Sous-titré « Rêverie », Kan Ya Makan n’est pas un concert, ni même un récital où les morceaux s’enchaîneraient sans réel fil conducteur, mais plutôt un objet musical poétique et protéiforme sur la grande épopée d’Al-Andalus, de sa fondation à sa chute. Premier opus d’un spectacle plutôt ambitieux et baptisé Rallumer les étoiles, cette « métaphore musicale » résonne comme un écho au préambule de la Constitution marocaine, qui rappelle l’importance de «l’affluent andalou» dans la formation de l’identité marocaine. « Je trouve ce moment de l’histoire fascinant, explique la comédienne et metteure en scène, reconvertie pour l’occasion en chef de projet artistique. Dans l’inconscient collectif des peuples du pourtour méditerranéen, l’Andalousie constitue un véritable mythe. Il s’agit tout de même d’une des rares périodes de l’histoire où les trois religions du Livre ont non seulement cohabité mais surtout donné naissance à une créativité plurielle ». Une sorte d’âge d’or des civilisations – parfois fantasmé – que Fatym Layachi et son équipe ont voulu retranscrire dans un spectacle atypique.
Pour réanimer ce message, le choix de la musique est apparu comme une évidence, parce qu’il est « le seul médium à traduire la notion d’universel. » En ligne de mire, la volonté de faire cohabiter de nouveau des cultures qui ont ensemble posé les bases de la musique moderne arabe et espagnole. Pour donner naissance à cet omni (objet musical non identifié), la comédienne s’est donc entourée de six musiciens de talent aux origines multiples. L’Espagnol Nino Josele, l’un des guitaristes les plus talentueux de la nouvelle génération flamenco, le joueur franco-algérien de oud P’tit Moh, mais aussi les chanteurs Alberto Garcia et Jamal Nouman, le percussionniste Mohamed El Ouahabi et Rachid Zeroual au ney, une flûte arabe en roseau. Après une résidence d’une semaine orchestrée par le directeur artistique Mehdi El Kindi, un récit musical inédit voit le jour.
Une partition narrative
Sélectionnés à la manière d’un corpus littéraire, les morceaux ont des allures de fragments narratifs que les musiciens ont à charge de « tisser », comme on le ferait pour raconter une histoire. « Chacun d’eux illustre un moment clé de l’histoire, résume Mehdi, de la naissance de l’Andalousie à son déclin en passant par des périodes intermédiaires plus confuses mêlées de chocs identitaires, de joies puis de nostalgie. » Dans le jardin de la Villa des Arts à Casablanca, où a eu lieu la première représentation en avril dernier, la trame narrative est palpable pour peu que l’on reconnaisse les différents titres qui composent le répertoire. Sur la scène encadrée par un tapis de lumière, un Capricho arabe joué par Nino Josele fait office de préambule. La guitare nous indique le lieu, nous sommes en Espagne. En s’arabisant, elle indique la période. Puis, le luth entre en scène et lui répond. C’est la rencontre de deux mondes. Au fil des morceaux, les musiciens font leur entrée un à un jusqu’à célébrer à l’unisson la beauté et l’art de vivre avec le célèbre titre Ay de mi Al-Andalus. Un dialogue plein de mélodie où musiques médiévales, flamenco, chaâbi algérois et nouba s’entrechoquent et se répondent. Jusqu’au Paseabase El Rey Moro, dont le thème prédit la chute de Grenade. Conversion de certains chrétiens à l’islam, gloire du divin, scène de liesse… en 1h 20 de spectacle, sept siècles d’histoire sont balayés. Par moments, une voix vient suppléer la musique pour déclamer des bribes de poèmes d’Ibn Al Khatib ou d’Abu Al Baqa Al Rundi… Pour le chanteur Jamal Nouman, originaire de Larache, ce spectacle permet à la grande Histoire de rejoindre la petite, plus personnelle cette fois. « Mon père parlait espagnol, ma mère est d’origine andalouse et une partie de ma famille vient du Rif, c’est dire si je suis le fruit de cette mixité séculaire. » Pour lui, ce projet est avant tout l’occasion de « nourrir les esprits, fédérer les identités mais surtout de réactualiser le répertoire andalou et le faire sortir de l’ennui. » Pari réussi.
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