Tanger/Amendis : Faut-il revenir à la gestion publique pour l'eau et l'électricité?

Pour éviter la hausse des factures, Amendis préconise la suppression des compteurs partagés alors que la société civile recommande un retour à la gestion publique.

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La situation entre Amendis et les citoyens de Tanger s’est dégradée un peu plus depuis  un peu plus d’une semaine. En cause la hausse des factures d’eau et d’électricité pour les mois de juillet et août 2015.  Des manifestations ont lieu dans la ville du Détroit  pour contester cette situation.

Après une sortie dans les rues, le 24 octobre, la deuxième en une semaine,  « une commission spécialisée » dirigée par le ministère de l’Intérieur et le wali de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima a été mise en place dimanche 25 octobre. Son objectif: examiner  les plaintes déposées par les habitants de la ville.

Mais en attendant de trouver une issue  au problème comment expliquer une hausse soudaine des prix de l’électricité et quelles solutions possibles pour l’éviter à l’avenir?

Réajustement tarifaire et compteurs collectifs en ligne de mire

Selon Chouhaid  Nasr, le directeur du site d’Amendis à Tanger, qui a accordé une interview  à l’Économiste,  l’augmentation des prix de certaines factures s’explique d’une part par  l’usage des compteurs partagés et d’autres parts l’application du système tarifaire  adopté dans le cadre du contrat programme en juillet 2014 entre le gouvernement et l’ONEE (Office national de l’électricité et de l’eau potable).

« L’application du système tarifaire sélectif adopté à l’échelle nationale a un impact  plus significatif sur les montants des factures du mois d’août  puisqu’elles correspondent  à une période de plus forte consommation. Conjugué à l’effet pervers des compteurs  partagés cela explique parfaitement le montant de certaines factures » explique le responsable de la filiale du groupe français Veolia.

Rappelons qu’afin de pouvoir dégager les 13,95 milliards de dirhams nécessaires à son redressement, l’ONEE a  procédé à un réajustement tarifaire  qui est rentré en vigueur le 1e août 2014. Ainsi la tranche de 151 à 200 kWh a connu une augmentation de l’ordre de 3,8 %  alors que celle de 201 à 300 kWh  a enregistré  une hausse de 8 %. Entre 301 et 500 kWh par mois, l’augmentation des tarifs est de 21%.  Enfin, les clients consommant plus de 500 kWh par mois doivent payer 20 % en plus.

Pour sortir de la crise, le dirigeant d’Amendis préconise la suppression des compteurs partagés. La société chargée de la distribution de l’eau et de l’électricité, en concertation avec les autorités de la ville ont décidé de cibler les quartiers et les habitants détenteurs de ces  types de compteurs.

« Deux  décisions viennent d’être prises couvrant la mise en place de la circulaire interministérielle sur le compteur commun  et une autre sur la simplification des procédures de rajout de compteurs individuels » a indiqué Chouhaid  Nasr.

 La gestion déléguée en question

« Ce qui se passe à Tanger est une continuité des protestations qui ont lieu au Maroc depuis une dizaine d’années (2006)», déclare  à  Telquel.ma Mehdi Lahlou, le président de l’Association pour un contrat mondial de l’eau (Acme) au Maroc. Le responsable associatif pointe également du doigt la nouvelle grille tarifaire imposée par le gouvernement qui « devient de plus en plus insupportable pour la catégorie sociale pauvre et à revenu moyen » mais n’épargne pas pour autant Amendis.

Il reproche notamment à l’entreprise chargée de la gestion déléguée des services publics « d’ajouter la part liée à leurs profits aux tarifs appliqués par les régies». « Il s’agit de services publics de base. Il ne peut en aucun cas y avoir de profit ou de dividende à distribuer à des particuliers ou des sociétés au détriment  des catégories concernées par ce genre de service» souligne le responsable de l’Acme.

Un retour à la gestion publique ?

Pour mettre fin  à la hausse des prix de l’électricité et de l’eau, le président de l’Acme recommande,  « un retour à la régie  gérée par les collectivités locales avec un contrôle plus accentué pour éviter les dérapages comme c’était le cas avant les années 2000. » indique-t-il.

« C’est d’autant plus facile que l’essentiel du personnel qui travaille aujourd’hui dans  ces sociétés privées délégataires de prestations publiques sont des Marocains. On ne peut  pas comprendre que ces mêmes Marocains ne sont pas compétents lorsqu’ils travaillent dans le cadre d’une gestion publique alors qu’ils sont plus compétents quand il s’agit de sociétés privées. »

Selon lui, le fait d’ajouter dans un premier temps la TVA et dans un deuxième temps le profit de l’entreprise de prestation  « ne répond pas aux exigences de l’accès à l’eau, à l’électricité qui  est un droit constitutionnel consacré par l’article 31 de la Constitution».

Le problème pour Mehdi  Lhalou n’est donc pas lié  à la compétence ou la qualification du personnel  « mais plutôt au mode de gestion et d’incitation du personnel ».

Plusieurs fois la cible de la Cour des comptes et de la rue

Amendis a été épinglé a plusieurs  par la Cour des comptes.  Dans son rapport 2009  l’institution dirigée par Driss Jettou  a pointé de nombreux dysfonctionnements dans la gestion déléguée de l’eau et de l’électricité au Maroc et notamment concernant Amendis,  pour « frais injustifiés, manque de lisibilité des factures, retards dans les investissements, insuffisance du nombre de branchements sociaux réalisés».

De même en 2014, l’un des principaux griefs formulés par la Cour des comptes à l’encontre de la gestion déléguée réside dans les augmentations de prix à la charge des consommateurs. « Les tarifs de l’électricité sont relativement uniformes, à l’exception d’Amendis à Tanger qui applique des tarifs légèrement supérieurs par rapport aux autres villes. » souligne le rapport 2014 de la Cour des comptes.

De même, ce n’est pas la première fois qu’Amendis subit la colère des Tangérois. Les usagers des services de la filiale de Veolia manifestent souvent contre la facturation du gestionnaire délégué qu’ils trouvent excessive. En 2011 des manifestants avaient pris pour cible une agence de la filiale de l’opérateur chargée de la distribution d’eau et d’électricité à Tanger, pour les mêmes raisons.  Ils sont même allés jusqu’à demander le départ d’Amendis.

Cette dernière, filiale de la multinationale Veolia, est signataire, en 2002, d’un contrat de gestion d’une durée de 25 ans au niveau des villes de Tanger et de Tétouan.

 

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