Deux ans et demi après sa prise de fonction, Bassima Hakkaoui continue, à tort ou à raison, de faire couler beaucoup d’encre. Lors d’une visite à Guelmim, le 30 mai dernier, la ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et du Développement social aurait été la cible d’un lancer de chaussure raté. Quelques jours plus tôt, la presse évoque des démissions au sein de son ministère. Une rumeur démentie par son cabinet. Encore une occasion pour ses détracteurs de critiquer ouvertement son idéologie conservatrice, à défaut de pouvoir lui reprocher son appartenance au PJD. Le mouvement féministe, estampillé progressiste, se plaint de devoir jouer des coudes avec un parti au pouvoir « qui s’était opposé à la réforme de la Moudawana », lâche d’emblée Khadija Rougani, avocate et membre de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). D’autres, à l’instar de Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique des droits des femmes, déplore « la propension de la ministre à exclure la société civile lorsqu’il s’agit d’élaborer des programmes ou des projets de loi en faveur des femmes ». Une fâcheuse habitude dont Bassima Hakkaoui est parfois capable de se défaire, à en croire Fatim-Zahra Alami, porte-parole du collectif Kafala Maroc : « Si la ministre s’y prend assez mal lorsqu’il s’agit des femmes, elle a en revanche créé le consensus autour du Plan de politique intégrée pour la protection de l’enfance, adopté en avril 2014, et pour lequel elle a sollicité l’ensemble des acteurs travaillant sur cette thématique ».
Ikram, le plan de la discorde
C’est le Plan Ikram pour l’égalité homme-femme qui a définitivement déterré la hache de guerre entre Hakkaoui et la majorité des ONG féministes. Initié par Nouzha Skalli (PPS) en 2011, il est devenu, en 2012, l’un des plus grands chantiers lancés par l’actuelle ministre. Sauf qu’il aurait été « amputé et conformé à ses convictions islamistes plutôt qu’à l’article 19 de la Constitution», tonne Saïd Saâdi, ex-ministre des Affaires sociales et de la Famille. Parmi les mesures supprimées par Bassima Hakkaoui, le droit à l’avortement partiel et « tout un volet consacré à la diffusion de la culture de l’égalité », poursuit Saâdi. Quelques mois plus tard, Bassima Hakkaoui a aussi élaboré un projet de loi contre les violences faites aux femmes. « Un texte primordial », selon Fouzia Assouli, qui regrette cependant « une loi trop généraliste, aux airs de mesurette, où aucun mécanisme de protection des femmes n’est prévu et où le viol conjugal n’est toujours pas pénalisé ». Interrogée sur la non-pénalisation du viol conjugal, Bassima Hakkaoui nous explique que « ce projet de loi punit le harcèlement sexuel de deux ans de prison ferme. Une peine qui peut aller jusqu’à cinq ans lorsque l’auteur est un parent ou un tuteur de la victime ».
Parmi les autres réalisations concrètes du Plan Ikram, la création de l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discriminations (APLCD), un mécanisme prévu par la Constitution de 2011. « Là encore, Bassima Hakkaoui a constitué sa propre commission sans nous consulter. Ce travail a été rendu il y a un an, et nous n’en avons plus jamais entendu parler depuis », affirme Fouzia Assouli. Cette instance, « élaborée en étroite collaboration avec la délégation interministérielle aux Droits de l’homme, est en circuit de validation », rétorque pour sa part la ministre.
Vraiment libre, la ministre ?
Bassima Hakkaoui dispose-t-elle réellement de toute la liberté nécessaire pour mener une politique publique en faveur du droit des femmes ? Le projet de loi contre la violence faite aux femmes, par exemple, « erre toujours dans le cimetière des projets de loi », fait remarquer Ghizlane Benachir, parlementaire USFP. « Je l’ai présenté dans un Conseil de gouvernement le 7 novembre 2013. J’espère qu’il sera adopté très prochainement », se contente de répondre Bassima Hakkaoui. Depuis que le Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, s’est saisi du dossier, il est bloqué dans l’une des commissions du secrétariat général. « Il est certain que la ministre manque de flexibilité. Son propre camp n’hésite pas à la court-circuiter, comme Benkirane, qui a mis en doute les statistiques sur la violence envers les femmes », assure Fouzia Assouli. Et, surtout, « son ministère est transversal et partage toutes ses compétences avec d’autres ministères et institutions », poursuit-elle. En matière de femmes et de familles, Bassima Hakkaoui dépend fréquemment de Mustafa Ramid, ministre de la Justice et autre mastodonte de son parti. Un duo qui fait froid dans le dos des féministes caressant le rêve d’une réforme pénale. « Mais en dernier recours, il y a toujours le roi », déclare Fouzia Assouli. « Quant aux autres compétences de Bassima Hakkaoui, notamment le volet solidarité et développement social, elle doit partager le gâteau avec les ministres de la Santé, de l’Education ou encore des Finances. Et pour ne rien vous cacher, en matière de politiques sociales, c’est plutôt l’INDH qui tient le haut du pavé », détaille Saïd Saâdi. « Son ministère est un fourre-tout », résume-t-il. Au-delà des petites victoires de Hakkaoui, comme la mise à niveau de 1500 centres de protection sociale, ou encore l’élaboration d’un projet de politique publique en faveur des personnes handicapées, son ministère fait partie des parents pauvres de la Loi de Finances 2014, avec seulement un peu plus de 632 millions de dirhams de crédit ouvert au titre des dépenses. A défaut d’avoir une véritable marge de manœuvre, Bassima Hakkaoui ne peut que s’accrocher à ses espoirs.
Telquel, Il faudra être plus respectueux que ça envers le premier ministre! le choix des mots déplaît beaucoup …..