Ghaleb Bencheikh: «Donner une valeur atemporelle et universelle au Coran n’a pas de sens»

Le philosophe franco-algérien Ghaleb Bencheikh, adepte de la laïcité, prône un Islam tolérant et ouvert. Telquel.ma est allé à sa rencontre.

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Ghaleb Bencheikh, présentateur de l’émission "Islam" sur France 2. Crédit: DR
Ghaleb Bencheikh, présentateur de l’émission "Islam" sur France 2. Crédit: DR

Ghaleb Bencheikh est un homme de télévision. L’animateur de l’émission Islam sur la chaîne de télévision France 2 a le parler  simple et des gestes d’orateurs. Fils d’un ancien recteur de la grande mosquée de Paris, le Cheikh Abbas, et frère de l’ancien grand mufti de Marseille, Soheib Bencheikh, il  utilise ses talents pour exposer sa vision de l’islam comme ce vendredi 24 octobre, où le spécialiste de l’islam menait un débat sur l’islam et la liberté de conscience à la Bourse de Casablanca organisé par l’association marocaine des diplômés de Sciences Po. Telquel.ma est parti à sa rencontre.

Telquel.ma : Islam et liberté de conscience sont-ils compatibles?

Ghaleb Bencheikh : A première vue on pourrait dire que non. Il y a autant de conception de l’islam que de musulmans dans le monde car il n’y a pas de souverain pontife ou de structure cléricale. Mais, je crois que la liberté de conscience et l’islam sont compatibles. Les références scripturales sont pléthoriques  et je peux citer à titre d’exemple, le 29e verset de la sourate 18 : « La vérité émane de votre Seigneur. Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroie ».

Mais une question se pose d’un point de vue philosophique, humain, moral et spirituel : Quelle est cette idée de vouloir convaincre autrui d’adhérer à une religion ? C’est un non-sens de clamer qu’on est défenseur de l’islam en l’imposant. Autre point, criminaliser l’apostasie n’a pas de sens. C’est une atteinte aux droits fondamentaux et ce n’est pas à l’État d’être garant de la conscience de ses citoyens.

Justement, pensez-vous que la laïcité est quelque chose de réalisable dans un pays comme le Maroc ?

Ma croyance fondamentale est que le salut des peuples passe par la désintrication de la politique et de la religion. On ne peut pas manipuler la tradition religieuse pour d’autres fins qu’une fin spirituelle. Dans le cadre d’une monarchie je comprends qu’un roi puisse être symboliquement nommé chef de la majorité des citoyens mais cela doit se faire dans le cadre du libre exercice du culte. Je suis convaincu que la laïcité peut être établie comme horizon de la vie des sociétés arabo-musulmanes et cela pourra nous aider à sortir du marasme dans lequel on se trouve actuellement.

Le fait que le roi soit le commandeur des croyants n’est-il pas un obstacle à cet objectif ?

Je suis respectueux du peuple marocain, mais je ne suis pas convaincu par la commanderie des croyants. Si la commanderie des croyants ne s’applique qu’aux sujets musulmans pourquoi pas ? Mais il faut qu’il n’y ait pas d’immixtion pour mettre sous tutelle la religion des croyants.  Il faut que la commanderie des croyants ne s’applique pas aux adeptes des autres traditions religieuses et que ceux-là jouissent de la liberté de croyance et de culte. A fortiori ceux qui ne se reconnaissent pas comme adeptes doivent avoir la garantie absolue de changer de religion s’ils le veulent.

Comment devrait être gérée la chose religieuse dans les pays musulmans ?

Il y a deux aspects à prendre en compte. Premièrement, il faut renouer avec l’humanisme d’expression arabe qui a prévalu à un certain moment mais qu’on a effacé de nos mémoires. C’est un énorme travail, mais qui dit humanisme dit liberté de conscience. Il faut prendre l’Homme comme la mesure de toute chose.

Deuxièmement, il faut en finir avec certaines autorités comme les ministères des Affaires religieuses. Ce n’est pas une affaire gouvernementale. Il faut mettre en place des institutions indépendantes comme des conseils supérieurs, des académies qui n’obéissent pas aux injonctions démocratiques ou étatiques. Ça serait une marque de progrès. Il faut faire (des affaires religieuses, ndlr) une affaire de clercs, d’imams, de muftis qui s’organiseraient entre eux pour le libre exercice du culte.

Vous dites qu’il faut refonder la pensée islamique, en quoi consiste cette refonte ? Pourquoi est-ce une nécessité selon vous ? 

La refonte de la pensée islamique est absolument nécessaire. Il n’y a qu’à voir la sclérose dans laquelle on se débat et qui nous a menés à Daech. La différence entre l’État islamique, et ses exactions, et l’enseignement archaïque des wahhabites n’est pas une différence de nature mais de degrés.  Au 21e siècle on ne peut pas raisonner de cette façon-là. Il faut déconstruire une œuvre humaine qui consiste à l’amoncellement du commentaire sur une production humaine. Il faut passer de la problématique de la croyance à la problématique de la connaissance et se diriger vers d’autres horizons cognitifs. Il faut l’émergence d’une nouvelle rationalité qui tient compte des exigences et des ressources de la technoscience et l’invariable besoin de la transcendance.

Il faut en finir avec la production du droit arrimé à un patrimoine religieux éculé. La norme juridique doit être une émanation rationnelle des hommes qui s’applique aux hommes. Tel ou tel passage prescriptif du Coran peut être perçu comme jurisprudence pour une communauté d’hommes qui étaient des hommes tribaux et qui sont devenus une communauté fédérée.  Mais leur donner une valeur atemporelle et universelle n’a pas de sens. On ne coupe plus la main du voleur et si on devait le faire nous serions des barbares. Aucun ijtihad ne prémunit de cette barbarie.  Dans quel but pratique-t-on l’ijtihad ? Pour quel projet social ? Quel horizon pour la société et l’Homme ?

Pensez-vous que l’islam soit malmené dans le monde et si oui par qui ? 

L’islam est malmené par le monde. D’abord par ses propres adeptes et par les misislamiques. Ce mot est mieux adapté qu’islamophobe car la phobie est une maladie. Le misislamique se rapproche du misanthrope du misogyne qui assume sa haine viscérale. Les misislamiques sont alimentés dans leur haine par le comportement des adeptes de l’islam qui agissent d’une manière inacceptable. Il faut également dénoncer la lâcheté des hiérarques musulmans qui n’ont pas su condamner avec force ces dérives meurtrières qui sont en grande partie responsables de la haine des autres.

L’islam est malmené par ses adeptes qui agissent en criminels fanatiques barbares depuis des années et les exemples sont nombreux, comme Al Qaïda ou Boko Haram. Chaque jour que Dieu fait il y a des attentats au nom de cette croyance. L’islam est malmené par des individus qui vouent une haine viscérale à cette religion et qui oublient la contribution des arabo-musulmans au corpus universel. Mais il ne faut oublier que ce qui a été possible à un moment de l’histoire peut l’être encore dans le futur.

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