Chris Coleman: les explications des journalistes français incriminés

Les 4 journalistes français mis en cause dans des emails "leakés" par le compte Twitter Chris Coleman ont finalement démenti avoir été achetés par la DGED.

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De gauche à droite: Vincent Hervouet, José Garçon, Mireille Duteil et Dominique Lagarde.
De gauche à droite: Vincent Hervouet, José Garçon, Mireille Duteil et Dominique Lagarde. DR

Voilà plus de 3 mois que le compte Twitter anonyme Chris Coleman (chris_coleman24) publie des milliers de documents et emails qui auraient été obtenus en infiltrant les boîtes e-mail de personnalités marocaines et qui se concentrent en grande partie sur le lobbying marocain sur le Sahara. Et jusqu’à aujourd’hui, aucun démenti officiel sur la véracité de ces documents n’a été publié par le gouvernement.

Cependant, un par un, les 4 journalistes français incriminés par des emails de l’homme d’affaires et directeur de publication de l’hebdomadaire L’Observateur du Maroc, Ahmed Charaï, ont finalement tous démenti avoir reçu de l’argent et des cadeaux de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), pour écrire des articles favorables au Maroc dans le dossier du Sahara.

L’affaire des « journalistes corrompus » fait les gros titres en France

Il faut dire que si les médias marocains ne se sont pas beaucoup intéressés à l’affaire, le sujet à fait les gros titres en France, les rédactions privilégiant naturellement les accusations de corruption envers quatre journalistes dont la carrière semblait pourtant exemplaire : Vincent Hervouët de la chaîne d’information LCI, José Garçon du quotidien Libération, et Mireille Duteil et Dominique Lagarde respectivement journalistes des hebdomadaires Le Point, et L’Express.

Ils ont tous en commun d’avoir collaboré, à un moment ou un autre, même brièvement, avec Ahmed Charaï : en contribuant par des chroniques à la version web puis papier de L’Observateur du Maroc ou en écrivant des articles pour la version francophone de la revue américaine Foreign Policy (qui n’est parue que quelques mois).

Or, dans un des emails qui auraient été interceptés, Ahmed Charaï se félicite d’avoir réussi à constituer un réseau de journalistes « amis ». Dans un autre, il réclame à l’un de ses correspondants plusieurs milliers d’euros pour rétribuer leurs services.

Des rétributions que les quatre journalistes réfutent en bloc avoir reçues.

« Otages d’une machine à salir »?

Déjà, le 22 décembre dernier, Vincent Hervouët, le journaliste de LCI, contacté par le site d’informations Médiapart, avait mis en cause la véracité des mails, assurant que «certains mails sont totalement faux, d’autres sont aux trois quarts faux, dans d’autres un seul mot a été changé. Je pense même avoir repéré deux faussaires différents, un qui multiplie les fautes d’orthographe et de syntaxe, et l’autre plus subtil».

Puis quelques jours plus tard, les 3 autres journalistes incriminées clament leur innocence dans deux articles séparés, publiés le même jour, mardi 30 décembre.  Dominique Lagarde, ex grande reporter au service monde de l’Express et responsable des pages Maroc de son édition internationale s’insurge : «Non, je n’étais pas à la solde du Maroc». La journaliste, désormais à la retraite, relate comment elle a fait la connaissance et dans quelles circonstances elle a –brièvement- travaillé avec lui. Et d’ajouter : «J’ai toujours choisi mes sujets et leur mode de traitement journalistique en toute liberté, sans aucune complaisance. Il en était de même, bien sûr, pour ceux publiés dans l’édition nationale ou sur le site Internet. Je n’ai jamais reçu d’argent, ni de cadeau. Je n’ai jamais non plus accepté une seule invitation, que ce soit à titre professionnel ou privé.»

Le même jour,  José Garçon et Mireille Duteil, donnent elles aussi leur version des faits dans une tribune publiée par Libération. Les journalistes, qui publient chaque semaine des chroniques  dans L’Observateur du Maroc, s’estiment «otages d’une machine à salir». Elles aussi expliquent leur silence initial par la conviction qu’un examen de leurs articles lèverait «toute ambiguïté».

Argument encore plus intéressant, Mireille Duteil explique que l’écriture de deux livres sur l’Algérie lui ont pourtant «donné la réputation d’être pro-algérienne». Et d’ajouter «Je me retrouve aujourd’hui pro-marocaine. Ainsi va le buzz».

Un levier pour s’assurer de l’attention des médias étrangers?

José Garçon, quant à elle, rappelle que ses articles sur « les infiltrations et les manipulations des groupes armés islamistes par les services de sécurité algériens » lui avaient valu d’être « privée » de visa. « A l’époque, on m’accusait d’être liée à l’opposition algérienne, aujourd’hui au Makhzen. Je crois plus simplement que «Chris Coleman24» – quelle que soit son identité – n’est pas mécontent de tenter de discréditer au passage mon travail sur l’Algérie. »

Car les quatre journalistes sont d’accord pour voir, derrière cette « fuite » massive de documents, l’implication des services algériens. «Rabat accuse les services de renseignement algériens d’être derrière cette campagne de dénigrement. Thèse plausible» commente Dominique Lagarde, tandis que José Garçon et Mireille Duteil évoquent un «contexte barbouzard de cyber guerre entre deux états en rivalité et en affrontement larvé permanent».

Pour les journalistes, leur mise en cause n’a qu’une explication : s’assurer que les médias étrangers  s’intéressent aux milliers de documents -dont certains courriers diplomatiques qui semblent authentiques-  publiés par le compte Chris Coleman. Ils s’accordent aussi pour mettre la déontologie de « Chris Coleman » en doute, indiquant que ses tweets insultants, les rumeurs «en dessous de la ceinture» qu’il propage, mais aussi son anonymat, le différencient des lanceurs d’alerte comme Edward Snowden et Julian Assange.

Un point de vue partagé par l’autre personne incriminée par ces emails: Ahmed Charaï. Joint par Telquel.ma, ce dernier renchérit. « On attaque la crédibilité de grands journalistes, que l’on ne peut juger que sur leur travail». Selon Ahmed Charaï, c’est pour cette raison que Chris Coleman a impliqué le célèbre journaliste d’investigation américain Richard Minter. « Pourtant, assure-t-il, avant que je le rencontre, Richard Miniter avait été invité à visiter les camps de Tindouf par le Polisario. On lui reproche aujourd’hui un travail honnête».

Pour lui, cette campagne « haineuse et lâche» est clairement orchestrée par les services d’un Etat, « même si on ne peut pas assurer que cela vienne d’Algérie. On a falsifié et travesti mes emails et on veut salir ma réputation. Mais ils n’y arriveront pas».

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