Le poids du mariage coutumier dans les régions les plus enclavées

A l’heure où la question d’un nouveau délai supplémentaire pour régulariser les mariages par la Fatiha agite les parlementaires, dans la région d’Azilal, les habitants témoignent des difficultés économiques qui entravent leurs efforts. Reportage.

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Une femme et ses enfants originaire de A

C’est au local de l’Association Al Khader que de nombreuses femmes d’Aït Mhamed, dans la région d’Azilal, ont pu trouver une échappatoire à leur condition. Dans cette région, les femmes s’occupent de tout et rares sont celles qui ont pu franchir les portes de l’école. Sous l’impulsion des caravanes de sensibilisation, la situation des femmes tend pourtant à s’améliorer à Aït Mhamed.

« Quand on a fondé cette Association, les femmes ont commencé à faire des tapis, le haïk, et à gagner un peu d’argent. Elles ont la maison et l’association, c’est tout ce qu’elles ont ici », constate Najah Naima, présidente de l’association pour les femmes d’Aït Mhamed. « Avant, il n’y avait personne pour leur parler, avec l’association on sensibilise les femmes, on leur demande d’arrêter de marier leurs filles et de pratiquer les mariages précoces, on les laisse étudier, et les filles sont devenues plus conscientes grâce à ça », ajoute-t-elle.

Alors que la grande majorité des habitants de Aït Mhamed déclarent que le mariage coutumier n’est désormais plus la norme dans le village, jusqu’en 2013, la situation des femmes et des jeunes filles était pourtant catastrophique. « Avant 2013, il y avait des mariages à l’âge de 14 ans, 15 ans, et la jeune fille en souffrait. Elle n’avait ni enfance ni rien, elle commençait à supporter la responsabilité de la maison dès 8 ans. Elle se marie jeune, accouche jeune, c’est une souffrance », explique Najah.

Les locaux de l'association Al Khayer pour les femmes d'Ait Mhamed - Crédit -Tarek Bouraque
Les locaux de l’Association Al Khayer pour les femmes d’Aït Mhamed – Crédit -Tarek Bouraque

Rapprocher les institutions des régions enclavées

Si aujourd’hui les progrès sont notables, cela s’explique en partie par l’engagement du président de la commune qui s’est penché sur la question mais aussi grâce à l’influence de la société civile, notamment de la Fondation Ytto. Avant le début des premières caravanes de sensibilisation en 2008, les habitants du village ignoraient presque tout les dispositions de la Moudawana.

La régularisation ne s’est cependant pas faite du jour au lendemain, et ce principalement en raison des problèmes économiques qui entravent la région. « Quand on demande aux personnes concernées, pourquoi ils n’ont pas fait légaliser leurs actes de mariage, ils répondent que la procédure est longue, mais surtout qu’ils n’ont pas les moyens financiers », souligne Malika Aneks, élue de la commune de Aït Mhamed.

Pour pallier à ces difficultés et tenter de rapprocher les institutions de cette région, la Fondation Ytto a tiré la sonnette d’alarme en 2009. Résultat : « Le ministère de la justice a également ouvert une campagne pour légaliser les contrats de mariages, à ce moment là, le Tribunal de première Instance d’Azilal s’est déplacé dans les locaux de la commune d’Aït Mhamed pour légaliser les actes de mariage. Ainsi, plusieurs problèmes ont été résolus », se félicite la jeune femme.

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Si Malika estime que le problème est désormais résolu « à 100% », la question se pose toujours dans les zones plus enclavées de la région où la pratique du mariage coutumier est une réalité bien vivante, notamment à Aït Abbas situé à un peu moins de 30 kilomètres du village d’Aït Mhamed.

Le handicap économique

À l’heure où la question d’un nouveau délai de cinq années supplémentaire pour régulariser les mariages par la Fatiha agite les parlementaires, dans ces zones marginalisées la demande se fait de plus en plus pressante. « On nous a accordé un délai de quatre ans, ça ne suffit pas parce qu’il reste au moins 15 à 20% de cas qui n’ont pas encore pu faire certifier leur acte de mariage ni régulariser la situation de leurs enfants », souligne Mohamed Karbich, président d’une Association locale de développement.

La route provinciale reliant Ait Abbas/Ait Mhamed/Azilal - Crédit : Tarek Bouraque
La route provinciale reliant Aït Abbas/Aït Mhamed/Azilal – Crédit : Tarek BouraqueCrédit: Tarek Bouraque

À Aït Abbas, le handicap économique est également mis en avant. « Pour faire l’acte de mariage il faut compter au moins 240 dirhams de voyage, auquel s’ajoute 200 dirhams de frais médicaux, 170 dirhams de frais de dossier pour le Tribunal et 630 dirhams pour l’Adoul, ce qui fait un total d’environ 1230 dirhams », souligne Mohamed. Une somme exorbitante pour ces habitants de l’une des régions les pauvres au Maroc. « La gratuité a encouragé les gens à faire certifier leurs documents. Mais maintenant, ils doivent aller jusqu’à Azilal, le délai est terminé », ajoute pour sa part Malika Aneks.

Une situation à double tranchant puisque le manque d’implication des autorités conjugué à des coûts administratifs trop élevés poussent les gens « à continuer le mariage par la Fatiha », estime Mohamed Kharbich. « Etant donné qu’ils ne peuvent pas se permettre de passer par la voie légale, ils continuent de pratiquer le mariage coutumier en espérant une nouvelle amnistie », conclue-t-il.

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