«Le jihad n’est pas fait pour tuer» Latifa Ibn Ziaten

Son fils a été tué en 2012 par le jihadiste Mohamed Merah, en France. Latifa Ibn Ziaten part prêcher l'islam de la tolérance dans les quartiers délaissés par la République française. Entretien.

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Latifa Ibn Ziaten
Latifa Ibn Ziaten, présidente de l'association IMAD Pour la jeunesse et la paix. Crédit : Association IMAD

En France, les attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher ont relancé le débat sur le contrôle de la propagande islamiste. Que faire, en amont, pour éviter que les jeunes français musulmans se laissent embrigader par la mouvance jihadiste ? Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, le militaire assassiné par Mohamed Merah en 2012 en France, a fait de sa souffrance son combat.

Par le biais de son association, IMAD Pour la jeunesse et la paix, elle intervient auprès de jeunes enfants d’immigrés, vivant dans des banlieues difficiles. Elle écoute leurs problèmes, leur apporte ses conseils… Régulièrement invitée à témoigner dans les collèges et lycées, elle expose sa vision d’un islam de paix et de tolérance. Et depuis les derniers attentats, son message a d’autant plus d’impact.

Latifa Ibn Ziaten pointe notamment l’enfermement des cités et le manque d’imams formés en France, mais appelle surtout à plus de présence aux cotés des jeunes de banlieue, trop mis de côté.

Telquel.ma : Que répondez-vous aux jeunes qui vous confient être attirés par le jihad ?

Latifa Ibn Ziaten : D’abord expliquer ce que signifie vraiment le jihad… Pour moi c’est beaucoup de choses : lorsqu’on doit aider quelqu’un, se lever le matin pour aller à l’école, pour son avenir… le jihad n’est pas fait pour tuer. Ce que je fais pour les jeunes dans les lycées, c’est un jihad. Un combat pour le vivre ensemble. L’islam est un islam de paix, de respect, de l’amour et de tolérance. La religion est instrumentalisée par les extrémistes et le problème, c’est ce que ces jeunes ne connaissent rien à l’islam. Ils sont livrés à eux mêmes, fragiles, sans éducation, donc facilement récupérés par les jihadistes. Il ne s’agit pas de l’islam, mais d’une secte. Il faut que les imams soient formés pour travailler dans les mosquées françaises, avec de bonnes traductions en français, pour que les jeunes puissent comprendre.

Que faudrait-il faire pour éviter qu’ils se laissent endoctriner par la mouvance islamiste radicale ?

Il faut plus d’éducateurs, des imams mieux formés, des associations qui se rapprochent de ces jeunes pour les aider et les cadrer, et surtout les faire sortir de leur cité. Le problème, c’est que les familles vivent dans des cités fermées, même l’école y est. Ils n’ont même pas besoin de sortir, tout est en bas. On doit vivre avec les valeurs et la culture du pays dans lequel on vit, sauf qu’une cité fermée, c’est comme une prison. Ce n’est pas normal. On y vit comme « en dehors » de la France, ce sont deux mondes différents. Il faut aider ces jeunes, les écouter et leur donner une chance. Lorsqu’un enfant est en difficulté scolaire ou devient violent, il ne faut pas le mettre de côté et le punir sans arrêt, sans savoir pourquoi il agit comme cela. Il faut les soutenir et leur donner du courage.

Lorsque j’entends dans la bouche des enfants des mots tels que « La République ne m’aime pas, je suis rejeté par la société, je n’ai pas de chance à l’école parce que mes parents ne peuvent pas m’aider à faire mes devoir. Je ne connais pas mon identité. De toute façon, on n’aime pas mon identité, ni mes origines. Je suis français mais pas pour eux, pour personne. Je ne sais pas ce que je suis »… cela me fait mal. Le problème est profond.

Il s’agit donc essentiellement d’une recherche d’identité ?

Bien sûr ! Le jeune, il ne sait pas qui il est. Entre ce qu’il vit dans sa famille et l’extérieur de sa cité, il y a deux mondes complètement différents. Chez lui, on parle même une autre langue. Si le passage de l’un à l’autre n’est pas bien accompagné, il peut se perdre. Pour que leur double culture devienne une richesse, il faut un dialogue, une transmission. Il faut pouvoir bouger en vacances, le rapprocher de sa famille et lui faire découvrir les origines de ses parents. Cela n’est pas bon de rester chez soi avec sa nostalgie.

J’ai pu amener des jeunes au Maroc durant un séjour de 10 jours… Leur regard brillait, c’était merveilleux, ils étaient joyeux. Lorsque je leur ai demandé ce qu’ils avaient retenu de ce voyage, voilà ce que j’ai entendu : « J’ai appris à vivre avec l’autre, à connaître l’amour, à voir comment les familles partagent, même lorsqu’ils sont pauvres… ils sont riches dans le cœur ». Cela me donne beaucoup de courage d’entendre ça, et je crois que c’est pareil pour eux. Ils se rendent compte de ce que sont vraiment leurs origines, puis simplement de comment cela se passe ailleurs.

Que conseillez-vous aux parents inquiets pour leurs enfants ?

Il faut donner une bonne base à ses enfants pour qu’ils ne se trompent pas de chemin. Cela passe par des règles mais aussi et surtout, par le dialogue. La mère, elle, est le pilier de la maison, elle doit rester proche de ses enfants, profiter des repas du soir pour dialoguer… Tout est là, dans cette présence et cette écoute.

Cela ne sert à rien d’acheter des jeux chers et des vêtements de marque, il leur faut de l’amour, de l’attention et de l’écoute. Lorsqu’on voit que l’enfant s’isole, qu’il est mal dans sa peau, enfermé seul dans sa chambre et devant son ordinateur, il faut lui demander ce qu’il fait… Pour sentir qu’il se passe quelque chose, il faut être resté proche. Il ne faut surtout pas baisser les bras, pour eux, pour nos enfants.

Célia Coudret, étudiante du master journalisme de l’UCP

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