Il est 10 heures précises lorsque nous rejoignons Aziz Rabbah. Le ministre, habillé de manière décontractée, nous reçoit dans un café populaire de la ville de Kénitra pour prendre le petit-déjeuner. Le lieu choisi pour nous retrouver fait-il partie de son plan de communication ? Il n’y pense même pas. Car c’est ici que le ministre a ses habitudes, et prend régulièrement ses œufs au khlie. Dans l’établissement situé en face de la trésorerie générale de Kénitra, le ministre prépare sa journée de campagne avec trois autres membres de de son équipe. Depuis quelques jours, il brigue un autre mandat à la présidence du conseil de la ville de Kénitra, qu’il occupe depuis 2009. Il est également candidat aux élections régionales de Rabat- Salé – Kenitra.
Tout en avalant son café, le ministre nous détaille son programme électoral pour la ville portuaire : « À l’instar des grandes villes, notre parti a préparé un programme pour Kénitra pour l’amélioration des infrastructures de santé, d’éducation, immobilières… » s’enthousiasme Rabbah. Le ministre compte également mettre en place deux projets stratégiques : le développement d’un pôle urbain autour de la future ligne TGV et la conversion du port de pêche de Kénitra en port de plaisance. Des projets qui, de l’avis du ministre , sont « réalisables » puisque Kénitra dispose « de lots de terrain accessibles à des prix très avantageux qui peuvent encourager les investisseurs à s’installer dans la ville, en plus d’un bassin de main d’oeuvre important ». Il est même fier de nous apprendre que c’est sa ville qui fournit de la main d’oeuvre à Tanger. Et c’est bien aux grandes villes, Casablanca et Tanger, que Aziz Rabbah compare sa Kénitra. C’est dire l’ambition qu’il a pour sa région. Il annonce un programme d’investissements de 10 milliards de dirhams pour la période 2010-2015. Une estimation « mesurée car nous pouvons faire plus », nous assure-t-il.
« Kénitra, une ville qui m’a tout donné »
Aziz Rabbah n’est pas né à Kénitra, c’est dans un petit patelin de Sidi Kacem qu’il pousse son premier cri. « Je suis venu à Kénitra après l’obtention de mon certificat d’études primaires. J’ai vécu dans le bidonville Al Alama jusqu’à ma terminale. Et maintenant que je suis ministre, j’aurais pu m’installer à Rabat. Mais Kénitra m’a tout donné et c’est pour cela que je me sens obligé de lui rendre un peu de sa générosité » raconte-t-il ému et un peu gêné. Aziz Rabbah aime surtout la population de Kénitra, les « 3roubi » comme il les appelle. Il vante leur amabilité : « vous pouvez vous installer à Kenitra le vendredi et vous aurez des amis dès le samedi » blague le ministre. Leur franc-parler est une qualité qu’il partage aussi avec les gens de Kénitra : « On dit que leur langue est à la taille de leur cœur (lsanhoum kad kalbhoum) ». Tant pis si parfois les mots sont maladroits, assume-t-il.
« Celui qu’on ne peut pas accuser de corruption »
Au milieu des confidences, le ministre ne se détourne pas pour autant de son discours politique et ne mâche pas ses mots envers ses adversaires : « Il y a des partis qui ont été fabriqués et utilisent le mensonge, la rumeur et la corruption pour convaincre les habitants de la ville de les élire », accuse le candidat. Et d’ajouter que « si quelqu’un est élu en utilisant ces procédés, il ne cherchera qu’à profiter des ressources de la ville pour son compte ». C’est le discours qu’il martèle aux habitants de sa région. Cette façon de faire de la politique n’est pas celle du PJD, nous assure-t-il. « Au sein de notre parti, on fait de la politique par devoir, par amour et par intérêt. Car nous sommes aussi des citoyens et notre intérêt est de bien vivre dans nos villes. Personne ne peut nous accuser de corruption ».
Pour appuyer sa probité, Aziz Rabbah nous raconte par exemple qu’à son arrivée à la tête de Kénitra, il n’y avait que deux entreprises qui soumissionnaient aux appels d’offres de la ville. « Les autres entrepreneurs ne prenaient même pas la peine de candidater, ils se disaient que les dés étaient pipés, inutile de dépenser des ressources, ce sont toujours les mêmes qui gagnent », témoigne le ministre. Depuis 2009, « des mesures ont été prises pour encourager les entreprises à répondre aux appels d’offres ». Aujourd’hui, sept entreprises postulent en moyenne pour remporter les marchés de la ville, nous assure-t-il. Aziz Rabbah a d’ailleurs traîné en justice son prédécesseur à la mairie, Mohamed Talmoust, pour une affaire d’octroi illégal de lots de terrain. Ce dernier avait été impliqué dans des affaires de corruption en 2006 et a été condamné à une inéligibilité de 10 ans. Aujourd’hui, il est candidat à la commune de Kénitra arborant les couleurs de l’Istiqlal.
Sur le sable rouge du souk
C’est au souk de Hadaha que Aziz Rabbah et la quinzaine de militants du PJD se dirigent pour leur journée de campagne, devancés par un véhicule de campagne du PJD estampillé du slogan : « Notre voix, notre chance pour poursuivre la réforme ». Si le ministre souhaite se rendre dans ce souk rural, à quelques kilomètres de Kénitra, c’est parce qu’il est bien connu des habitants de la région. « La majorité des habitants de Kénitra viennent y faire leurs courses », nous explique Rabbah. Ici, tout est rudimentaire. Les étalages à même le sol, les produits frais comme le poisson et la viande vendus sans respect de la chaîne du froid, les modestes bâches pour s’abriter du soleil de plomb, en disent long sur la dureté de la vie dans ce bout de Maroc. « Ici la misère est criante, et il faut que les médias sensibilisent sur l’état de centaines de souks au Maroc comme celui-la. Il suffit de quelques mesures pour aider ces commerçants », nous interpelle le ministre. « Si Aziz » est connu des commerçants, certains l’embrassent, d’autres lui demandent son numéro de portable que le ministre griffonne sur des bouts de papier.« Je suis un peu connu dans cet endroit, car mon père y était aussi commerçant dans les années 1970 -80. Je venais l’aider quand je n’avais pas cours » raconte Aziz Rabbah .
Au milieu des arracheurs de dents, des femmes qui retirent les poux des têtes des gens, et des dizaines de commerçants, on sent le candidat Rabbah chez lui. Certains l’interpellent quand même pour lui asséner des reproches : « Le ministre, on ne le voit qu’en période électorale », tempête un passant. « Un ministre a aussi du travail, il ne peut pas être avec vous au souk tous les jours », argumente un militant PJD. D’autres s’approchent de lui pour lui proposer : « Moi j’ai 5 voix que peux-tu faire pour moi ? ». Aziz Rabbah fait mine de ne pas les entendre. A la fin de sa tournée du souk, il enchaîne sur d’autres rencontres électorales. Une campagne très chargée pour l’un des hommes forts du PJD qui devra affronter le président du Conseil national du PAM, Hakim Benchemass lors des élections régionales.
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