On a tous rêvé d’avoir une résidence avec vue sur l’océan, sauf que certains y sont parvenu, parfois au mépris de la loi. La ruée vers le sable fin a abouti à une occupation du Domaine maritime public (DPM) dans des conditions contestables. Depuis l’arrivée du PJD au gouvernement, ce dossier a été déterré par le ministre de l’Équipement, du Transport et de la Logistique, Aziz Rabbah, qui n’a cessé de menacer de publier la liste des personnes occupant le Domaine maritime public. Son argument : cette occupation est illégale et les bénéficiaires des autorisations d’occupation temporaire se sont lancés dans la promotion immobilière sur ces parcelles du littoral. Non seulement Aziz Rabbah n’est pas allé jusqu’au bout de sa démarche, mais il a essuyé un revers puisque les noms de supposés bénéficiaires de ces occupations illégales ont récemment circulé dans les médias et que plusieurs d’entre eux sont d’actuels ou d’anciens fonctionnaires de son propre département. Par ailleurs, le projet de la nouvelle ville de Zenata (région du Grand Casablanca) a remis ce dossier à l’ordre du jour, puisque des dizaines de cabanons seront expropriés, alors que sur d’autres zones côtières, comme Bouznika, ils sont pour le moment épargnés.
Sea, law and sun
Le Domaine maritime public (DPM) est encore régi par l’un des plus anciens textes du droit marocain. Il s’agit du dahir du 1er juillet 1914, qui le définit comme s’étendant du « rivage de la mer jusqu’à la limite des plus hautes marées, ainsi qu’une zone de 6 mètres mesurée à partir de cette limite ». Malgré son caractère public, il peut être occupé provisoirement pour une durée de 10 à 20 ans, à condition d’en laisser le libre accès au public. Les autorisations relèvent de la direction des ports et du domaine maritime et sont renouvelables sur demande du bénéficiaire avec le consentement de l’administration. Le DPM relève de la compétence de la Direction des ports et du domaine maritime, mais pas uniquement. Ainsi, les communes peuvent autoriser l’occupation temporaire des plages relevant de leur territoire, à condition de ne consacrer que 30% de la superficie totale à des activités commerciales et de réserver 70% de la plage à un usage public gratuit. Mais cette situation a donné lieu à plusieurs aberrations juridiques, notamment au niveau de la durée d’occupation. « Depuis les années 1980, la commune nous loue le terrain de notre cabanon avec un bail emphytéotique de 99 ans ! », nous explique Salma, propriétaire d’un cabanon sur la plage de Paloma, qui sera expropriée dans le cadre du projet de la nouvelle ville de Zenata. Cette mesure d’expropriation concerne 650 cabanons éparpillés entre les plages de Zenata, Paloma et Ouled Hmimoun, soit 5 kilomètres de côte.
Touche pas à mon cabanon
Prévu initialement pour exercer différentes activités, l’usage du DPM est principalement réservé à l’habitation. En 2011, sur les 887 autorisations d’occupation temporaire, 441 ont été octroyées à des cabanons. En l’absence de contrôle rigoureux de la Direction des ports et du domaine maritime, ces lieux de vacances se sont parfois transformés en villas. Le rapport de la Cour des comptes de 2011 cite les cas des plages de Guyville et Sable d’or à Rabat, celles de Bouznika, Dahomey et David à Benslimane, ainsi que les plages de Martil et Cabo Negro près de Tétouan. Le rapport pointe également le cas de communes qui ont autorisé la construction en dur sur le DPM, profitant de l’absence d’un plan d’aménagement. La Cour des comptes signale que la superficie occupée illégalement peut aller jusqu’à 128 fois celle autorisée. Par ailleurs, les communes perçoivent même des redevances de la part des occupants. « Je paye chaque année à la commune 50 dirhams le mètre carré, sans oublier la taxe d’édilité. La commune me délivre un certificat de résidence en cas de besoin », affirme Tawfik Mekki Berrada. Professeur universitaire, il a enseigné pendant 40 ans en Suède, avant de rentrer au pays. « J’ai placé toutes mes économies dans un cabanon d’une surface de 130 m2 pour en faire ma résidence principale », précise-t-il. A la tête de l’association des occupants de la plage de Paloma, il conteste la décision d’expropriation dont il fait l’objet. « J’ai acquis mon cabanon en 2006 à 600 000 dirhams. L’ acte juridique indique que je suis propriétaire des murs. En 2012, un huissier s’est présenté pour nous signifier que nous serions expropriés. On m’a proposé un dédommagement à hauteur de 70 000 dirhams. C’est aberrant pour une propriété qui en vaut 2,5 millions. Et puis, s’il s’agit d’un domaine maritime, il est inaliénable pourquoi donc me dédommagerait-on ? », s’interroge-t-il.
Dégâts écologiques
La délimitation du domaine maritime fait encore les frais de la lenteur administrative. Si le ministère de l’Équipement et du Transport a identifié techniquement 98 % des 3452,15 kilomètres de côtes marocaines, 42 % de ce domaine restent à délimiter définitivement. Par ailleurs, ces occupations abusives du littoral posent un problème d’ordre environnemental. Pour parer à cette situation, depuis 2003, l’autorisation de construction des projets touristiques sur le littoral est conditionnée par une étude d’impact sur l’environnement souvent coûteuse et rarement respectée. Le risque de catastrophe naturelle est également présent. Pour rappel, l’hiver 2014 est une date noire pour le littoral marocain : les vagues ont ravagé la côte entre Casablanca et Rabat, provoquant de nombreux dégâts. C’est le cas de l’emblématique plage de Dahomey où les vagues ont détruit plusieurs cabanons que les propriétaires sont aujourd’hui dans l’impossibilité de reconstruire suite à une décision de l’administration. Entre expropriations et régulations des occupations du domaine maritime, l’Etat s’est engagé dans une course contre la montre pour sauver ce qui peut encore l’être, mais il devra composer avec la résistance de plusieurs occupants.
Les cabanons construit en dur sous la demande de la commune protègent le littoral. Lors des grandes marées de 2014, les cabanons construit en dur ont protégé de l’inondation les bidonvilles, terrain et route côtière en aval. Sans les cabanons, les dégâts dans cette région auraient été inimaginable.