Chantage royal: les journalistes prennent publiquement la parole

Dans deux interviews accordées au Parisien et au Monde, Catherine Graciet et Eric Laurent reviennent sur l'affaire de chantage contre le roi Mohammed VI et se défendent des accusations portées à leur encontre. 

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Répondant aux questions du Monde, Eric Laurent, suspecté d’avoir procédé à un chantage financier, auprès du roi du Maroc, a pris la parole pour la première fois depuis son interpellation, jeudi 27 août à Paris. Catherine Graciet en a fait de même dans les colonnes du Parisien.

En s’attaquant en premier lieu à l’avocat français représentant le royaume, Maitre Dupond-Moretti, Laurent conteste la version exposée dans les médias vendredi 28 août : « Selon lui, je déclare préparer un livre explosif, un brûlot et c’est trois millions. Je mets au défi Dupond-Moretti et le Maroc de produire le moindre élément attestant cela. Je n’ai jamais tenu ces propos. Il n’y a jamais eu de tentative de chantage. » Une défense qui laisse perplexe, deux jours après la publication dans le Journal du dimanche, révélant un extrait de cette fameuse conversation, où le journaliste semble bel et bien exiger une somme de trois millions d’euros.

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Les journalistes s’accaparent le rôle de victime

Expliquant sa version des faits, Eric Laurent revient sur la discussion initiale, entre lui et les correspondants du palais: « J’ai appelé Mounir El Majidi (le secrétaire particulier du roi, ndlr)  pour une raison très simple : dans ce livre que nous avions en préparation, il y avait des éléments concernant la famille royale que nous voulions croiser avec le Palais. Au lieu de cela, le lendemain, j’ai reçu un appel d’un homme qui s’appelle Hicham Naciri, qui est un avocat du Palais, que je ne connaissais pas. Il me dit : « Je suis mandaté par le Palais, est-ce que ça peut attendre quelques jours, je pars au Japon. » Nous nous retrouvons le 11 août à sa demande, c’est lui qui fixe le lieu, au Royal Montceau »

Le 11 août donc, a lieu le fameux premier rendez-vous. « Il n’y a pas de formulation de demande d’argent. Je lui explique que nous préparons un livre sur la famille royale avec un certain nombre de sujets sensibles concernant la succession d’Hassan II. Il me dit : C’est pas vraiment un livre qu’on souhaite voir sortir.»

Et de rajouter : « Il n’y a aucune demande de ma part. Il y a encore moins de menace de chantage. Nulle part. A un moment donné, il me dit : On pourrait peut-être envisager une rémunération, une transaction, en contrepartie d’un retrait écrit. C’est lui qui m’amène à cette idée. »

«Une tentation, pas un chantage » comme stratégie de défense

Estimant par la suite que « Le sujet est extrêmement sensible, très délicat » il concède que la solution de la ‘transaction’ pourrait être une alternative. « Après tout, on n’a pas envie, quelles que soient les réserves que l’on peut avoir sur la monarchie, que s’instaure une République islamique. S’il propose une transaction, pourquoi pas. » Le journaliste va même jusqu’à mettre en avant «le cancer généralisé de sa femme», pour justifier l’envie de renoncer à ce livre et d’empocher la somme promise. Catherine Graciet, elle, plaide pour un instant de faiblesse: « Chacun se demande ce qu’il ferait de sa vie avec 2 M€

Des accusations graves envers le palais

Plus tard dans l’interview, Eric Laurent sous-entend que le représentant du Palais aurait négocié cette offre en échange de l’arrêt du livre et de la divulgation des sources du journaliste: «Il va insister tout au long des réunions suivantes pour que nous livrions nos sources. Bien sûr, nous refusons. Je refuse. Ma coauteure, que je consulte, refuse aussi. » Il en vient à accuser le palais de vouloir le faire tomber : « me discréditer professionnellement et éventuellement avoir accès à nos sources, ce qui aurait permis de couper certaines têtes.  »

Une vision de la déontologie qui diffère

Interrogés sur leur vision de la déontologie journalistique, les deux protagonistes livrent une vision différente. Eric Laurent profite de la question de la journaliste du Monde pour, à nouveau, se défendre des maux qu’on lui attribue : «Ce qui serait allé à l’encontre de la déontologie, cela aurait été de dire : j’ai ces éléments, et je vais vraiment vous demander de me payer, sinon je les publie et cela sera très douloureux pour vous. Ce qui n’a jamais été le cas.» Catherine Graciet, concède, a contrario, un sens de la déontologie journalistique tronqué : «Je sais que, déontologiquement, moralement, ce n’est pas génial, mais je n’y vois rien de mal pénalement.»

Ironie du sort, Catherine Graciet ne s’était pas gênée, en décembre 2014, pour qualifier de « salopards de journalistes », Vincent Hervouet et ses confrères, dans l’affaire dite de ‘l’étrange wikileaks marocain‘, où les journalistes furent accusés d’être payés par le royaume, pour « transformer » certaines informations.  Ses tweets personnels de l’époque l’attestent. Une vision de la déontologie journalistique qui a donc vraisemblablement bien changé en quelques mois.

Tweets graciet

Une vision qui diffère, tout autant que leur stratégie de défense. Eric Laurent prétend avoir informé en temps réel sa consœur, Catherine Graciet, quand la défense de cette dernière affirme que Laurent a tout organisé seul.

Répondant à la question du Monde « Avez-vous envie de publier ce livre», Laurent assure que oui et sous-entend que ce dernier pourrait « ébranler la monarchie ». De son côté, Graciet assure : « Je me suis fait la promesse que notre livre sortira.»

Maitre Dupond-Moretti, de son côté, souhaite requalifier l’accusation des deux journalistes:  « Pour nous, la qualification que retiendraient les juges est importante. La tentative de chantage et d’extorsion de fond est une qualification a minima. Nous demandons une seconde qualification : l’association de malfaiteurs. Nous voulons obtenir une réponse claire à deux questions : « À qui profite le crime ? » et « Quel est le mobile ? » ». Rajoutant qu’il « n’est pas convaincu que l’extorsion de fonds soit le seul mobile », ce dernier n’exclut pas une tentative de déstabilisation du Maroc.

 

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