Le 2 juillet, la dépouille carbonisée de Mohamed Abou Khdeir, un adolescent palestinien de 16 ans, a été retrouvée dans la forêt proche de Jérusalem. La veille, Israël avait enterré, dans une atmosphère de profonde colère, les corps de trois adolescents israéliens, enlevés en Cisjordanie et tués : Naftali Frankel, Gilad Shaer (tous les deux 16 ans) et Eyal Yifrach (19 ans) étaient partis camper en Cisjordanie et avaient disparu depuis le 12 juin. Israël accuse le Hamas d’avoir commandité le kidnapping mais la direction du mouvement islamiste dément toute responsabilité. La vengeance aura été plus rapide que la justice. Six suspects, dont des mineurs, ont été arrêtés pour le meurtre d’Abou Khdeir. Trois d’entre eux ont avoué.
Le supplice du jeune Mohamed – brûlé vif d’après les résultats de l’autopsie, ses bourreaux lui ayant même fait boire du carburant – a provoqué des manifestations au sein même de la population arabe israélienne, et dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est, des milices d’autodéfense se sont constituées pour faire face à d’éventuelles attaques. Nourrie par les courants les plus extrémistes de la droite religieuse et nationaliste, la haine s’est invitée jusque dans la rue de Jaffa, où des slogans « Mort aux Arabes » ont retenti à quelques centaines de mètres de la vieille ville, juste après les funérailles des trois adolescents tués en Cisjordanie, le 1er juillet. Sur Facebook, les messages vindicatifs et racistes se sont aussi multipliés.
Banalisation du racisme
Il est impossible de réduire la diversité et la vigueur de la société civile israélienne à ces voix radicales, mais ces dernières années ont vu la banalisation d’un racisme anti-Arabes : tags, atteintes aux biens et aux édifices religieux, agressions physiques… A l’avant-garde, le groupuscule « Tag Mehir » (ndlr : le prix à payer) représente cette résurgence de la Loi du Talion. Mouvement apparu à la fin des années 2000, « Tag Mehir » s’est distingué notamment par des destructions de voitures, des inscriptions racistes sur des mosquées et des églises, jusque dans le village d’Abou Gosh, l’une des rares localités arabes à avoir choisi en 1948 de ne pas résister à l’occupation juive.
Récemment, les autorités chrétiennes s’étaient inquiétées de la hausse de dégradations d’églises et de cimetières. Dénoncé publiquement en Israël, y compris par la ministre de la Justice Tzipi Livni, qui souhaite l’assimiler à du terrorisme, « Tag Mehir » est le symptôme d’une extrême-droite qui a toujours existé. Il y a dix-neuf ans, l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin avait plongé Israël dans un profond doute. Le meurtrier, Yigal Amir, était un étudiant de 25 ans, adhérant aux idées de la droite religieuse, qui voyait dans le processus d’Oslo une menace pour l’avenir d’Israël. Yigal Amir avait revendiqué le modèle de Baruch Goldstein, le docteur qui, en 1993, avait froidement exécuté à l’arme automatique 29 Palestiniens en prière à Hébron.
Les extrémistes d’aujourd’hui puisent leur doctrine à la même source, celle du sionisme religieux que décortique Charles Enderlin, journaliste à France 2, dans son livre Au nom du temple (Seuil, 2013), sous-titré Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif. L’auteur explique comment a triomphé au sein de la société israélienne « l’idée du droit absolu des Juifs à s’installer en Israël de la mer jusqu’au Jourdain, selon la volonté divine. » L’accomplissement de cette prophétie ne s’embarrasse pas, dans la pensée et l’action des nationalistes religieux, de la présence de quelques millions d’Arabes sur la même terre.
Supériorité morale
Parmi les plus radicaux se trouvent les étudiants et disciples de Yitzhak Ginzburg. Ce rabbin israélo-américain de 70 ans enseigne dans une école talmudique (yechiva) de la colonie de Yitzhar, dans le nord de la Cisjordanie. L’un de ses premiers disciples est Yitzhak Shapira, qui dirige d’ailleurs la yechiva Od Yosef Chai. Shapira a publié en 2009 un pamphlet, La Torah du Roi, où il justifie le meurtre de non-Juifs qui menaceraient des vies juives. Ainsi, des « bébés ennemis » peuvent être tués, puisqu’en grandissant ils seront aussi hostiles aux Juifs que leurs parents. Ces propos ont provoqué une large indignation car Shapira est un récidiviste. En 2006, il avait été brièvement détenu pour avoir défendu l’expulsion ou l’exécution de tous les Palestiniens de plus de treize ans vivant en Cisjordanie. Dans un contexte de recul de l’idée laïque en Israël, la popularité, même minoritaire, de ces thèses donne de l’élan à la droite religieuse, qui s’impose durablement comme l’épine de la société israélienne.
Ce nouveau cycle de violence et de vengeance interroge la société israélienne, son rapport à la religion et au droit. La poussée de violence se traduit aussi par une énième campagne punitive de l’armée israélienne. Depuis le 8 juillet, Tsahal bombarde la bande de Gaza, prétendument en réponse aux tirs de roquettes qui se sont récemment multipliés en provenance de ce territoire palestinien. Mais le fracas des armes, déjà tempéré par la réticence du Premier ministre Benyamin Netanyahu, n’épargnera pas aux Israéliens un exercice d’auto-analyse. Le patron du Likoud a paru dépassé par les évènements, tentant d’appeler au calme, retenant du bras ses partenaires gouvernementaux parfois plus enclins à la punition massive, comme son ministre des Affaires étrangères Avidgor Liberman.
Mais Netanyahou n’a pas encore tiré toutes les conséquences de la situation. S’exprimant après la mort du jeune Palestinien, il a déclaré : « Je m’engage à ce que les coupables de ce crime horrible reçoivent la lourde sévérité de la loi. Il n’y a pas de place pour de pareils meurtriers dans notre société. C’est ce qui fait la différence entre nos voisins et nous. Ils considèrent les meurtriers comme des héros et baptisent des places en leur nom. Nous ne faisons pas ça. Nous les condamnons, nous les jugeons et les mettons en prison. » L’idée d’un Israël en situation d’autodéfense et se prévalant d’une légitimité surplombante ne colle pourtant plus à la réalité du terrain. « Ce meurtre doit nous débarrasser, une fois pour toutes, de cette illusion complaisante selon laquelle nous serions moralement supérieurs à nos voisins », analyse pour sa part David Horovitz, rédacteur en chef de Times of Israel.
C’est super ! vous appelez l’armée israélienne par son petit nom : Tsahal. C’est propre, c’est chic. C’est comme cela aussi que la presse en France et dans le monde libre l’appellent/