« J’ai cru que c’était une blague. Je me baladais avec ma femme dans les souks quand il a surgi de nulle part et a commencé à me répéter d’une voix mielleuse : mets-lui le hijab, mon frère ! », se souvient Issam, agacé par cet homme qui alpague les femmes et leur reproche leur tenue. « Non mais de quoi je me mêle ? », s’agace-t-il. Pour son épouse Selma, le pire, ce n’est pas l’intrusion : « Il ne m’a même pas adressé un mot. J’étais une potiche dans l’affaire, la propriété de mon mari, une chamelle qu’il traînait derrière lui. »
L’histoire remonte à 2012. Deux ans plus tard, rebelote : « Il nous est tombé dessus alors que nous buvions tranquillement un thé en terrasse. J’étais à deux doigts de lui casser la gueule », fulmine Issam. « Nous n’avons plus remis les pieds au Grand Socco pendant les six mois qui ont suivi. Ça a refroidi notre enthousiasme alors que nous venions de déménager à Tanger », se désole Selma, qui découvre ici cette forme particulière de harcèlement : « À Casa, c’était les ‘Pssst, manchoufouch azzine’. À Tanger, c’est plutôt ‘Allah ihdik, couvre-toi yal moutabarija (terme péjoratif signifiant femme non-voilée, ndlr).’ »
Les Tangérois le connaissent bien, cet homme à la barbe hirsute et au qâmis salafiste marron, qui rôde dans les rues de la ville, mâchonnant la parole divine et promettant les feux de l’enfer aux femmes jugées indécentes. « Quand ce bouffon nous a harcelés et que mon mari a riposté, il nous a dit qu’il allait nous appeler Daech », peste une internaute tangéroise, fermement décidée à porter plainte. « J’espère seulement que la police ne va pas à son tour juger scandaleuse ma façon de m’habiller. » Au Grand Socco, l’individu suscite une contrariété mêlée de résignation : « Nous avons fini par nous habituer à ce triste énergumène », confie l’un des serveurs de la Cinémathèque. « C’est clair que ce n’est pas du tout agréable pour nos clientes d’être agressées de la sorte. Nous le chassons mais il revient à chaque fois à la charge. La police l’a arrêté à plusieurs reprises mais il a toujours récidivé. Il est increvable. »
Malika est du même avis : « Je l’ai vu se faire tabasser violemment par un commerçant parce qu’il avait fait fuir un couple de clients à cause de ses prédications, raconte la Tangéroise. Visiblement, ça ne l’a pas du tout calmé. » Mais l’homme a aussi ses « admirateurs. » Sur la page Facebook « TanGer » qui a publié la fameuse vidéo, il est affectueusement baptisé « Moul Lemkane » (le maître des lieux). Le community manager vante même la bonté et la dignité d’un homme « très pauvre, au point de vivre dans une caverne de la forêt de Rmilat » mais qui, « malgré tout, garde la foi, invite les gens à la droiture et les avertit contre le mal. C’est vrai que sa façon de s’adresser aux femmes est erronée et infâmante, mais je vous demande de lui pardonner et d’être patients avec lui car il est sincère. »
Par Sana Guessous.
Pas seulement les femmes il parle à tous les passants comme l’homme au début de la vidéo .