Comment l'argent public finance des mosquées à l'étranger?

Le Maroc finance, de manière plus ou moins transparente, des mosquées à l’étranger. Un moyen non dissimulé d’influencer la pratique de l’islam dans ces pays.

Par

Photo d'illustration

Le « soft power » à la marocaine se joue aussi dans les mosquées. Le royaume entretient des liens très étroits avec certains lieux de culte situés à l’étranger. Le Maroc a participé au financement de plusieurs d’entre eux, en France et en Belgique notamment, par le biais d’aides de la fondation Hassan II, d’un don du roi en personne, ou même du soutien direct du ministère des Habous et des affaires islamiques.

L’argent public marocain peut en effet être utilisé : que ce soit pour des finitions lors de la construction, ou même pour assurer quasi-entièrement le budget de fonctionnement d’une mosquée. C’est le cas par exemple de celles de Saint-Etienne ou d’Evry qui sont devenues propriétés du Maroc. « Le ministère des Habous et des affaires islamiques a donné 5 millions d’euros pour la construction sur un coût total de 8 millions », nous explique Aldo Oumouden, porte-parole de la grande mosquée Mohammed VI de Saint-Etienne et secrétaire général de l’Union des mosquées de France. Une manne non négligeable quand on sait qu’en France, l’Etat ne finance la construction d’aucun lieu de culte, toutes religions confondues.

De la promotion de « l’islam du milieu »…

Pour Aldo Oumouden, ce soutien marocain va de soi : « C’est une manière de rendre hommage aux MRE, qui ont contribué à l’économie marocaine ». Mais il ne nie pas qu’il s’agit aussi d’un relais d’influence. « Il est vrai qu’il y a une ambition de certains pays d’aider et d’essayer d’apporter leur propre culture », concède Aldo Oumouden, qui évoque ensuite la « promotion d’un islam du juste milieu » mise en oeuvre par le Maroc.

Même idée à Evry, ou le recteur Khalid Merroun nous confie que s’il a finalement décidé de confier la mosquée au Maroc il y a cinq ans alors qu’elle appartenait auparavant à la ligue mondiale islamique (l’affaire a duré dix ans au tribunal), c’est pour « garder sa conscience tranquille », faisant référence au fait qu’il est proche de la retraite et qu’il veut laisser sa mosquée entre de bonnes mains.

Lire aussi : Comment le Maroc vend «l’islam du milieu» à l’international

Pour Aldo Oumouden de la mosquée de Saint-Etienne qui a bénéficié du travail de 50 ouvriers venus du Maroc, cette intervention a un autre avantage : « C’est aussi une mosquée vitrine de toute l’architecture marocaine, elle fait maintenant partie du patrimoine stéfanois, lors des journées du patrimoine, elle a reçu 2 800 visiteurs », met-il en avant.

…au choix de l’imam

Ce financement peut également entraîner une certaine « contrepartie », pour reprendre le terme de Baddre-Eddine Bentaïb, fondateur du site français trouvetamosquee.fr et connu pour son tour de France des mosquées. Lorsque le Maroc finance, il choisit alors les imams, quitte parfois à les « imposer » aux fidèles.

En 2014 par exemple, le remplacement de l’imam jordanien de la mosquée de Blois par un Marocain suite au chèque du roi d’un montant de 787 000 euros (un peu plus de 8 millions de dirhams), a fait grand bruit. « Le Maroc est arrivé à faire table rase de l’aspect spirituel, c’est gênant. Ce cas est symptomatique d’une certaine ingérence », commente un membre actif de la communauté, à propos du cas de Saint-Etienne, où un imam marocain employé depuis dix-sept ans par le Maroc a été démis de ses fonctions quand le royaume s’est impliqué davantage dans la gestion de la mosquée. Un renvoi qui a suscité des manifestations de protestation des fidèles.

Des liens peu transparents avec le royaume

Quoi qu’il en soit, la transparence n’est pas de mise en ce qui concerne le financement par le Maroc des mosquées. L’association Vivre ensemble qui gère celle de Blois, a par exemple refusé de nous parler. Celle de Saint-Etienne, qui accepte volontiers de communiquer, n’est cependant pas « habilitée » à nous donner une idée du budget qu’elle reçoit annuellement de la part du royaume. Contacté à plusieurs reprises, le ministère des Habous n’a pas non plus souhaité répondre à nos questions.

Difficile donc, de savoir combien de dirhams, parmi les 2 milliards de dirhams alloués chaque année au ministère, sont utilisés pour les lieux de culte étrangers. Impossible aussi d’avoir une idée du nombre de mosquées concernées. Pour Aldo Oumouden, « beaucoup aimeraient bénéficier de ce statut là [propriété du Maroc, ndlr], une centaine de dossiers partent chaque année, mais le nombre reste très limité ». Selon Baddre-Eddine Bentaïb, seules quelques mosquées françaises sont concernées: « on n’en compte pas plus d’une dizaine à tendance très marocaine »,  mais il est vrai « que le Maroc aide de plus en plus ».

Rappelons que la France compterait entre 2,1 et 3,9 millions de musulmans selon les estimations. Donner un chiffre précis est impossible puisque la loi française interdit de recenser les populations par religion. Et d’après les chiffres du recteur de la mosquée d’Evry Khalid Merroun, les mosquées françaises sont peuplées à 60 % de Marocains.

Le Maroc concurrencé par d’autres ?

Mais comment la relation se noue-t-elle entre le Maroc et ces fidèles MRE ou d’origine marocaine ? D’après les témoignages recueillis auprès des mosquées, il s’agit toujours d’une démarche émanant des fidèles à l’étranger, entre démarche individuelle auprès du roi et initiative collective d’une association. Mais « c’est assez flou, les dirigeants expliquent qu’ils ont approché le Maroc mais c’est peut-être l’inverse », se questionne Baddre-Eddine Bentaïb.

D’après certains, le Maroc solliciterait directement les associations : « Ce sont les associations et mosquées qui s’adressent le plus souvent au Maroc, mais pour les projets ambitieux il est certain que le Maroc fait aussi directement du lobbying pour avoir son influence », affirme le gérant d’un site sur la communauté musulmane en Belgique. Un fantasme encouragé par le manque de clarté quant aux conditions à remplir pour bénéficier de cette aide. Il semble en effet qu’il n’existe pas de critères officiels pour profiter de ce soutien financier, à l’image des appels à projet auxquels doivent répondre en général les associations.

Sur ce terrain d’influence, le Maroc est en compétition avec d’autres Etats aux portefeuilles de taille, comme le Qatar, l’Arabie saoudite ou le Koweït. Si pour Baddre-Eddine Bentaïb, il s’agit de cas « anecdotiques », les aides financières sont bien là. Et c’est d’ailleurs ce qui pousse Aldo Oumouden à imaginer : « le Maroc devra un jour ou l’autre mettre en place une organisation structurée pour gérer ces mosquées. Pourquoi ne pas créer une fondation Mohammed VI en France, qui jouerait le rôle de relais pour les investissements qui viennent d’ailleurs, pour que le Maroc soit le chef d’orchestre ».

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer