“Lorsque le roi m’a décoré du Wissam à l’Aid Al Aarch, je lui ai demandé de prier pour moi, pour ma recherche”, confie Amin Hajitou, comme s’il n’en revenait pas encore tout à fait. “Je suis en train de rassembler de grands fonds pour mener les essais cliniques d’une thérapie contre le cancer du cerveau. Elle a déjà permis de sauver des animaux, j’espère qu’on arrivera à sauver des vies humaines”, poursuit-il.
À 45 ans, Amin Hajitou est enseignant-chercheur à l’Imperial College de Londres. Ses travaux sur la lutte contre le cancer l’ont amené à se pencher sur les nanotechnologies. Depuis 2006, il est parvenu à des résultats probants qu’il ne cesse d’améliorer. Le long processus pour l’application clinique d’une thérapie génique est en marche, et devrait déboucher d’ici deux ans sur les premiers tests cliniques sur des patients humains.
Amin Hajitou a commencé ses études à l’université de Fès. Une fois sa licence de biologie en poche, il s’envole pour l’Europe. Après un an de master à l’université Paul Sabatier de Toulouse, direction la Belgique et l’université de Liège pour le doctorat. Il se penche sur la question des mécanismes d’initiation et de progression du cancer, du sein notamment. Il rejoint ensuite le centre du cancer du Texas, en 2002, pour un postdoctorat avec ce constat en tête : “La chimiothérapie n’arrive pas à venir à bout de certaines tumeurs. Il faudrait augmenter les doses ce qui est extrêmement toxique pour le reste des organes”, explique Hajitou. De même pour les inhibiteurs de facteurs de croissance, qui produisent de très bons résultats, mais qui sont également toxiques pour les organes sains.
Des particules de six nanomètres pour soigner le cancer
“Il fallait cibler la tumeur, trouver un agent pour acheminer la thérapie jusqu’aux cellules cancéreuses et épargner les cellules saines. C’est de la biodistribution”, explique le chercheur. La solution viendra de toutes petites particules de six nanomètres, des bactériophages sur lesquels Amin Hajitou fixe des protéines qui sont ensuite injectées en intraveineuse. Les résultats de ces travaux sont publiés dans la prestigieuse revue scientifique Cell.
Les Américains sont emballés et veulent tout de suite passer à la phase clinique. Mais Amin Hajitou est persuadé que sa solution peut encore être améliorée. “Les Américains ont tendance à précipiter les choses. Je préfère être prudent. J’avais en tête l’exemple de la thérapie génique qui avait pris un grand coup de frein à une époque, car un enfant en était mort. On peut sauver des vies, mais il faut prendre son temps,” analyse Hajitou. Il revient donc en Europe, à Londres, et installe son équipe à l’Imperial College en 2008. En parallèle, ces solutions sont testées dans des cliniques vétérinaires américaines. “Aux États-Unis, il y a environ 4 millions de chiens domestiques qui sont atteints d’un cancer. Les tumeurs sont parfois très résistantes, les animaux souffrent, donc les maîtres sont prêts à essayer les nouvelles méthodes qu’on leur propose. Je me souviens notamment d’un petit chien, en 2009, qui avait une tumeur de 14 centimètres. En quatre semaines, après quatre injections, la tumeur avait réduit de 8 centimètres. En 8 semaines, après 8 injections, la tumeur avait disparu. C’est extraordinaire.”
Depuis cette date, à Londres, l’équipe d’Amin Hajitou est parvenue à produire des particules jusqu’à 1000 fois plus efficaces. Mais des souris de laboratoires et des chiens des banlieues américaines aux êtres humains il y a un pas. Le pas devrait être franchi d’ici deux ans. “Je viens d’avoir la confirmation que le laboratoire Pfizer allait financer nos recherches jusqu’au début des essais cliniques. Il nous reste à appliquer nos recherches au glioblastome, la tumeur la plus agressive du cerveau, avant de démarrer les essais cliniques dans deux ans, au plus tard,” annonce Amin Hajitou.
Lorsqu’Amin Hajitou a demandé au roi de prier pour lui, il avait bien en tête de sauver les vies de patients atteints de cancer. Mais il a un autre souhait. À l’Imperial College, il forme de nombreux étudiants thaïlandais qui bénéficient d’échanges avec le Royaume-Uni. Son vœu serait à présent de former des étudiants marocains qui, comme lui il y a vingt ans, voudraient embrasser le sacerdoce de la recherche.
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