Architecte et designer, Mohamed Lahlou Kitane fait partie de la jeune génération qui assure la relève des pionniers du centre-ville de Casablanca. Ce trentenaire féru de création et passionné d’Art déco nous ouvre les portes de son appartement pour nous livrer ses inspirations, ses projets, ses désirs secrets…
Installé à la table du petit déjeuner, dans son appartement niché dans un bel immeuble Art déco du Prince Moulay Abdellah, notre hôte se raconte avec enthousiasme. Issu de la prestigieuse école d’architecture du quai Malaquais, sise au sein même des Beaux-Arts de Paris, Mohamed Lahlou est aujourd’hui architecte, architecte d’intérieur et designer. Après l’obtention de son diplôme, il intègre l’agence Christophe Pillet à Paris, et se consacre pendant plus de cinq ans à des projets qui portent la marque d’un Maroc élégant et contemporain : le 25 à Casablanca, La Maison Blanche à Fès, et plus récemment l’hôtel Sahrai, bijou d’architecture néo-mauresque.
Un architecte éclectique
Désormais installé à son compte, il travaille sur des projets de villas, d’un hôtel et d’une brasserie Art déco, dont il nous a dévoilé les premières maquettes (voir p. 18). Designer, Mohamed Lahlou travaille également sur une collection de mobilier. Il puise son inspiration dans différents courants : Art déco, moderne ou traditionnel marocain. Ses matériaux de prédilection sont le marbre, l’acier, le laiton, le bois brut, des matériaux naturels que les artisans marocains peuvent façonner. Bricoleur à la sensibilité éclectique, Mohamed Lahlou évoque sa passion pour le mobilier chiné, qu’il aime restaurer et réinventer. Ce visiteur assidu des marchés aux puces parisiens comme des marchés de Hay Hassani ou Derb Ghalef à Casablanca nous explique sa philosophie : « Pour redonner vie à l’ancien, il faut connaître les bons artisans, ce sont eux qui m’aideront à poncer, recouvrir, enduire ou vernir la pièce. » Cadre en laiton d’un miroir, guidon de vélo, lustre… Mohamed Lahlou a un flair infaillible pour dénicher des trésors oubliés. Il n’hésite pas à passer au peigne fin le grenier familial, les arrière-boutiques des bazars et les charrettes des vendeurs itinérants. Dans son appartement, une pièce entière est consacrée à ce travail d’orfèvre. Entre les vieux lampadaires et les abat-jours, d’anciens deux-roues récupérés et des pièces détachées serviront à fabriquer des vélos à pignon fixe, une autre passion que cultive le jeune architecte.
La fibre Art déco
Passionné par la période Art déco et son impact sur le paysage urbain casablancais, Mohamed Lahlou opte, dès son retour de Paris, pour le centre-ville, un quartier auquel il doit sa carrière d’architecte et de nombreux souvenirs d’enfance. Il élit domicile dans un édifice Art déco et ouvre son agence quelques rues plus loin.
Fasciné par les volumes des appartements, les hauteurs sous plafond, les moulures, les sols d’origine, introuvables en dehors du centre-ville, Mohamed fait abstraction de la mauvaise réputation du quartier. Au contraire, il s’inspire de cette forte identité qui ne cesse de l’émerveiller. Il évoque avec respect les architectes de l’époque qui abordaient chaque projet dans son intégralité. Louant leur sens du détail, il nous indique par la fenêtre les plats pliés, les portes en fer forgé, la symétrie et les exercices de géométrie qui s’offrent à notre vue. Il ne se lasse pas de contempler le zellige qui pare les façades Art déco. Loin des arabesques et des motifs orientalistes, c’est aussi ce côté contemporain du zellige, visionnaire pour l’époque, qu’il admire et regrette. Il précise qu’il a choisi de s’installer dans ce quartier pour son harmonie qu’il estime miraculeuse si l’on s’attarde sur la diversité des bâtiments, la différence entre les façades, parfois même entre les étages d’un immeuble. C’est d’ailleurs l’aura de cette constante recherche de nouveauté et de dépassement, propre au quartier, qui anime Mohamed Lahlou.
La vie au centre
D’après le jeune architecte, la vie dans le centre-ville de Casablanca illustre fidèlement les récits nostalgiques de nos aïeuls. Dans le passage où il habite, sorte de galerie commerçante à la parisienne où se côtoient épicerie, salon de coiffure, cordonnerie, café, parfumerie et autres commerces de proximité, tout le monde se connaît. « Pour un ancien Parisien, retrouver le plaisir de marcher dans son quartier est un réel privilège », nous confie Mohamed Lahlou. Arpenter l’unique boulevard piéton de Casablanca (Mohammed V), aller au bureau à pied, s’arrêter chez le boucher, le fromager, choisir ses fruits et légumes, et surtout pouvoir se passer de la voiture. Pour ses déplacements, il utilise aussi un vélo fabriqué par ses soins à partir d’anciens cadres.
L’animation du quartier rappelle la rue du Faubourg-Saint-Denis dans le 10e arrondissement de Paris. Un melting-pot ethnique composé d’anciennes familles du quartier, de commerçants juifs ou indiens, de quelques expatriés européens et américains, et de différentes tribus de bobos : les runners, les health-freaks soucieux de l’origine de leurs aliments, les fanatiques des déjeuners au Marché Central, les photographes à la recherche de matériel ancien ou les amoureux du vintage sous toutes ses formes.
Mohamed Lahlou fait partie d’une nouvelle génération responsable, attachée à son identité et son histoire. Désireuse d’être le chaînon manquant entre le passé d’une ville et l’espace vital contemporain, celle-ci ne voit pas d’incohérence entre la nécessité de conservation et l’ambition du dépassement. Cette dualité est en train de donner naissance à un phénomène de gentrification à Casablanca. Loin d’être un prétexte à l’inflation, elle est au contraire synonyme de restauration, de réhabilitation et de revalorisation du centre-ville.
Houssine Benboubker
Félicitations et très bonne continuation, jeune cadre de la nouvelle génération qui tient à rehausser la beauté de ce que nous avons, bon courage !