« Ils n’ont rien à se reprocher, pourquoi vivre ce calvaire ? », se demande Fatima El Oualfi, vice-présidente de l’association Osraty. « Ils », ce sont les enfants placés par la justice parce qu’ils ont été victimes de violence au sein de leur famille ou parce que leurs parents sont prisonniers par exemple, et qui se retrouvent dans des centres de sauvegarde fermés, normalement destinés aux mineurs de plus de 12 ans « en conflit avec la loi ou en situation difficile ».
Pourtant, comme l’explique Miloud Sefnaj, chef du service de la sauvegarde de l’enfance au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports, le placement dans un tel centre (il en existe 20), « est un dernier recours pour les magistrats ». La juge de mineurs Fatima Ougadoum explique : « 50 % de ces dépôts pourraient être évités ». En effet, les juges peuvent choisir de les placer sous tutelle, dans une institution de formation professionnelle, une association, une institution privée…
Mais alors pourquoi réserver un tel sort à ces enfants ? Il semble que le manque de formation des juges soit l’une des explications. « On ne sait pas pourquoi, peut-être que des juges ne connaissent pas toutes les alternatives », tente de nous expliquer Amina L’malih, directrice de l’association Bayti. Il y a quelques jours, elle a dû intervenir pour faire sortir d’un centre de sauvegarde une fillette placée par le tribunal de Beni Mellal parce qu’elle venait de perdre ses parents. Pourtant, le Conseil national des droits de l’Homme avait déjà tiré la sonnette d’alarme en 2013 en démontrant que beaucoup de ces placements étaient injustifiés.
Intérêt supérieur de l’enfant ?
Autre problème : la difficulté des juges (et même des experts internationaux) à s’accorder sur une définition du concept d’ « intérêt supérieur de l’enfant » inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant (dont le Maroc est signataire), sans être accompagné de précision. « C’est à la fois la force et la faiblesse de l’article 3 de la Convention d’être aussi vague », explique Guillaume Landry, du bureau international des droits de l’enfant basé au Canada. La définition peut donc être interprétée de différentes manières, Guillaume Landry donne l’exemple de la République démocratique du Congo qui considère que lors d’une séparation des parents, l’intérêt supérieur de l’enfant est financier et que la garde de celui-ci est donc confiée au parent le plus riche. Le concept est si difficile à définir que le guide du Haut Commissariat aux réfugiés pour le déterminer, fait près de 100 pages.
Et au Maroc, cette notion semble étrangère à certains juges, d’après ce que raconte Ana Habiba Dahbi, de l’association espagnole au Maroc Aida : « le corps judiciaire est très réticent, quand j’ai rencontré des juges et que je leur ai parlé de l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant, ils me disent ‘ c’est votre association qui l’a créé, cela n’existe pas ‘ ». Depuis la mise en place de la nouvelle constitution qui place la primauté des conventions internationales sur le droit interne, les juges des mineurs accordent peut-être plus d’importance à ce principe.
Des nomades culpabilisés et baladés de centre en centre
Quand les mineurs sont placés dans ces centres de sauvegarde en attente d’une décision judiciaire, ils comprennent encore moins pourquoi ils se retrouvent enfermés, « l’enfant culpabilise, croit qu’il est puni alors qu’il est victime, d’un viol par exemple », s’attriste Ana Habiba Dahbi.
« Les juges des mineurs pensent d’abord au dépôt dans un centre en dépit des effets négatifs », explique Fatima Ougadoum. Quand ils sont placés dans ces centres, les enfants victimes (qui ont parfois 7, 8 ou 9 ans) se retrouvent avec des délinquants voire des criminels. Et Fatima El Ouafi en est sûre : « à force de côtoyer ceux qui sont en conflit, ils finissent par prendre la même voie ». Et le rapport de la Fondation Mohamed VI en témoigne, une grande partie des détenus actuels sont passés par ces centres.
En plus, ils y restent parfois pendant des années, jusqu’à leurs 18 ans. Pourtant, l’article 37 de la Convention des droits de l’enfant dispose que la détention doit être « aussi brève que possible ». « Parfois, j’ai rencontré des enfants qui ont vadrouillé entre quatre et cinq centres, ils passent comme des nomades d’un centre à l’autre, je condamne vraiment cette pratique de certains juges », raconte Fatima Ougadoum.
Un manque de personnel
Et même pour les jeunes qui ont commis des délits ( pour la plupart des délits mineurs ), ils sont souvent eux-mêmes victimes (de violence, de leur environnement…) et les centres manquent tellement de moyens qu’ils ne sont pas non plus adaptés pour eux. « Il y a un manque flagrant de personnel », nous explique Amina L’malih qui demande d’« agir en urgence ». Le rapport du CNDH dénonçait déjà la qualité des conditions d’hébergement (hygiène qui laisse à désirer, violence, toxicomanie, manque de relations avec la famille quand elle est existante…).
Certains centres ont un établissement scolaire intégré, ce qu’Amina L’malih dénonce parce que cela participe à la désocialisation de l’enfant. Et tous ne vont pas à l’école, soit parce que les centres sont très loin des centres villes, soit parce que les enfants restent trop peu de temps pour établir un plan d’accompagnement. Miloud Sefnaj tente de relativiser : « la majorité n’auraient jamais été scolarisés », mais avoue qu’il y a de grandes différences de qualité d’un centre à l’autre :« il y a des centres qui honorent et d’autres qui sont bien en deçà du niveau requis ». Le représentant du ministère explique qu’un comité de suivi a déjà visité tous les centres et qu’une procédure de recours par les enfants est en train d’être mise en place en collaboration avec l’Unicef.
Les juges qui les ont placés dans ces centres ont ils pensé que cela pourrait arriver à leurs propres enfants? Quels est le crime de ces malheureux? Si on a pu construire des prisons pour les délinquants, on peut tout aussi bien construire des centres pour ces enfants. Où est l’humanisme des hommes au pouvoir? Sommes nous vraiment musulmans?