En dépit de l’absence de cadre juridique, des dizaines d’entreprises sociales existent au Maroc, sans même parfois en avoir conscience. Pour promouvoir cette forme d’activité, un nouvel incubateur se propose dès la rentrée prochaine d’accompagner des projets d’entreprises sociales. Si le nom n’est pas encore arrêté, l’incubateur est financé par le Comptoir de l’innovation (appartenant au Groupe SOS) et la fondation Drosos (active dans plusieurs pays de la région Mena). Sa création a été annoncée le 8 juin dernier lors d’une conférence.
L’incubateur devrait fonctionner à partir de la rentrée prochaine. Tous les six mois, six nouveaux entrepreneurs seront accueillis et accompagnés pendant un an. Une année durant laquelle les experts du Comptoir de l’innovation les aideront à parfaire leur business model, les accompagneront dans leur stratégie, leur offriront un réseau. L’équipe bénéficiera aussi d’un espace de coworking mis à sa disposition.
Comment profiter de l’incubateur ?
L’appel à projet sera lancé cet été. Le Comptoir de l’innovation a décidé de choisir des projets en amorçage, pas forcément très matures. Parmi les critères de sélection retenus : l’adéquation entre la solution apportée et le problème social à résoudre, la prise en compte de certaines valeurs dans le modèle économique, la personnalité de l’entrepreneur ou encore la dimension technologique.
L’innovation en général et le numérique en particulier sont en effet souvent retenus par les entrepreneurs pour offrir des solutions peu coûteuses et accessibles aux problèmes sociaux. L’incubateur devrait accompagner aussi bien des personnes diplômées que des entrepreneurs aux bonnes idées mais dépourvues du bagage intellectuel nécessaire, peut-être issus d’un milieu plus défavorisé.
L’entreprise sociale, c’est quoi ?
Mais qu’est-ce qu’une entreprise sociale ? Les différents acteurs du secteur ne sont toujours pas d’accord, à en croire les débats qui ont eu lieu lors de la conférence. Aujourd’hui, il n’existe pas de statut d’entreprise sociale au Maroc. L’économie sociale et solidaire bénéficie bien d’un cadre juridique mais il inclut en fait des structures qui ne sont pas vraiment des entreprises sociales, puisqu’il concerne toutes les coopératives, mutuelles et associations. « Prenons l’exemple d’une petite coopérative laitière qui est devenue très grande [la Copag, ndlr], est-ce que c’est vraiment une entreprise sociale ? », se demande Asmae Diani, présidente du Centre marocain des études et de recherche sur l’entreprise sociale (Cmeres). Pour elle : « Il y a un défaut de caractérisation. Il ne faut pas regarder le cadre juridique pour la définir mais son business model ». Elle se risque alors à l’exercice de la définition : « Il s’agit d’une entreprise qui a une mission sociale soutenue par un projet économique », explique-t-elle.
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Si seulement cela pouvait simplifier la définition. Mais là aussi il y a débat. Youssef El Jaouhari, président d’Olea Institute, estime par exemple qu’on peut considérer une entreprise comme étant sociale lorsqu’elle affecte 50 % de ses revenus au social. Amina Slaoui, présidente du Groupe Amicale marocaine des handicapés (AMH), véritable success story de l’entrepreneuriat social au Maroc, a une toute autre vision : « Nous sommes une entreprise sociale lorsque tout ce que l’on gagne est réinvesti dans le projet ».
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Pas de statut spécifique
Mais tout le monde est d’accord: cette définition est primordiale pour surpasser certains obstacles. Amina Slaoui expose le problème du Groupe AMH, jusque là association mais qui pense éventuellement à changer de statut. « Les associations grandissent tellement qu’elles développent des activités à but non lucratif. Mais aujourd’hui nous sommes dans un flou juridique. Nous avons besoin d’un statut qui nous permette de réaliser ces activités », explique Amina Slaoui. Youssef El Jaouhari évoque pour sa part le problème du financement : « J’ai rencontré Bnp Paribas qui m’a expliqué qu’elle était intéressée pour accompagner des entreprises sociales marocaines mais qu’elle ne le faisait pas pour le moment parce qu’elles n’avaient pas de statut ».
Malheureusement, Youssef El Jaouhari ne semble pas trop optimiste quant à l’arrivée du cadre législatif : « Cette loi ne sortira pas avec ce gouvernement. Ensuite, elle devra s’accompagner d’une stratégie », rappelant que d’après lui : « Aujourd’hui il existe un ministre de l’économie sociale et solidaire, mais sans aucune stratégie ». En attendant, tous ces acteurs du secteur sont unanimes pour crier un grand « Osez ! » aux jeunes qui ont des idées plein la tête mais sont craintifs face à l’absence de statut. Même s’ils sont d’accord de l’intérêt de mener un plaidoyer pour la reconnaissance de l’entreprise sociale, celle-ci, disent-ils, ne peut pas attendre. « La loi suivra puisque de toute façon l’Etat a intérêt à nous chouchouter », conclut Amina Slaoui.
K-Demy, proposer du préscolaire sur téléphone portableTout juste diplômée de l’école Mohammedia des ingénieurs, Sara Chellaoui est en train de lancer K-Demy. Cette entreprise sociale aura pour but de rendre plus accessible l’éducation préscolaire aux enfants issus de familles défavorisés (aussi bien dans les populations rurales que bidonvilloises). Sa solution : utiliser des techniques de mobile learning, « au vu du taux de pénétration de la téléphonie mobile au Maroc et parce que cette solution est moins coûteuse que de construire des crèches », explique la jeune fille. Utiliser la technologie pour résoudre un problème social, voilà la philosophie de l’entreprise sociale d’aujourd’hui. K-Demy commercialisera des conseils pour les mamans et des exercices pour les enfants, transmis par téléphone. Le prototype est en cours de réalisation. Un projet qui pourra séduire le Comptoir de l’innovation ?[/encadre]
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