aux community managers mais sous la supervision directe des quatre hommes. Autre dada des chioukh salafistes marocains : la vidéo. Tous leurs faits et gestes sont filmés par des amateurs, puis postés sur Internet. Effet collatéral de cette ouverture : les commentaires négatifs et parfois des attaques virulentes postés sur les forums de discussions, auxquels les quatre chioukh ne répondent que rarement. |
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