Cet article rentre dans le cadre d’un projet de fact-checking (vérification des faits) propulsé par l’association Cap Démocratie Maroc et mené par l’équipe de Telquel.ma. Un site exclusivement dédié au projet verra bientôt le jour. Le projet s’appelle L’Arbitre.
Vendredi 6 février à Paris, lors du Forum franco-africain pour une croissance partagée, Mohamed Boussaïd, ministre de l’Économie, a estimé que l’économie marocaine avait bien résisté à la crise mondiale, en réalisant un taux de croissance moyen autour de 4,5 % entre 2008 et 2013. La preuve que le modèle économique national avait su tenir le coup face à la forte baisse de la demande extérieure, a rapporté la MAP.
Le ministre a même été plus loin, considérant que l’économie marocaine, désormais plus diversifiée, était moins soumise aux aléas climatiques, qui impactent fortement le secteur agricole. Le ministre a aussi vanté l’attractivité du Maroc pour les investissements directs à l’étranger, dont le flux entrant au Maroc aurait atteint un record en 2013.
La stratégie économique marocaine repose ainsi selon Mohamed Boussaïd « sur une politique réaliste qui consiste à gérer le contexte, tout en œuvrant à créer les conditions d’une croissance inclusive et durable ».
Telquel.ma a décidé de vérifier si les propos du ministre pouvaient être validés après confrontation aux chiffres.
1. La croissance maintenue à 4,5 %
On ne peut pas nier l’impact sur le Maroc de la crise mondiale qui a éclaté en 2008, puisque le PIB a alors vu sa progression ralentir, qu’on prenne les mesures du Centre marocain de conjoncture (CMC), du Haut-commissariat au plan (HCP) ou de la Banque mondiale. Mais de fait l’impact a été plus mesuré que dans nombre de pays européens, directement touchés par la crise. Le taux de croissance moyen avancé par Mohammed Boussaïd, 4,5 %, se confirme globalement, à quelques décimales près.
VERDICT : Le royaume est parvenu à maintenir une croissance d’environ 4,5 % durant les années de crise.
2. La demande intérieure aurait pris le relais de la demande extérieure
Peut-on en conclure que la demande intérieure marocaine a su prendre la relève face à la crise ? L’avis du HCP est plus nuancé.
Source : HCP
La contribution des dépenses des ménages à la croissance a reculé continuellement, à l’exception de l’année 2011 (voir graphiques ci-dessus) ; idem pour l’investissement des entreprises. Le solde de nos échanges extérieurs s’est montré quant à lui non négligeable dans sa contribution aux variations du PIB, qu’il s’agisse des échanges avec nos partenaires commerciaux en général ou de nos importations de produits pétroliers en particulier.
Les variations du court du pétrole (voir graphique ci-contre) ont pu apporter tantôt de l’air, tantôt un coup de frein, au solde des échanges extérieurs.
De quoi établir un semblant de corrélation − dans une certaine mesure − entre la croissance de la richesse nationale aux cours du pétrole.
La politique de décompensation des produits pétroliers, initiée en septembre 2013, puis mise graduellement en œuvre jusqu’à la fin 2014, correspond à un moment de baisse historique des cours du pétrole, et en allège d’autant l’effet sur les ménages et les entreprises. Mais les cours du pétrole finiront vraisemblablement par remonter, et pèseront alors plus lourdement sur les acteurs économiques.
Lire aussi : En 2014, la balance commerciale s’est améliorée grâce à la chute du cours du pétrole
VERDICT : Il est difficile d’attribuer la croissance à la seule demande intérieure. La baisse du cours du pétrole a apporté sa contribution à la croissance du PIB. Et à l’avenir, cette corrélation a toutes les chances de s’accentuer, désormais que les produits pétroliers ne sont plus compensés par l’État.
3. L’agriculture et les aléas climatiques, moins influents ?
En revanche, l’agriculture reste déterminante pour l’économie marocaine. Ses résultats dans la contribution au PIB varient dans des proportions considérables, du fait des aléas climatiques: si la croissance du Maroc a flirté avec les 3% en 2012, c’est parce qu’elle a été fortement impactée par la baisse de la production agricole, notamment céréalière, qui a connu une baisse de 40 %, en raison du faible taux de précipitations.
De plus, au terme de la période prise en considération par Mohamed Boussaïd, l’agriculture pèse davantage dans la production de valeur de l’économie. En 2013, la valeur des productions non agricoles n’est plus que 5,44 fois plus élevée que celle de l’agriculture, alors que l’était 6,46 fois plus en 2008. L’économie marocaine n’est donc pas moins soumise aux aléas climatiques.
VERDICT : L’agriculture, et avec elle les aléas climatiques, compte toujours autant, voire tendrait à compter même davantage, dans les performances de l’économie marocaine.
4. Le Maroc, champion des IDE ?
Les investissements directs à l’étranger (IDE) à destination du Maroc ont-ils atteint un montant record en 2013 ?
Peu de doutes là-dessus, les chiffres de la Cnuced sont clairs sur ce point. Et on peut même aller plus loin, puisque ce record permet au Maroc de devenir le premier hôte d’IDE sur le continent africain, place jusque-là dévolue à l’Égypte. En revanche, à voir si ces investissements, relativement fluctuants, se confirmeront dans les chiffres 2014 et 2015.
VERDICT : Les investissements étrangers à destination du Maroc ont atteint un record en 2013. Attention toutefois avant d’en tirer des conclusions hâtives sur notre attractivité: il faudra voir si cette performance se confirme (l’effet « oasis de tranquilité » dans une région secouée par le Printemps arabe allant en s’atténuant avec le temps). Mais la déclaration est valide.
5. Emploi : la croissance est-elle « inclusive » ?
Reste à vérifier notamment si la croissance profite à la population, en particulier quant au taux d’emploi.
Selon les données du HCP, le taux de chômage, après plusieurs années de stabilité autour de 9 %, a même progressé en 2014 pour approcher des 10 %. La création d’emploi reste faible, avec 21 000 postes créés en 2014, là où l’activité économique devrait, pour absorber la main d’œuvre au chômage, en créer 300 000.
VERDICT : Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible de qualifier la croissance d’inclusive, étant donné qu’elle ne permet pas la réduction du chômage.
Jugement de L’Arbitre
Carton jaune. Le ministre de l’Économie Mohamed Boussaïd a sans doute donné dans la méthode Coué, en espérant que son optimisme soit contagieux. Il écope donc d’un carton jaune, pour avoir partiellement embelli la réalité. Malheureusement, même si la croissance du PIB marocain a tenu un rythme de progression de 4,5 % de 2008 à 2013, avec le concours d’investissements étrangers en indubitable augmentation, la demande intérieure tend à s’essouffler. Et elle s’avère insuffisante à réduire le chômage. Dans le même temps, l’économie marocaine est restée tout autant tributaire des campagnes agricoles et donc des aléas climatiques.
Lire aussi : Le Maroc a-t-il réalisé les Objectifs du millénaire en 2012 ?
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