En marge de l’exposition inaugurale du musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat (MMVI), nous avons pu interroger l’artiste franco-marocain Mehdi-Georges Lahlou. Issu d’une mère espagnole chrétienne et d’un père marocain musulman, le jeune artiste plasticien se lance, sans tabou, dans des expériences artistiques questionnant l’identité sous toutes ses formes. De l’installation à la sculpture en passant par la photographie, l’artiste explore des terrains risqués en abordant des thématiques liées à la sexualité, la religion, la tradition ou la relation avec le corps.
Telquel.ma : Qu’est ce que ça représente pour vous d’être exposé au premier musée d’art moderne et contemporain du Maroc ?
Mehdi-Georges Lahlou : Je suis très fier d’être exposé, c’est une reconnaissance pour moi et pour le travail que je fais. C’est aussi fondamental et très important d’avoir un musée d’art moderne et contemporain au Maroc. Je pense que cette institution permettra de démocratiser la scène artistique et l’art contemporain et de créer une ouverture. Il est dommage de voir que la plupart des artistes marocains exposent leurs travaux à l’étranger et n’ont pas l’occasion de le faire dans leur propre pays. Le musée permettra de montrer ici la création qui a tendance à s’échapper.
Vous êtes un artiste qui choque par ses œuvres et bouleverse les croyances et les idées reçues, est-ce que vous pensez que l’artiste a cette mission de faire évoluer la société et les mœurs ?
Oui, en quelque sorte. Mon objectif n’est pas de choquer le public. Bouleverser les mœurs et pousser à la réflexion, ça ne fait pas de mal. Je pense que la mise en danger, en critique de quelque chose, fera que l’on va y repenser, l’analyser ce qui fera peut-être évoluer les choses. Si l’on propose des œuvres d’art qui vont caresser le public dans le sens du poil, on ne risque pas d’accomplir grand chose. Il faut que l’on pousse les gens à se questionner, à avoir un esprit critique. L’art vient au Maroc parce que les mœurs changent.
Pour cette exposition inaugurale du MMVI, vous nous proposez trois sculptures vous représentant avec des objets de l’artisanat marocain posés en équilibre sur votre tête, qu’est ce que vous cherchez à exprimer à travers ces trois œuvres ?
J’ai commencé la série des équilibres, il y a environ deux ans. L’idée était de mettre en balance un objet sur un buste en plâtre. L’intérêt est de traiter la question de l’équilibre et du déséquilibre. Parce qu’il y a toujours cette possibilité de chute qui se présente à cause du poids de la société, des traditions, de la religion, de la sexualité. Quand tu essaies de mettre quelque chose en équilibre, tu le mets également en danger. C’est ce que j’essaie de mettre en évidence dans cette exposition.
Vous abordez souvent dans vos travaux des thèmes sensibles comme la religion, la relation au corps, la nudité, l’ambiguïté sexuelle. Est-ce que vous pensez que le public marocain est prêt à comprendre et à accepter vos œuvres ?
Je pense que le public marocain a suffisamment mûri et qu’il peut assimiler ces sujets et les idées qu’il y a derrière. Bien évidemment, quand on parle de religion, de sexualité, de nudité, ça devient un petit peu plus compliqué. Quand j’ai fait ma marche en talons aiguille, je traitais plus de l’endurance que d’autre chose. Après chacun sa perception de l’œuvre. L’ambiguïté, pour moi, est très importante dans l’art. Choquer pour choquer, ce n’est pas finalement ce qui fera évoluer la société. Pour faire évoluer les mœurs, il faut une certaine pédagogie. Il faut y aller doucement, étape par étape.
Vous êtes très présent dans vos travaux artistiques. On retrouve souvent votre image. Quelle est l’idée derrière cette exposition de vous même au regard du public ?
Oui, effectivement, je suis toujours présent dans mes travaux. La mise en confrontation du public avec l’artiste est très intéressante à appréhender. Il est encore une fois question d’ambiguïté. Le public regarde mes œuvres, ne sait pas si les œuvres qu’il a devant lui font partie de ma vie réelle ou sont des situations complètement fictives que j’ai inventées. C’est cette frontière entre le vrai et le faux que j’essaie d’explorer. Les différentes perceptions de la réalité, se font selon les points de vue de chacun. Si je prends par exemple un cube noir et que je le pose sur la tête d’une sculpture me représentant, pour beaucoup de Marocains, ce cube noir sera perçu comme une représentation de la Kaaba, pour des Français ou des Néerlandais, ce sera une réinterprétation d’une œuvre de Kazimir Malevitch. Car ce n’est pas une question de territoire, mais bien de culture, d’Histoire et de perception.
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