Qui a initié, le 11 août, l’idée d’un accord financier pour annuler la sortie d’un livre présumé sulfureux pour la famille royale marocaine ? L’enregistrement réalisé par l’avocat marocain du Royaume qui rencontre Eric Laurent « est de mauvaise qualité » et de « nombreux passages sont inaudibles, notamment les propos du journaliste« , ont noté les policiers dans leur retranscription, selon la source.
Ce qui ne fait pas de doute, c’est qu’Eric Laurent, 68 ans, n’a jamais refusé cette solution, tandis que son interlocuteur, Me Hicham Naciri, mandaté par le secrétaire particulier du roi du Maroc, ne condamne pas le procédé.
Au bar de l’hôtel Monceau, l’ambiance semble détendue. Le livre est évoqué, Me Naciri demande des « choses un peu plus concrètes« . Suit une lecture par Eric Laurent de documents sur l’Office chérifien des phosphates (OCP).
« Y’a pas grand chose« , commente l’avocat. Il tente d’en savoir plus. Parfois, les rires des deux hommes sont retranscrits. « Donc pour vous, vous êtes dans l’optique (…) d’une transaction, moyennant quoi, vous prenez l’engagement avec Mme Graciet d’oublier, d’oublier de façon absolue de parler de tout ce qui peut toucher de près ou de loin (…)« , prononce l’émissaire, selon la source.
La réponse du journaliste est inaudible. « Oui, tout à fait d’accord« , dit-il toutefois quand l’émissaire marocain évoque « un engagement contractuel« . « Qu’est-ce qui vous intéresse?« , insiste l’avocat.
Au fil de la conversation, l’émissaire marocain négocie. « On parle de montants qui sont conséquents« , il demande des « gages« .
« Réfléchissez à un montant »
Deuxième rencontre, même endroit, le 21 août. L’émissaire entre dans le vif du sujet. Trois ans après « Le roi prédateur« , un premier livre accusateur des deux journalistes contre Mohammed VI, « je pense que personne ne veut, ne souhaite qu’un deuxième livre paraisse« , avance-t-il. Mais il insiste encore pour avoir accès à des « documents ».
Eric Laurent rechigne. Cela permettrait « de remonter jusqu’à la source« . Il continue d’évoquer des informations sensibles, mais ne livre pas de détails ou ne révèle pas des faits connus. La conversation s’éternise, chacun tente d’obtenir des informations, le ton reste cordial. L’émissaire du Maroc juge important de rencontrer Catherine Graciet, « compte tenu du fait qu’on parle quand même de trois millions d’euros« .
Les deux hommes discutent modalités: « comment voulez-vous que nous fassions?« , demande Eric Laurent. « Ben je ne sais pas, à un moment donné il va falloir préparer un protocole d’accord« , répond l’avocat. L’entretien se termine. « Comme je vous le disais réfléchissez, réfléchissez à un montant« , conclut Me Naciri.
Troisième et dernière rencontre le 27 août, dans un autre grand hôtel. Pour la première fois, Catherine Graciet est présente. Elle apparaît entreprenante, mais pas question pour les journalistes de montrer leurs documents. Il est question d’un conseiller du roi, d’écoutes téléphoniques, d’un épisode où de la cocaïne a été retrouvée dans une valise diplomatique, de querelles sur l’héritage d’Hassan II.
« Il en ressort une impression… enfin… apocalyptique » pour le royaume, assure Catherine Graciet à ses interlocuteurs. « Dévastateur… dévastateur« , abonde Eric Laurent. L’avocat marocain s’absente et revient avec une contre-proposition d’un million et demi d’euros. « Après, vous l’acceptez ou vous refusez, je ne peux pas vous l’imposer« , poursuit-il, avant de proposer de rédiger un document « avec des engagements réciproques« . Les parties tombent d’accord sur deux millions. Le paiement, « c’est soit Singapour ou plus sûrement Hong Kong« , lâche Eric Laurent.
Les trois protagonistes se retrouvent un peu plus tard pour la signature.
« A vous l’honneur, madame« , invite l’émissaire marocain, qui tend ensuite deux enveloppes.
Des avances, en « billets de 100« . Catherine Graciet se dit « soulagée« , « le contenu était trop grave« .
« Ben écoutez tant mieux que ça se dénoue de cette façon« , répond l’avocat. Peu après, les journalistes sont arrêtés. Ils sont mis en examen (inculpés) pour chantage et extorsion, ce qu’ils contestent.
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