Telquel.ma : Pourquoi consacrer un livre à Moulay Hicham ?
Ali Amar : Le prince est un personnage public. Il est depuis des années un commentateur acerbe de la vie politique marocaine et plus largement de la situation régionale. Il s’est aussi et surtout positionné en tant qu’acteur agissant dans certains dossiers au point d’être devenu une sorte de coqueluche des médias du fait de son appartenance à la famille royale. Ses sorties médiatiques tonitruantes, ses effets de manche, sa posture de « prince réformateur » en rupture avec son propre clan et avec les institutions ont fait de lui un personnage très clivant. Il était donc à mon sens normal, moi qui l’ai côtoyé durant des années, de relater son itinéraire, de révéler aussi sa part d’ombre que très peu de gens connaissent. Ce livre enquête aussi à rebours sur ce qu’il avance à propos de certaines affaires qu’il narre lui-même dans sa propre autobiographie pour le moins très romancée et par là même trompeuse.
Comment est-ce que ce livre s’inscrit dans la continuité de vos positions vis-à-vis du Makhzen ?
Ce livre est en effet très critique à l’endroit de Moulay Hicham qui lui-même s’est toujours posé en tant que compétiteur de son cousin, le roi, que ce soit par ses idées qu’à travers ses actes. Ceci dit, me concernant, faire la critique journalistique du prince ne relève pas d’une animosité personnelle, ni par l’absolution du Makhzen pour certains aspects de sa gestion de la chose publique. Il n’est pas question de rallier un camp contre un autre. Je demeure dans mon rôle de journaliste libre de ses opinions. À ce titre, mes positions sur le régime et sa gouvernance n’ont pas changé d’un iota. D’ailleurs, j’ai consacré dans mon premier ouvrage sur Mohammed VI paru en 2009 un chapitre sur Moulay Hicham qui reflétait déjà sa réalité et que je développe aujourd’hui davantage.
Certains avancent que vous auriez conclu un accord avec le Makhzen ; la publication de ce livre contre plus de marge de manœuvre pour Le Desk, votre futur média d’investigation…
Cela relève du pur fantasme. Mon livre est le fruit d’un travail personnel, alors que le projet éditorial auquel je participe avec entre autres des journalistes réputés pour leur solide indépendance est une entreprise collective. La ligne éditoriale de ce projet en cours est la traduction d’un postulat très simple : exercer le métier de journalisme en toute liberté, affranchi de tout lobby qu’il soit politique ou économique et ayant pour seule boussole le respect de l’éthique et de la déontologie. Aussi, je ne vois vraiment pas ce que j’aurais pu négocier, ni pour le compte de qui, ni surtout avec qui ! Nous communiquerons d’ailleurs en temps voulu sur les fondements et le modèle de ce projet qui lui garantissent justement son indépendance.
Comment avez-vous procédé pour votre enquête ?
Cette enquête documentée se base avant tout sur un vécu d’une dizaine d’années durant lesquelles j’ai fréquenté le prince et son entourage le plus intime. Je n’ai donc pas eu à le solliciter à nouveau sur cet aspect. Certaines révélations que j’y expose ont évidemment nécessité le temps long de l’investigation, de la vérification et du recoupement des faits et sur le terrain, des interviews d’acteurs et de témoins, de sources, etc. C’est un livre que j’ai voulu concis et précis.
Qu’avez-vous découvert ?
Le livre rend compte des ressorts de la personnalité de Moulay Hicham et la face cachée de ses ambitions. J’ai dû tirer les fils de son parcours personnel à travers quelques témoignages inédits. Le livre va aussi plus loin, il fait le point sur certaines affaires interlopes dont il a tenté de reconstruire la vérité dans son propre ouvrage, affaires à travers lesquelles il avait voulu expliquer son bannissement de la Cour et son exil qu’il avait pourtant soigneusement orchestrés. L’ouvrage révèle aussi une facette totalement méconnue du prince: son affairisme.
Qu’en est-il du projet de livre sur Mohammed VI ?
J’avais en effet l’intention de publier à l’occasion du 15e anniversaire de l’intronisation de Mohammed VI un livre que je voulais comme une sorte de second tome de celui que je lui avais consacré aux dix ans de son règne. Ce projet n’a pas vu le jour pour plusieurs raisons. La sortie simultanée de celui de Omar Brouksy a quelque peu refroidi mon éditeur, sachant que j’avais demandé un délai supplémentaire pour en réécrire plusieurs passages traitant d’affaires diplomatiques, ayant pris connaissance de la masse de certains documents officiels fuités à l’occasion de l’affaire Coleman. Par ailleurs, des fragments piratés avaient été éventés dans la presse. À ce jour, le manuscrit n’est pas encore abouti pour pouvoir en fixer une date de sortie. Je le garde toutefois en réserve.
Comment avez-vous réagi face à la publication de vos notes de travail ?
Certaines de mes notes lourdement caviardées, augmentées et réorientées ont circulé sur Internet. Je n’en connais ni la source, ni les protagonistes, ni le mobile. Ce n’est pas la première fois, et cela ne m’a pas étonné outre mesure. C’est la preuve encore une fois que les journalistes qui enquêtent sur des sujets sensibles sont particulièrement visés. On l’a d’ailleurs constaté dans d’autres affaires récentes, ce qui soulève plus que jamais la nécessité absolue de barder davantage nos outils technologiques. C’est devenu une de nos préoccupations majeures à laquelle il faut s’atteler en priorité.
Y a-t-il des thématiques, des zones d’ombres que vous cherchez à éclaircir pour un prochain ouvrage ?
Je m’intéresse beaucoup en ce moment au phénomène des lanceurs d’alerte, une thématique partagée mondialement aujourd’hui avec les cas Snowden, Assange, etc. C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis l’éclatement au Maroc de l’affaire Coleman aux relents très troubles, mais je suis très loin d’en faire le projet d’un livre…
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer