Camp de Choucha: les damnés de la crise libyenne

Dans le désert, à quelques centaines de mètres du poste-frontière de Ras Jedir entre la Libye et la Tunisie, près de 90 réfugiés survivent dans l'attente depuis quatre ans. Ce sont les derniers habitants du Camp de Choucha, aujourd’hui menacés d’évacuation. Reportage.

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Les dernières tentes du Camp de Choucha - © Adeline Bailleul

Sous des restes de tentes et de couvertures, derniers vestiges du camp de transit de Choucha officiellement fermé en juin 2013, ceux que l’on surnomme désormais « les oubliés de Choucha » attendent dans l’angoisse l’évacuation du camp. Officiellement annoncée pour le 15 octobre dernier par le Croissant-Rouge tunisien et l’Organisation internationale des migrations (OIM), l’opération a finalement été repoussée sans plus de précision. Du côté du Ministère de la Défense tunisien, on évoque une « procédure en cours ».

Avec l’arrivée de l’hiver,  l’espoir s’amenuise de jour en jour pour les 80 à 90 réfugiés qui vivent toujours dans le camp. La déception et la colère se résument en une phrase : « Nous voulons une réinstallation ». La réinstallation, un mot que les derniers survivants de Choucha martèlent inlassablement et qui cristallise toutes les tensions dans le camp.

« Pour nous cela ressemble à une trahison. Nous vivons dans cet enfer ici depuis quatre ans maintenant. Je pense que notre patience devrait au moins être gratifiée par la paix », confie Kadri Salefu, refugié du Ghana.

Camp de Choucha
Camp de Choucha

Retour en arrière. Suite à la crise libyenne de 2011, ce sont des centaines de milliers de personnes, Tunisiens, Libyens mais aussi un grande nombre de ressortissants d’Afrique subsaharienne qui fuient le pays et transitent notamment par le camp de Choucha, ouvert en urgence en février 2011 par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) pour faire face à l’afflux de réfugiés de 22 nationalités différentes dans cette région du Sud tunisien.

La plupart des réfugiés sont rapatriés chez eux, tandis que les quelques milliers qui ne peuvent le faire (en raison de conflits armés, de leur appartenance à un groupe discriminé, etc.) et qui sont arrivés dans le camp cette année-là ont alors la possibilité de déposer une demande d’asile auprès des Nations Unies. Une majorité d’entre eux se sont vus octroyer le statut de réfugié et l’UNHCR s’est occupé de la réinstallation d’une -petite- partie de réfugiés dans des pays tiers, dont la Suède, l’Allemagne, les Etats-Unis ou encore le Canada.

Un calvaire sans fin

Estimant sa mission terminée, l’organisation décide en juin 2013 de fermer définitivement le camp de Choucha, abandonnant derrière elle près de 300 personnes. Parmi eux, des réfugiés reconnus comme tels par l’UNHCR -mais qui n’ont pas obtenu d’être réinstallés dans un pays tiers- et les demandeurs d’asile dont le dossier a été refusé par l’agence onusienne (222 personnes selon le Haut commissariat).

« Ils disent que ce camp a été fermé il y a un an, en juin dernier, mais la vérité c’est que nous sommes toujours là, si des personnes sont toujours sur place comment peut-on dire que le camp est officiellement fermé ? », souligne Ibrahim Isaac Berima, soudanais du Darfour qui a fuit le conflit libyen en 2011.

Près de 90 réfugiés sont privés de ressources à Choucha © Adeline Bailleul
Près de 90 réfugiés sont privés de ressources à Choucha © Adeline Bailleul

Sur place, les conditions de vie sont extrêmes. L’eau et l’électricité sont coupées. Toilettes et douches furent détruites au moment du démantèlement du camp. Seuls restent des militaires de l’armée tunisienne chargés de sécuriser le camp. L’armée surveille les tentes et se charge d’interdire aux journalistes et aux curieux de percer le mur de silence qui entoure les réfugiés.

« Voici la situation dans laquelle nous vivons, dans des conditions très difficiles, nous n’avons même pas d’eau potable, il n’y a aucun responsable qui visite le camp et qui demande comment nous allons », s’indigne Ibrahim. Privés de toutes ressources, en l’absence de nourriture et de soins, les « oubliés de Choucha » sont soumis à des températures extrêmes et des tempêtes de sable fréquentes. A Choucha, les gens meurent de faim et de soif tous les jours, nous confie-t-on.

