Il y a dix ans, Marock est projeté pour la première fois au festival de Cannes mais aussi en avant-première lors du Festival de Casablanca. Il sort par la suite en France où il rencontre un beau succès (plus de 150 000 entrées) puis au Maroc l’année qui suit. Sexe, alcool, insouciance religieuse… Leila Marrakchi met en scène la jeune bourgeoisie, perdue et assoiffée d’excès. Mais si le film est d’apparence légère, il montre une certaine réalité et renferme en ses scènes des messages qui sonnent comme des revendications politiques.
A Tanger, la polémique enfle
Si la première projection dans le territoire marocain se passe dans une bonne ambiance lors de la première édition du Festival de Casablanca en 2005, la polémique commence à enfler lors de la participation de Marock au Festival national du film de Tanger qui révèle le film à un plus grand public. Peu avant la projection, les protestations commencent déjà. « Il faut se solidariser pour dénoncer le film, Leila Marrakchi ne connait rien aux réalités marocaines », dénonçaient certains, parmi lesquels des artistes marocains. Marock est même qualifié de « film sioniste » par d’autres, argumentant que la réalisatrice est mariée à un juif. Même le PJD promet de poser une question au parlement à propos du premier long métrage de Leila Marrakchi, jugé contraire aux valeurs de la société marocaine. Mohamed Asli, réalisateur de A Casablanca les anges ne volent pas, va jusqu’à dire que « ce n’est pas un film marocain » et dénoncer publiquement sa programmation au sein d’un festival national.
Mais ce n’est pas ce qui décourage la réalisatrice pour autant. Leila Marrakchi a la commission de censure de son côté qui n’a pas touché à une scène de son premier long métrage. Elle a juste estampillé les affiches d’un « interdit aux moins de 12 ans » qui se justifie par le langage cru utilisé et les scènes à connotation sexuelle. Le film sort alors le 10 mai 2006 où il rencontre un beau succès. Une performance qu’il doit notamment à son audace, mettant sur la table des thématiques peu traitées dans le cinéma marocain à l’époque.
Amours interdites
Si le film a provoqué un véritable raz-de-marée, c’est avant tout parce que la réalisatrice a osé mettre sur écran une histoire d’amour peu acceptée dans la société marocaine jusqu’à aujourd’hui. Une idylle entre une musulmane peu soucieuse des préceptes religieux et un jeune juif qui brave les interdits dictés par ses croyances. Youri (campé par Mathieu Boujenah, un Tunisien qui débute dans le cinéma) et Ghita (Morjana Alaoui, une cousine de la réalisatrice) assument une histoire d’amour prohibée, motivés par leurs sentiments mais aussi par leur désir de dépasser les qu’en-dira-t-on. Entre les parents de la fille qui essaient de la résonner et les amis de Youri qui espèrent que leur ami « ne fait que s’amuser » avec une Arabe. Une des scènes qui provoqueront le plus de réactions est celle où Ghita, en train d’embrasser son amoureux, fait une fixation sur l’étoile de David accrochée à son cou. Le jeune homme l’enlève et la lui accroche, « comme ça elle arrêtera de la regarder et pensera à autre chose ».
La jeunesse dorée casaouie
Dix ans avant la sortie du film, Leila Marrakchi n’avait que vingt ans. L’âge où l’on brave les interdits, entre amour, sexe et questionnements existentiels. La jeune réalisatrice s’est inspirée de son passé pour dessiner le portrait de cette jeunesse pour qui rien n’est impossible, jouissant d’une vie confortable. Courses de voitures nocturnes, soirées où l’alcool coule à flot et villas avec jardins à perte de vue, Leila Marrakchi a mis en scène le mode de vie exubérant d’une jeunesse perdue qui ne recule devant rien pour donner du sens à son existence. A travers des protagonistes qui ne manquent pas de moyens, Leila Marrakchi montre la liberté assumée de cette tranche de la société qui ne se laisse intimider ni par les interdits du pays (un agent de police qui vous surprend en train d’embrasser langoureusement votre moitié sera vite calmé par un billet d’argent), ni par les freins religieux (Ghita, le personnage principal, ne jeûne pas pendant ramadan et ne s’en cache pas). Tout cela dans une époque sensible du Maroc où Hassan II règne toujours.
Marock, visionnaire ?
Dans Marock, Leila Marrakchi anticipe sur des sujets qui seront au centre du débat quelques années plus tard. Nous sommes en 2005, deux ans à peine après les attentats du 16 mai à Casablanca, et la réalisatrice profite de sa trame narrative pour y insérer un clin d’œil à l’islamisation de la jeunesse marocaine. Mao, le grand frère de Ghita, fraîchement revenu de l’étranger, devient un autre homme que sa sœur ne reconnait plus. Il est désormais un musulman orthodoxe qui a fait table rase de son passé de fêtard et se permet désormais de juger de ce qui est bon ou pas dans son entourage. Un changement radical qui sera reçu avec beaucoup d’incompréhension de la part de ses proches, restés fidèles à leur mode de vie. On se rappelle de la scène où Ghita découvre son frère en train d’accomplir la prière. « Mais qu’est-ce qui t’arrive, t’es tombé sur la tête, t’es zinzin ? Tu t’es cru en Algérie ou quoi ? Tu vas devenir barbu, c’est ça ? », s’exclame la jeune fille habillée d’un petit short rose bonbon.
L’argent résout tout
Ce même frère ainé a tué un homme en conduisant à vive allure complètement ivre. Mais pas d’inquiétude, Mao ne sévit pas en prison comme c’est le cas de ses semblables car ses parents ont les moyens de le tirer d’affaire. « Mais heureusement papa était là et papa a le bras long… Papa a payé la famille du mec pour qu’ils ferment leur gueule… Combien ça coûte la vie d’un môme des bidonvilles, 100 000, 200 000 balles, hein ? Combien avez-vous craché pour que Mao n’aille pas en taule », s’écrit Ghita en pleine réunion familiale lorsque son frère lui fait des remarques désobligeantes sur sa relation avec Youri. Cette scène, tout comme celle qui montre le copain de Ghita donnant un bakchich au policier au début du film, transcrit la facilité de la vie au Maroc lorsque l’on évolue dans un milieu aisé.
Ce film a marqué mon existence!!!