Lorsque Gareth Bale propulse le ballon dans les filets de Thibaut Courtois à la 110e minute d’une finale haletante, Taïeb Smili entre aussitôt en ébullition. Pas seulement parce qu’il sait que ce but garantit au Real Madrid la 10e couronne européenne de son histoire, un titre après lequel il court obsessionnellement depuis douze ans. Même si ce serait suffisant pour le plonger dans une profonde transe, il y a autre chose : le Real va jouer la Coupe du monde des clubs au Maroc. Pour ce cinquantenaire passionné, pilier de la Peña Casa Madridista, c’est une occasion fabuleuse de recevoir son équipe de rêve chez lui : « On a créé l’association il y a huit mois à peine, en commençant par des pages Facebook, puis on est passés du virtuel au réel. Aujourd’hui, c’est quelque chose de très important dans nos vies ».

Le Real avant tout

Ce n’est pourtant pas la première Peña Madridista constituée au Maroc, mais c’est bien elle qui sera aux avant-postes lors de la réception du Real. Younes El Khayri en est le président. La trentaine élégante, les cheveux gominés, il pourrait presque se fondre dans l’effectif des Blancs : « On travaille comme des fous pour préparer cet évènement, certains laissent de côté leur boulot, font une croix sur des contrats qu’ils pourraient décrocher, mais on est tous déterminés à faire les choses bien. Je peux vous l’assurer, ils vont être surpris par ce qui les attend. On a pris 600 places pour la demi-finale et autant pour la finale ». Il faut dire qu’on a affaire à un groupe qui déploie une ferveur impressionnante, des gens capables par exemple d’organiser un rassemblement bruyant de 700 personnes pour la finale de la Ligue des Champions, une sorte de mini-Bernabeu. Les images tournées ce soir-là ont fait le tour de la planète madrilène, via les canaux du club lui-même. Une grande partie des membres ont pu se déplacer à Madrid pour un match, leur statut de Peña agréée leur donne accès à des tickets à tarif préférentiel. Sur place, là aussi, ils en profitent pour se faire remarquer : pas moins de 9 banderoles à leurs couleurs étaient présentes dans les différents endroits du stade lors du dernier clasico. Au final, et c’est leur plus grande victoire, ils sont pris au sérieux par le club.

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« Le Madridisme est universel, ça n’a rien à voir avec l’Espagne. Il faut savoir que la plupart des spectateurs du Bernabeu sont des étrangers. On s’y identifie à 100%, quand on parle de l’équipe, on dit nous, c’est parfaitement normal », martèle Taïeb, bientôt rejoint par Younes, qui explique comment il est régulièrement saisi de tremblements en plein match ou comment il a détruit, après une défaite, un écran cinquante pouces acheté la veille. Ils sont publicitaires, pharmaciens, transitaires, et leurs histoires se ressemblent : tombés dans le madridisme par tradition familiale, au cours de vacances dans le nord du Maroc, ou tout simplement séduits par les galactiques de Zidane, et marqués à vie par cette passion. Kamil : « Quand on traverse une mauvaise période, j’hiberne. Quand le Barça de Guardiola raflait tout, je ne regardais même plus le foot, aucun match, mais au final, ces périodes difficiles renforcent mon sentiment de madridiste… »

Dans le groupe, un gamin dénote. Il s’appelle Adnane et habite à Meknès. Jeune diplômé en informatique, il consent à des sacrifices importants pour se déplacer à Casablanca chaque semaine pour les rassemblements hebdomadaires des Madridistes  : « Oui, ça me coûte cher, il y a le train, le taxi, le retour de nuit, et dès que je rentre chez moi j’économise pour le match suivant. Maintenant, je suis à 100% mobilisé pour la Coupe du monde, je chercherai du boulot quand ça sera passé… »

Tout un programme

Au menu des festivités, donc, deux tifos géants de 2000 mètres carrés chacun prévus pour la demi-finale et la finale. Ils savent que ces tifos ne seront pas filmés, la FIFA donnant des instructions très précises pour éviter tout risque de message politique. Peu importe, le message est dirigé au club plus qu’aux téléspectateurs. Coût de l’opération : 150 000 dirhams pour les deux draps. La Peña a également prévu des plaques commémoratives pour chaque joueur. Younes : « Tous les joueurs ont une sorte de musée personnel, une vitrine où ils mettent leurs trophées. On a prévu que cette plaque aille là-bas, où elle va être très belle. Il y aura aussi, à l’intérieur, un morceau de bois de santal pour l’odeur, ça va les marquer ». Si l’accès à un bout d’entraînement de l’équipe est toujours suspendu à la décision de Carlo Ancelotti, tout comme l’organisation d’une séance de signatures, la réception à l’aéroport est validée, ainsi que la mise en place d’un cortège géant pour se rendre aux matchs, avec escorte bien entendu. Toutes ces actions ont été négociées avec le club, y compris le contenu des tifos. Il y sera question, bien entendu, de l’universalisme du Real Madrid. Il est très rare qu’une équipe reçoive un tel accueil loin de ses bases. Adnane en est fier : « Il y a eu un tifo levé pour le Real en Pologne, pour un match de préparation, mais ça n’a rien à voir avec ce qu’on va faire… ».