Les prisons du Maroc veulent changer leur image. Une métamorphose voulue à la tête de la Direction générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR) où un ancien militant pro-Polisario, Mohamed Salah Tamek , a remplacé un ex dirigeant de la sûreté nationale, Hafid Benhachem. D’ailleurs, dans le nouveau jargon de la maison, on ne doit plus dire « prison », mais « établissement pénitentiaire ». Les mots ont leur poids dans cette administration de 10 000 fonctionnaires, dirigée par un spécialiste de l’analyse du discours. Et puis le Maroc n’a pas d’autre choix que d’humaniser ses prisons, qui accueillent aujourd’hui 73 000 détenus. Ses engagements internationaux l’y obligent. Jusque-là hermétique aux médias et la presse, l’administration pénitentiaire a ouvert les portes de sept prisons à un groupe de journalistes, dont une équipe de TelQuel. Visite guidée.
Reportage vidéo réalisé par S.H.
Mardi 6 mai. La gare de Rabat Ville constitue le point de départ de notre périple carcéral dont la première étape est la prison de Salé plus communément connue sous le nom de Zaki. Selon les rumeurs, le pénitencier devrait son surnom au nouvel entraineur de l’équipe nationale, Baddou Zaki, et est un hommage à son talent au poste de gardien. Si Zaki ne laissait échapper aucune ballon, la prison, elle, n’est sensée laisser échapper aucun détenu. Les murs gris et les barbelés du complexe pénitencier dominent le paysage urbain de la zone où il est établi. Après avoir franchi deux portes en fer d’une dizaine de mètres de haut, nous rejoignons une cour qui sert également de parking. Au milieu de cet espace, on ne distingue déjà plus le paysage. Apres les discours du directeur du pénitencier et du directeur régional, nous sommes rejoints par deux gardiennes, Naima et Khadija chargées de nous faire visiter la prison pour femmes du complexe pénitencier. Naima, 20 ans d’expérience au compteur, marche avec un pas plus rapide que celui du groupe et chaque tournant est précédé d’une alerte effectuée avec une voix de stentor, « Ihtiram » (ndlr : respect), pour avertir les détenues de la présence d’hommes.
La gardienne du temple
Six femmes et leurs enfants séjournent dans l’aile des mamans de la prison d’Oukacha. Les enfants peuvent rester avec leur mères jusqu’à l’âge de 4 ans (Crédit photo : Yassine Toumi pour TelQuel).
Khadija pénètre la salle, les visages des détenues s’illuminent d’un sourire. Interrogées sur leurs relations avec les gardiennes, c’est presque toute en chœur qu’elles nous répondent que ces dernières sont considérées « comme des mère ou des sœurs ». Surpris par une telle popularité, nous réclamons un entretien avec Khadija qui est l’une des plus anciennes surveillantes de Zaki. « Le métier de gardienne était un choix par défaut. J’ai passé cinq ans à chercher du travail avant de passer le concours de l’administration pénitentiaire », raconte la geôlière qui reconnait avoir eu peur lors de sa première journée en prison. A l’issue de son premier mois d’activité, la surveillante touche un salaire de 1 700 dirhams. Sept ans plus tard, la gardienne détaille, sans anicroche, le rythme de ses journées : « ma journée commence avec l’appel des prisonnières. Je fais le compte des entrées et des sorties de prison. Durant le reste de la journée je surveille les prisonnières avant de passer, en début de soirée, le relais à une autre gardienne à laquelle je confie les clés ». Le métier est contraignant pour Khadija qui, parfois « sans grande joie », doit participer aux principaux évènements de la vie des détenues comme l’accouchement ou la rfissa. Mais elle reconnait qu’une ambiance « singulière » règne durant les fêtes religieuses comme Aid El Kbir pendant lesquelles elle partage les repas avec les détenues. Les prisonnières sont toutes traitées de la même façon, jure Khadija qui s’est imposée pour règles d’ «ignorer les crimes des détenus pour que cela n’affecte pas la manière dont je les traite ». Ses relations avec les détenues sont « respectueuses » mais ne se développent pas à l’extérieur des murs des prisons ou elle n’a « jamais organisé de rencontres avec les anciennes détenues ».
Des prisonnières de tous les milieux
(Crédit photo : Yassine Toumi pour TelQuel).
Dans le quartier des femmes, côté détenues, il y a de tout. Des prisonnières étrangères recherchées par Interpol, des criminelles, celles qui crient toujours leur innocence, des mamans accompagnées de leurs enfants, des bourgeoises et des « filles du peuple ». Dans un dortoir où s’amassent huit âmes, Meriem lit Le comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas. Elle est dans la prison de Salé depuis deux mois. « Je ne sais pas encore ce qui m’est reproché, ça a un lien avec ma société, il faut appeler mon fiancé pour avoir plus de détails », balbutie cette ingénieure de 27 ans. Dans un français parfait, enveloppée dans son précieux châle, elle explique qu’elle a peur de rester en prison, que cette année elle préparait son mariage et son doctorat. Son monde s’est effondré depuis qu’elle est incarcérée. Un désespoir qu’elle partage avec Khadija, autre génération et autre milieu. Cette détenue de 49 ans va bientôt sortir de prison, mais le sentiment d’injustice qu’elle ressent est toujours aussi fort. « Ma mère est tombée malade, j’ai contacté un ‘samsar’ pour trouver du travail, il m’a proposé un poste de cuisinière chez des Saoudiens », raconte-t-elle. Chez ces riches du Golfe, les prostituées défilent. « A l’aube, alors que je dormais, la police est entrée et a embarqué tout le monde. Les Saoudiens ont été libérés, les autres filles aussi, et moi j’en ai eu pour 8 mois ». Toutes ces femmes essayent de se côtoyer paisiblement. « L’administration sélectionne les chambrées et sait qui mélanger avec qui », reconnaît Meriem, qui jure ne pas souffrir de mauvais traitements. Dans le quartier des femmes, il y a aussi Hafida, la quarantaine, qui n’a pas toute sa tête. Instruite, elle se promène avec ses documents personnels sous le bras. « Mon mari m’a accusée d’adultère, c’est un menteur. Puis il a demandé à la police de m’arrêter. D’autres personnes sont de mèche avec lui ». Difficile de voir clair dans le discours de cette femme que même les gardiennes disent dérangée. Sous d’autres cieux, sa place aurait été dans un centre médicalisé. Mais dans cet espace fermé, très peu de place pour le réconfort. Il y a pourtant les pleurs de bébés et le bruit des roues de yopala d’enfants dans les couloirs, qui arrivent presque à faire oublier la morosité des lieux. A Salé, six enfants de moins de quatre ans vivent en prison. « Quand je serai libre, mon enfant pourra enfin découvrir la vie, la vraie », espère une maman au regard confiant.
L’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) offre de nombreuses formations aux détenues. Le matériel nécessaire pour les formations est offert par la Fondation Mohammed VI (Crédit photo : Yassine Toumi pour TelQuel)
Retrouvez l’intégralité de notre reportage sur les prisons du Maroc dans le numéro 621 de TelQuel en kisoque jusqu’au 29 mai. [/encadre] |
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