« UNHCR finit ton travail ! »

« Nous n’avons nul part où aller et nous voulons que l’UNHCR finisse son travail », explique Ibrahim Abblah, réfugié soudanais souffrant de paralysie et condamné à rester allongé, relié à une poche urinaire. Il y a deux ans, une méningite lui a été diagnostiquée. Après avoir subi deux opérations majeures, il reçoit en avril 2012 sa lettre de notification de rejet de demande de statut de réfugié.  Pour seule explication, Ibrahim apprend qu’il ne remplit pas les critères d’attribution du statut.

Ibrahim et bien d’autres ont fait état d’importantes défaillances lors des procédures de détermination du statut de réfugié et des demandes d’asile, sans pour autant bénéficier du réexamen de leurs dossiers. Et dans un rapport publié en 2013, le Centre de Tunis pour la Migration et l’Asile (CETUMA) s’est également fait écho de ces anomalies.

« Nous citons, à titre d’exemple, les fautes dans la transcription des noms et la désignation des nationalités d’une pièce à une autre des dossiers. D’un autre coté, plusieurs témoignages font état de la présence d’interprètes qui appartiennent à des clans ou à des groupes ethniques ennemis de ceux auxquels appartiennent les demandeurs d’asile (comme c’est le cas des Soudanais du sud ou du Darfour) », souligne notamment le rapport.

Un choix impossible?

A Choucha, le choix reste limité. Les réfugiés comme les demandeurs d’asile déboutés ont certes la possibilité de choisir un programme d’insertion dans des villes tunisiennes. Julia Gouyou Beauchamps, chargée des relations extérieures au HCR Tunisie expliquait ainsi au Huffington Post Maghreb  au moment du démantèlement du camp, en juin 2013 que le HCR propose « tout un programme d’aide à l’insertion, notamment un accès gratuit aux hôpitaux, et l’inscription des enfants dans les écoles » .

Mais tous craignent le racisme ou d’être livrés à leur sort dans un pays en proie à une grave crise économique. La Tunisie ne disposant pas de loi en matière d’asile et d’accueil des réfugiés, ceux qui disposent d’une carte de réfugié attribuée par le UNHCR sont seulement protégés contre l’expulsion.

Un réfugié du camp de Choucha dans l'attente © Adeline Bailleul
Un réfugié du camp de Choucha dans l’attente © Adeline Bailleul

Enfin, les réfugiés se voient offrir la possibilité de retourner volontairement dans leurs pays d’origine ou encore vers la Libye. Cependant,  outre la situation instable du pays, les étrangers y sont la cibles d’exactions de plus en plus graves depuis le début de la guerre civile. Un rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme fait ainsi état des « violations flagrantes et généralisées des droits humains fondamentaux dont sont victimes les immigrés, pris au piège de milices incontrôlées  » en Libye.

« On nous a même discrètement demandé si nous voulions entreprendre la traversée de la Méditerranée, nous avons répondu que nous sommes dans un programme, nous ne voulons pas traverser la mer, vous comprenez, parce que nous sommes en cours de procédure en ce moment même », indique Oussman Bangura.

La réinstallation ou rien

Après plusieurs tentatives pour convaincre l’UNCRH de rouvrir leurs dossiers, les oubliés de Choucha ont décidé de s’enfermer dans le camp et luttent quotidiennement pour faire entendre leur voix.

« Si je ne peux pas retourner dans mon pays, que je ne peux pas aller en Libye, que je ne veux pas traverser la Méditerranée et que je ne souhaite pas vivre en Tunisie après tout ce que nous avons vécu en quatre ans sur ce territoire, ces seules options sont impossibles pour moi, ce qui signifie qu’en réalité il n’y pas d’option », explique Bright, réfugié du Nigéria.

Les dernières tentes du Camp de Choucha © Adeline Bailleul
Les dernières tentes du Camp de Choucha © Adeline Bailleul

Si leurs actions et sit-in se sont souvent soldés par de nombreuses arrestations, après quatre ans passés « en enfer »,  la détermination des réfugiés de Choucha ne faiblit pas. Malgré le mutisme de l’UNHCR, tous continuent de réclamer inlassablement leur réinstallation dans des pays dotés de systèmes d’asile effectif.

Au fil du temps, Choucha s’est imposé comme le symbole d’une politique de dissuasion et d’exclusion  qui condamne à l’invisibilité les oubliés d’une vague migratoire dans laquelle l’Europe a joué sa part. Ce symbole est désormais sous la menace imminente d’une évacuation.

« Pour eux le plus important aujourd’hui c’est de détruire les tentes pour effacer la mémoire et ainsi faire taire les voix de Choucha », conclut le nigérian Bright.

Un reportage réalisé avec la contribution d’Adeline Bailleul

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